Commande publique - Le seuil de dispense de procédure passe bien à 15.000 euros
François Fillon l'avait annoncé, le JO l'a fait. Le Premier ministre avait évoqué le 14 novembre dernier, lors d'un déplacement en Loire-Atlantique, l'imminence d'un décret devant "porter à 15.000 euros le seuil de dispense de formalités dans le cadre des marchés publics, qui est aujourd’hui de 4.000 euros". "Pour les collectivités territoriales, cela signifie moins de formalités administratives et pour les entreprises […], ça leur évitera de devoir réaliser, comme c’est trop souvent le cas, des devis concernant des travaux de faible montant et qui ne se traduisent pas, la plupart du temps, en tout cas pas toujours, par l'obtention du marché", avait commenté le chef du gouvernement, dans un discours centré sur les PME. Le projet de décret était alors déjà prêt, puisqu'il avait été soumis en urgence le 3 novembre à la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), laquelle avait émis un avis favorable à l'unanimité. La semaine dernière, la publication prochaine de ce décret avait été confirmée lors des Assises de la simplification pilotées par Frédéric Lefebvre, le secrétaire d'Etat chargé des PME (voir notre article du 7 décembre ci-contre).
Sa parution au Journal officiel du 11 décembre n'est donc pas une surprise. Le choix de recourir à un décret avait en revanche pu surprendre, dans la mesure où il était prévu que le relèvement de ce seuil passe par la proposition de loi Warsmann, actuellement en cours de navette parlementaire. L'article 88 de cette proposition de loi indiquait en effet : "Le pouvoir adjudicateur soumis au Code des marchés publics peut décider de passer un marché public ou un accord-cadre sans publicité ni mise en concurrence préalables, au sens des règles de la commande publique, si le montant estimé de ce marché ou de cet accord-cadre est inférieur à 15.000 euros hors taxes."
Le décret n°2011-1853 du 9 décembre 2011 dit exactement la même chose. Et ajoute, comme le faisait mot pour mot la proposition de loi de simplification du droit : "Lorsqu'il fait usage de [cette] faculté, le pouvoir adjudicateur veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu'il existe une pluralité d'offres potentielles susceptibles de répondre au besoin." Ces précisions sont censées assortir le relèvement du seuil des "garanties" qui avaient été demandées par le Conseil d'Etat lorsque celui-ci s'était prononcé sur cette disposition du texte de Jean-Luc Warsmann.
Le décret met logiquement en cohérence d'autres dispositions du code faisant référence à des seuils : le seuil au-delà duquel un contrat revêt obligatoirement la forme écrite, le seuil de publicité préalable obligatoire et le seuil de notification du contrat.
L'absence de publicité n'empêche pas la "traçabilité"
Visiblement, le gouvernement a choisi de passer par un décret pour "permettre une application rapide" de la réforme, sachant que la proposition de loi Warsmann n'a pour l'heure fait l'objet que d'une lecture à l'Assemblée nationale et ne figure pas encore à l'agenda du Sénat (les rapporteurs des différentes commissions sénatoriales ont simplement été nommés). Etant donné l'encombrement du calendrier parlementaire, son adoption définitive avant la fin de la législature n'est même pas garantie.
Le décret, lui, est d'application immédiate, dès ce 12 décembre. En précisant toutefois qu'il ne s'applique pas aux contrats pour lesquels une consultation a déjà été engagée ou un avis d'appel public à la concurrence a déjà été envoyé.
Le feuilleton du relèvement du seuil de 4.000 euros est pourtant une vieille histoire dont les principaux épisodes sont désormais célèbres parmi les acheteurs. Lesquels se sont d'ailleurs peut-être lassés des divers aller-retour qu'ils ont subis depuis trois ans. Le point de départ : dans le cadre de son plan de relance de 2008, le gouvernement prend un décret - du 19 décembre 2008 - qui porte de 4.000 à 20.000 euros le seuil des marchés pouvant être passés sans publicité ni mise en concurrence. Le 10 février 2010, un arrêt du Conseil d'Etat – arrêt Pérez – annule ce décret à compter du 1er mai 2010, considérant que "le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d'égalité d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures". Principalement en cause : le caractère trop général de la mesure, ainsi que son montant trop élevé.
Aujourd'hui, c'est sans doute moins le choix d'un montant de 15.000 euros au lieu de 20.000 euros qui rendra le nouveau décret plus acceptable aux yeux du Conseil d'Etat – si celui-ci devait être amené à se prononcer – que le fait que le relèvement ait été assorti des recommandations qu'il avait lui-même formulées au sujet de la proposition de loi Warsmann.
Autrement dit, renoncer à toute publicité et vraie mise en concurrence pour ses "petits" marchés ne signifie pas que l'on renonce à toutes ses bonnes habitudes. Dans une fiche consacrée dès ce 12 décembre à cette nouveauté du Code des marchés, la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy insiste sur le sens des précautions sur lesquelles le décret met l'accent : l'acheteur public est invité à "s'informer sur la structure de l'offre existante sur le marché et à se comporter en gestionnaire avisé et responsable" et "devra être à même de pouvoir justifier les motifs de son choix et d'assurer, en toute transparence, la traçabilité des procédures qu'il aura employées, selon la nature et le montant de la prestation achetée, notamment devant le juge (par exemple, en produisant les devis sollicités, les référentiels de prix ou les guides d’achat utilisés, etc.)". "L'établissement d'une note de traçabilité de l'achat est recommandé", précise même la DAJ. Et puis l'on n'oubliera pas l'un des mots du décret : "Le pouvoir adjudicateur PEUT décider…". En d'autres termes, rien n'interdit à l'acheteur de procéder à une publicité ou à une mise en concurrence préalables même pour ses marchés de moins de 15.000 euros.
D'autres fiches-conseils de la DAJ risquent donc d'être les bienvenues pour sécuriser tout cela et savoir quelle sera la "bonne" attitude à adopter… à moins que la circulaire destinée à "améliorer les relations entre l'administration et ses fournisseurs", dont le Premier ministre a annoncé la diffusion pour cette fin d'année (voir encadré ci-dessous), n'apporte certaines précisions. En tout cas, rien ne pousse à croire que le relèvement du seuil se traduira par une grosse baisse de l'activité des services achats.
Claire Mallet
Après le décret… la circulaire
La circulaire à venir, également annoncée par François Fillon le 14 novembre, ne devrait pas être centrée sur les seuils mais, plutôt, sur les informations à fournir par le candidat. Il s'agit, avait en effet expliqué le Premier ministre, d'inviter les acheteurs publics "à ne plus exiger des entreprises la fourniture d’informations qui ont déjà été transmises dans le cadre d’une précédente consultation" : "Il ne sert en effet à rien que les entreprises qui répondent à des marchés publics transmettent de multiples fois, au cours de la même année, leur dossier de présentation, comme si les acheteurs publics ne les connaissaient pas. Cette circulaire incitera aussi les acheteurs publics à désigner un interlocuteur unique, jouant un rôle de médiation dans la résolution des difficultés qui pourraient apparaître lors de l’exécution du marché", avait-il ajouté.