Deux nouvelles missions flash se penchent sur la gestion financière et les ressources humaines des Ehpad
Deux nouvelles missions flash sur les Ehpad ont présenté leurs conclusions venues alimenter le rapport de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale lié à l'affaire Orpéa. La première mission se demande, face aux "faiblesses du système actuel de tarification et de contrôle des dépenses des Ehpad, qui ont permis le développement de pratiques financières contestables", s'il ne faudrait pas suspendre la délivrance de nouvelles autorisations aux Ehpad commerciaux. La seconde, centrée sur "les conditions de travail et la gestion des ressources humaines", se penche sur les difficultés de recrutement et le nécessaire renforcement des effectifs.
Après les deux premières missions flash consacrées, pour la première, à la place et au rôle des proches des résidents en Ehpad et, pour la seconde (pour le moins décevante), à l'Ehpad de demain (voir notre article du 4 mars), les rapporteurs des deux autres missions flash sur le sujet ont présenté leurs conclusions devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. La première – rapportée par Pierre Dharréville (Bouches-du-Rhône, GDR), Jeanine Dubié (Hautes-Pyrénées, Liberté et Territoires) et Caroline Janvier (Loiret, LREM) – porte sur "la gestion financière des Ehpad". La seconde – présentée par Martine Brenier (Alpes-Maritimes, LR), Cyrille Isaac-Sibille (Rhône, Modem) et Didier Martin (Côte d'Or, LREM) – est consacrée aux "conditions de travail et la gestion des ressources humaines dans les Ehpad". Au terme de ces quatre missions flash et de nombreuses auditions, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté son rapport d'information sur l'affaire Orpea (voir notre encadré ci-dessous).
Gestion financière : des questions sur "la quête permanente de profits"
Sur la gestion financière des Ehpad – et sans grande surprise en pleine affaire Orpea – les rapporteurs indiquent que les auditions menées "ont mis en lumière les faiblesses du système actuel de tarification et de contrôle des dépenses des Ehpad, qui ont permis le développement de pratiques financières contestables, voire choquantes". Ce qui conduit inévitablement à une question majeure : "la quête permanente de profits de la part d'entreprises cotées en bourse, même régulées dans leur fonctionnement, est-elle réellement compatible avec la prise en charge de nos aînés les plus fragiles ?" (on pourrait toutefois objecter que le secteur privé lucratif est très présent dans les cliniques, sans que cela soulève les mêmes interrogations). S'ils soulèvent la question, les rapporteurs se gardent cependant de toute réponse tranchée, se contentant de préconiser d'"engager une réflexion approfondie sur l'opportunité de suspendre la délivrance de nouvelles autorisations à des Ehpad commerciaux, au moins tant que toutes les leçons de la crise actuelle n'auront pas été tirées" et sur "la pertinence du modèle des Ehpad commerciaux dans la prise en charge des personnes âgées". Cette suspension des nouvelles autorisations a d'ores et déjà été annoncée par Brigitte Bourguignon, la secrétaire d'Etat en charge de l'autonomie, lors de sa récente audition par la commission des affaires sociales. Dans le même esprit, les rapporteurs demandent aussi la suppression des dispositifs de défiscalisation des investissements dans les Ehpad (privés lucratifs), qui ne sont pas étrangers au développement très rapide de ce secteur.
Pour le reste, la mission flash formule une douzaine de recommandations, dont plusieurs sont d'ailleurs intégrées au plan annoncé par le gouvernement en faveur du renforcement des contrôles, de la transparence et de la qualité des Ehpad (voir notre article du 8 mars 2022). La mission préconise ainsi, entre autres, de fusionner les forfaits soins et dépendance afin de simplifier la gestion financière des Ehpad, de réviser les modalités de gestion du parc immobilier des Ehpad, et plus largement de tout le secteur médicosocial, "afin que les coûts, et donc indirectement le tarif hébergement facturé aux résidents, soient mieux maîtrisés", ou encore de revoir le régime des autorisations, en particulier en cas de revente de tout ou partie de ces établissements. Les rapporteurs préconisent aussi de mettre en œuvre le nouveau référentiel de qualité de la Haute autorisé de santé (HAS) pour les établissements et services sociaux et médicosociaux (ESSMS). La HAS vient précisément de publier ce référentiel très attendu, auquel elle travaillait depuis plus de deux ans (voir notre article du 14 mars 2022).
Ressources humaines : comment surmonter la perte d'attractivité ?
Comme la précédente, la seconde mission flash – sur "les conditions de travail et la gestion des ressources humaines dans les Ehpad" s'inscrit dans le prolongement de l'affaire Orpéa, qui "a provoqué une véritable onde de choc dans notre pays". Au-delà de cet élément d'actualité, elle s'inscrit aussi dans un contexte de plus long terme : celui des difficultés récurrentes de recrutement et de manque d'attractivité du secteur. Tout en soulignant les actions entreprises par le gouvernement pour contrer cette perte d'attractivité – dont les revalorisations salariales du Ségur de la santé et de la conférence des métiers du social, et le tout prochain lancement d'une campagne d'information grand public –, les rapporteurs jugent aujourd'hui indispensable d'aller plus loin. Ils formulent pour cela une douzaine de propositions. Celles-ci passent notamment par la poursuite du renforcement des effectifs de Ehpad, avec en particulier la définition d'un ratio minimal opposable de personnels "au chevet" des résidents (ratio sur lequel la mission n'avance toutefois pas de chiffre). La gestion des effectifs devrait également mieux prendre en compte les moments clés de la journée (lever, toilettes, repas, coucher). En termes de conditions de travail, les préconisations de la mission portent notamment sur le renforcement des actions de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (importants dans le secteur) et sur des mesures spécifiques d'aide au logement, comme l'attribution facilitée de logements sociaux à proximité du lieu de travail ou l'augmentation des indemnités de résidence.
D'autres recommandations concernent les directeurs d'Ehpad – dont la formation doit inclure un "volet médicosocial obligatoire", allusion transparente au profil purement gestionnaire ou financier de certains directeurs d'Ehpad privés lucratifs – ou les médecins coordonnateurs, dont la présence et le rôle doivent être renforcés. Une autre proposition, en lien direct avec la formation et les effectifs, vise à enrayer un phénomène fréquent : celui du "glissement de fonctions". Les rapporteurs recommandent pour cela de définir de façon explicite les délégations de tâches autorisées. Enfin, la mission préconise de "simplifier le processus de validation des acquis de l'expérience (VAE) pour valoriser les métiers et les carrières, favoriser les passerelles entre formations et augmenter significativement les formations d'aide-soignant et d'infirmier".
La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté son rapport d'information "en conclusion de ses travaux sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea". Le rapport est signé de Fadila Khattabi, la présidente de la commission, et des douze député(e)s auteurs des quatre missions flash. Son contenu diffère des rapports habituels, dans la mesure où il ne contient que des éléments déjà publiés, à l'exception d'un avant-propos de la président de la commission. Fadila Khattabi y juge "nécessaire de préciser que les auditions des dirigeants du groupe Orpea se sont révélées très décevantes. Les réponses apportées à nos questions n’ont fait qu’accentuer notre inquiétude et notre volonté d’élucider cette affaire". Si les faits sont exposés dans les comptes rendus des auditions, il n'y a cependant pas de conclusions sur l'affaire Orpea proprement dite. Outre la reprise des comptes rendus d'auditions, le rapport d'information reproduit en effet in extenso les conclusions des quatre missions flash. A défaut d'une conclusion commune, il comprend aussi cinq contributions de groupes politiques de l'Assemblée : LREM, PS, Agir Ensemble, UDI et Indépendants, Libertés et Territoires. Il reste donc maintenant à attendre le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat – qui s'est dotée, le 8 février, des compétences d'une commission d'enquête – pour connaître les conclusions à tirer de l'affaire Orpea. |