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Commande publique - Seuil de 15.000 euros : pour les députés, un décret c'est bien, une loi c'est mieux

La proposition de loi Warsmann de simplification du droit et d'allègement des démarches administratives, dite "Warsmann 4", a été adoptée une nouvelle et dernière fois à l'Assemblée nationale le 31 janvier, après l'échec de la commission mixte paritaire. Reste une dernière lecture au Sénat. Mais sachant que lors de son précédent passage au Palais du Luxembourg en janvier, les sénateurs l'avaient rejetée en bloc (voir ci-contre notre article du 12 janvier), et que l'Assemblée a forcément le dernier mot, c'est théoriquement la version adoptée par les députés qui devrait constituer le texte définitif. Des députés qui ont voté de nouveaux amendements sur des points très divers de cette proposition de loi fourre-tout de 94 articles (il en comptait 153 dans sa version adoptée par l'Assemblée en octobre dernier) : versement transport, télétravail, logement et aménagement, infrastructures routières... (Localtis y reviendra dès que la loi aura été définitivement adoptée). Et l'un des volets importants du texte, celui sur la commande publique, a une nouvelle fois donné lieu à débat.
Certes, deux dispositions liées aux marchés publics ont été adoptées sans discussion : d'une part, l'abrogation de la loi du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence ; d'autre part, la ratification de deux ordonnances en matière de référés précontractuels et contractuels (l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique et l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics).
En revanche, le périmètre de liberté pour les achats en dessous du seuil des 15.000 euros a fait l'objet d'une discussion. Il s'agissait en l'occurrence de savoir si l'article 88 de la proposition de loi, qui relève de 4.000 à 15.000 euros le seuil en deçà duquel les marchés publics peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence, conservait une quelconque utilité. A première vue en effet, cette disposition n'avait plus de raison d'être depuis la parution du décret du 9 décembre 2011, puisque ce décret reprend à l'identique les termes de l'article 88 la proposition de loi. C'est ce qu'a fait valoir le gouvernement en séance, par la voix de Frédéric Lefebvre, rappelant que le décret avait été pris afin d'"accélérer le processus" et indiquant que l'article 88 devait logiquement être supprimé.
Pourtant, le président de la commission des lois de l'Assemblée, à savoir Jean-Luc Warsmann lui-même, suivi par plusieurs autres députés, ont confirmé préférer la voie législative à celle de l'application par décret. La raison invoquée est simple : "La manière dont le gouvernement interprète le décret ne nous convient absolument pas." En cause, principalement, une note de la direction des affaires juridiques recommandant aux acheteurs publics d'être en mesure, même en dessous du nouveau seuil, "d'assurer en toute transparence la traçabilité des procédures, notamment en produisant les devis sollicités, les référentiels de prix, les guides d'achat utilisés, et [conseillant] d'établir une note de traçabilité de l'achat". Une "interprétation" de Bercy qui, estime Jean-Luc Warsmann, ne fait que réintroduire de la complexité. Et va à l'encontre de la volonté des parlementaires, celle de laisser une réelle liberté aux acheteurs publics s'agissant de marchés de faible montant. Car "le maire d'une commune de 400 habitants n'a ni guides d'achat, ni référentiels de prix, et il n'établira pas une note de traçabilité de l'achat !". Son maître-mot : l'achat "en bon père de famille".
Réponse du ministre : la note de la DAJ n'a aucune force juridique et ne doit pas être comprise comme une somme de nouvelles "obligations" mais de "conseils" invitant les acheteurs publics à la prudence. "Les acteurs ne doivent pas prendre le risque de créer un contentieux administratif", a insisté Frédéric Lefebvre.
Pourtant, les députés qui se sont exprimés ont suivi Jean-Luc Warsmann qui a considéré, justement, que la prudence était bien de doubler le décret d'un texte de loi : "Si l'on supprime l'article 88, alors oui, il y aura bien risque de contentieux. Car dans ce cas, l'acheteur public n'aura qu'un simple décret. Aussi se retrouvera-t-il devant le Conseil d'État qui lira la note de la direction des affaires juridiques, c'est-à-dire les exigences, et établira une jurisprudence. Nous proposons de passer au niveau supérieur, celui de la loi."

L'Apasp et C.M.

Référence : proposition de loi n° 836 "relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives", Assemblée nationale