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Simplification du droit - Une nouvelle proposition de loi Warsmann adoptée

Les députés ont adopté mardi en première lecture un nouveau texte de simplification signé Jean-Luc Warsmann. A retenir parmi ses 94 articles : le relèvement à 15.000 euros du seuil de publicité et de mise en concurrence pour un marché public. Mais aussi une série de dispositions hétéroclites en matière, par exemple, d'environnement, d'urbanisme ou de logement.

L'Assemblée nationale a adopté ce 18 octobre, par 292 voix contre 193, la proposition de loi Warsmann relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives. Issue pour partie du rapport présenté en juillet dernier par le même Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois (voir notre article ci-contre du 7 juillet), cette proposition de loi a un sérieux air de famille avec les précédents textes de l'intéressé : une loi de simplification composée de dizaines d'articles hétéroclites touchant à une multitude de sujets… parmi lesquels il n'est pas toujours facile de retrouver ses petits. Arrivant qui plus est en fin de législature, la tentation était grande pour les parlementaires d'en faire une "voiture-balai" en déposant des amendements en tous genres. Alors que les précédentes lois de simplification s'étaient principalement intéressées aux relations de l’administration avec les usagers, aux règles applicables aux collectivités locales ou au fonctionnement des juridictions, cette nouvelle proposition de loi entendait privilégier le droit économique et social – et donc le monde de l'entreprise. Comme les autres, elle englobe finalement, au fil de ses 94 articles, une série de mesures s'appliquant directement aux collectivités locales. Ces mesures auraient pu être plus nombreuses encore si certains des amendements parlementaires n'avaient finalement été écartés pendant l'examen en séance au motif qu'ils constituaient des cavaliers législatifs. La disposition sans doute la plus spectaculaire de la proposition de loi intéresse à la fois les entreprises et les collectivités… puisqu'il s'agit de marchés publics.

Bientôt un seuil à 15.000 euros ?

L'article 88 de la proposition de loi Warsmann entend relever de 4.000 à 15.000 euros (HT) le seuil de dispense d’obligation de publicité et de mise en concurrence pour un marché public (article 28 du Code des marchés publics). Outre le fait de s’appuyer sur une étude récente de l’OCDE confirmant qu’il s’agissait de l’un des seuils les plus bas en Europe (et la Commission européenne applique, pour ses propres marchés, un seuil de 10.000 euros), le président de la commission des lois a justifié ce relèvement en ces termes : le seuil de 4.000 euros "aboutit à empêcher des acheteurs publics, pour des montants qui restent modestes, d’effectuer des achats en bon père de famille, avec un bon rapport qualité-prix", allant ainsi dans le sens des "petits acheteurs", notamment les communes rurales, a assuré Jean-Luc Warsmann, le 12 octobre dans l'hémicycle.
On sait par ailleurs que cet article 88 n'est pas une première. En 2008, dans le cadre du plan de relance, un décret avait été publié pour relever ce seuil de 4.000 euros à 20.000 euros… mais avait été finalement annulé par le Conseil d’Etat qui l’avait jugé contraire aux principes fondamentaux de la commande publique.
La proposition Warsmann a naturellement rencontré des opposants. Des amendements avaient d'ailleurs été déposés, mettant en avant des risques de conflit d’intérêts, de collusion ou de clientélisme. Le gouvernement, représenté par le secrétaire d'Etat Frédéric Lefebvre, a jugé cette crainte infondée, "considérant que les acheteurs publics, notamment les collectivités territoriales, sont responsables" et se disant par conséquent "à 100% favorable à cet article".
Mais à la question de fond est venue s’ajouter une autre question, nettement plus formelle et procédurale. Jean-Luc Warsmann a lui-même reconnu que "le fait que le législateur intervienne en matière de marchés publics n’est pas courant", le Code des marchés publics étant issu d’un décret. Il aussi rappelé que par deux fois (il y a certes très longtemps…), le Conseil d’Etat a eu l'occasion de juger qu'en vertu d’une délégation législative, "le pouvoir réglementaire était compétent pour arrêter les règles applicables aux marchés publics". Pourtant, a résumé l'élu, "il existe un blocage" aujourd'hui puisque le pouvoir réglementaire est confronté à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, dans son arrêt Perez de 2010 (suite au projet de décret de 2008), a jugé que le gouvernement ne pouvait, par son pouvoir réglementaire, relever le seuil à 20.000 euros. D'où, a-t-il argumenté, le choix de passer par la voie législative pour "sortir de l'impasse".
Un recours devant le Conseil constitutionnel n'est évidemment pas à exclure. A cet égard, l’avocat et président de l’Apasp Jean-Marc Peyrical s'est récemment interrogé sur la position que pourrait prendre le Conseil constitutionnel : "Si celui-ci n’est jamais intervenu sur un tel point, n’oublions pas qu’il a constitutionnalisé le droit de la commande publique en donnant valeur constitutionnelle - ou plutôt en les mettant au niveau des exigences constitutionnelles - à certains de ses principes, dont celui de l’égalité devant la commande publique. Le relèvement du seuil à 15.000 euros sera-t-il considéré comme portant atteinte à un tel principe ?"

Environnement

- L'article 54 de la proposition de loi "simplifie la réglementation applicable à la géothermie de minime importance", selon l'exposé des motifs. "Sans préjudice des dispositions du Code de l'environnement, ce texte retire du champ d'application de la législation minière les forages ou installations géothermiques qui utilisent la chaleur naturelle du sous-sol, qui la transforment en énergie thermique et qui ne présentent aucune incidence significative sur l'environnement. Pour les activités géothermiques qui continueront de relever du Code minier, il est proposé de redéfinir et d'élargir la notion d'activités géothermiques de minime importance."

- L'article 55 vise à simplifier les procédures liées aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage). Il autorise ainsi l'inscription, en cours de cycle de gestion, de nouveaux projets d'intérêt général qui n'auraient pas été identifiés au moment de l'adoption du schéma.

- Les députés ont soutenu en séance un amendement à l'article 55 d'Eric Straubmann (UMP, Haut-Rhin) adopté en commission qui donne aux collectivités territoriales un délai de six ans au lieu de deux pour appliquer la législation sur les publicités extérieures décidée dans le cadre de la loi Grenelle 2. "Pour les publicités et pré-enseignes, un décret peut prévoir un délai moindre, qui ne peut être inférieur à deux ans à compter de sa publication", précise le texte.

- Un amendement gouvernemental a rétabli l'article 56, supprimé par la commission des affaires économiques qui l'avait jugé "irrecevable". Il comporte plusieurs mesures relatives à la police de l'eau et à l'énergie hydraulique. "Il est également proposé de simplifier les procédures administratives pour les aménagements des ouvrages constituant des obstacles à la continuité écologique (équipement des passes à poisson", a indiqué le gouvernement dans l'exposé des motifs.

- Les députés ont adopté l'article 56 bis, créé par un amendement de Jean-Luc Warsmann adopté en commission, prévoyant que les chartes Natura 2000 peuvent "déterminer des engagements spécifiques à une activité qui permettent de garantir que celle-ci ne sera pas susceptible de porter atteinte au site de manière significative". "Ne sont visés par la dispense d'évaluation des incidences que les projets d'activités de très faible ampleur qui ne nécessitent pas, par ailleurs, des autorisations ou déclarations au titre de la réglementation Natura 2000 ou d'une réglementation autre", a précisé le rapporteur Etienne Blanc. "J'ajoute que l'autorité administrative a la faculté de conclure individuellement, avec chaque titulaire de droits réels ou personnels sur les terrains compris dans le périmètre du site, des contrats Natura 2000 permettant d'individualiser ces engagements, donc de les contrôler."

- Le gouvernement a obtenu le rétablissement de l'article 56 ter qui habilite les chambres d'agriculture à réaliser et à gérer "des ouvrages nécessaires à la mobilisation des ressources en eau destinées à l'irrigation agricole".

Urbanisme

- Un article additionnel après l'article 3, créé par un amendement de Michel Zumkeller (UMP, Territoire de Belfort), porte à deux ans, contre un an aujourd'hui, le délai dont disposent les communes à la suite de l'exercice de leur droit de préemption sur les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains à usage commercial. "Cette proposition a déjà fait l’objet d’un accord du Sénat et de l’Assemblée nationale dans le cadre de la discussion de la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial, mais le texte en question est en attente d’une deuxième lecture. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous donne l’occasion d’accélérer un peu le processus", a justifié le député. "Par ailleurs, il s’agit de permettre aux communes de faire usage de la location-gérance pendant ce délai de rétrocession", a-t-il argumenté.

- Un article additionnel après l'article 80, créé par un amendement de Jean-Michel Clément (SRC, Vienne), vient compléter l'article 480-3 du Code de l'urbanisme pour pénaliser, outre les hypothèses de continuation de travaux nonobstant une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l'interruption, la poursuite de travaux malgré une décision du juge administratif des référés ordonnant la suspension du permis de construire ou de la cour administrative en ordonnant le sursis à exécution. Il s'agit de "combler une lacune dans la législation pénale en matière d'urbanisme, révélée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 10 octobre 2006, puis par un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 13 février 2009", a expliqué le député. Le gouvernement a précisé qu'il faudra revenir toutefois sur la rédaction formelle de l'article puisque "le sursis à exécution n'existe plus depuis 2000".

- L'article 83 simplifie la procédure de création et de réalisation des zones d'aménagement concerté (ZAC) en permettant à l'ensemble des personnes publiques maîtres d'ouvrage - y compris les établissements publics d'aménagement - de passer avec les propriétaires de terrains situés à l'intérieur de la ZAC des conventions dites "d'association". L'article 83 bis, qui avait été introduit par un amendement de la commission des lois visant à autoriser l'ouverture concomitante de plusieurs enquêtes publiques sur les projets d'urbanisme des collectivités, a été supprimé en séance.

Logement

L'article 84 modernise le régime de la vente des logements sociaux en facilitant la vente de logements-foyers détenus par des organismes HLM, qui sera désormais possible à tout moment. Ce même article s'efforce de sécuriser la vente de logements sociaux, fait des gardiens d'immeubles une nouvelle catégorie de bénéficiaires prioritaires des ventes de logements sociaux devenus vacants et interdit l’achat par une même personne physique de plusieurs logements vacants vendus par un organisme HLM. Un amendement de Jean-Paul Chanteguet et des membres du groupe SRC, adopté en séance, entend rendre plus efficace cette interdiction en sanctionnant par la nullité de la vente le non-respect de cette règle, soulignant que "les organismes n'ont pas les moyens de vérifier si un candidat n'a pas effectué d'acquisition auprès d'autres organismes, ce qui empêche un contrôle préalable".

Fiscalité / transport

Les décisions prises par les collectivités ou leurs établissements publics pour modifier le taux du versement transport (taxe destinée à financer les transports en commun) n'entreront en vigueur qu'à date fixe : soit le 1er janvier, soit le 1er juillet de chaque année. De plus, aucune modification de taux ne pourra prendre effet moins de deux mois à compter de sa diffusion aux entreprises assujetties au versement transport (c'est-à-dire celles qui comptent plus de 9 salariés). L'objectif est d'offrir aux entreprises une meilleure visibilité pour le paiement de leur contribution. (article 28 bis).

Fonction publique

Des amendements de l'opposition adoptés en commission tendaient à apporter des solutions aux "reçus-collés". Aujourd'hui, les lauréats des concours de la fonction publique territoriale sont inscrits au maximum trois ans sur une liste d'aptitude. S'ils n'ont pas trouvé un emploi durant cette période, ils perdent le bénéfice de leur concours. En commission, les députés ont porté de trois à cinq ans la durée d'inscription sur une liste d'aptitude. De plus, ils ont décidé que les agents inscrits sur une liste d'aptitude dans le cadre de la promotion interne conservent le bénéfice de cette inscription jusqu'à leur nomination et non plus trois ans, comme c'est le cas actuellement. Mais en séance, les députés sont revenus en arrière, à l'invitation du gouvernement. Celui-ci proposera à la fin de l'année, lors de l'examen au Sénat du projet de loi sur les agents contractuels, des solutions pour les reçus-collés. Des solutions qui seront très différentes de celles imaginées par les députés de l'opposition.

Citoyens

L'opposition a tenté de mettre fin à plusieurs discriminations touchant les gens du voyage : l'obligation de posséder un livret ou carnet de circulation et l'exigence d'un rattachement ininterrompu de trois années dans la même commune pour être inscrit sur les listes électorales. Cette dernière aurait été remplacée par une condition de six mois de rattachement, comme pour les sans-domicile fixe. Les amendements ont été rejetés au motif qu'ils constituaient des cavaliers législatifs.

Patrimoine

L'article 81 relatif la protection du patrimoine architectural ou monumental concerne le régime des travaux affectant les immeubles adossés aux monuments historiques. Il a pour principal effet d'aligner la procédure applicable aux immeubles adossés sur la procédure applicable aux immeubles "situés dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ou inscrit" (immeuble, nu ou bâti, visible de l'immeuble classé ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres). Il a été adopté sans modification.

Un coffre-fort électronique pour les entreprises

Avec l'instauration du coffre-fort électronique, il s'agit de permettre aux entreprises de "stocker en un lieu unique et virtuel" les documents nécessaires pour l'instruction d'une demande ou le traitement d'une déclaration. Le dispositif, également dénommé "armoire numérique sécurisée", est présenté comme l'un des articles-clés de la proposition de loi contenant 94 articles des plus hétéroclites. "C'est un dispositif essentiel pour simplifier la vie notamment des petites entreprises de notre pays", a estimé Frédéric Lefebvre.