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Améliorer les soins en Ehpad : le rapport Jeandel-Guérin formule 25 recommandations innovantes

Remis au gouvernement le 5 juillet, ce rapport sur les soins en Ehpad et en unités de soins de longue durée (USLD) porte "25 recommandations pour une prise en soins adaptée des patients et des résidents". Transformation des USLD, réorganisation des Ehpad en plusieurs unités, renforcement de l'équipe soignante (médecins et infirmières), intervention des ressources sanitaires du territoire, adaptations architecturales... sans oublier l'aspect financement avec, notamment une fusion du tarif soin et du tarif dépendance.

Les professeurs de gérontologie Claude Jeandel (CHU de Montpellier) et Olivier Guérin (CHU de Nice) ont remis à Brigitte Bourguignon, le 5 juillet, leur rapport sur les soins en Ehpad et en USLD (unités de soins de longue durée), intitulé "25 recommandations pour une prise en soins adaptée des patients et des résidents, afin que nos établissements demeurent des lieux de vie". Si les rapports officiels sont plutôt austères, celui-ci atteint un niveau de technicité qui rend sa lecture pour le moins ardue. Ce qui n'ôte toutefois rien à son intérêt, car les propositions avancées revêtent une réelle originalité et n'hésitent pas à bousculer certains mécanismes ou réflexes bien installés. .

Une mise à plat des états pathologiques et des profils de soins

Cette austérité tient toutefois à l'objet même du rapport. La lettre de mission, signée le 31 août 2020 par la directrice générale de l'offre de soins (DGOS) et par celle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), demandait notamment aux deux professeurs de "définir les profils d'admission, décrire les états pathologiques pouvant relever d'une prise en charge en soins de longue durée et définir les critères d'orientation en USLD ou en Ehpad, à pathologies identiques ou différenciées". Le rapport répond parfaitement à cette demande, à travers une analyse très fouillée portant sur un échantillon de 488.900 résidents en Ehpad ayant fait l'objet d'une évaluation GIR et Pathos sur cinq années (2015 à 2019 incluses) et de 8.619 patients d'USLD ayant fait l'objet des mêmes évaluations. Ces échantillons sont répartis dans 6.500 Ehpad publics ou privés et dans 169 USLD, situés dans 11 régions. Le résultat réside dans une vingtaine de pages d'analyses, tableaux détaillés  et comparaisons, portant notamment sur les états pathologiques et sur les profils de soins.
L'essentiel du rapport réside toutefois dans ses 25 recommandations, en réalité assorties de nombreuses sous-propositions. Leur présentation s'accompagne de trois préalables incontournables aux yeux des auteurs : le respect du libre choix de la personne sur son lieu de vie et de "prise en soin", la priorité donnée au maintien ou au retour à domicile chaque fois que possible (ce qui suppose une réévaluation régulière) et l'adaptabilité des réponses en fonction de l'évolution de la situation.

Pour la fin des USLD

En termes d'organisation, le rapport préconise une requalification des USLD en "unités de soins prolongés complexes" (USPC), dont la vocation serait strictement sanitaire, alors qu'aujourd'hui nombre d'USLD ne se différencient pas vraiment d'un Ehpad. De même, le rapport préconise de "promouvoir une sectorisation raisonnée et raisonnable au sein des Ehpad", au sens d'unités adaptées aux principaux cas de figure. Les auteurs sont conscients des limites d'une telle sectorisation (réversibilité partielle ou complète des troubles comportementaux, risque de sous-optimisation des taux d'occupation...), mais ils estiment que les avantages d'une telle évolution l'emporteraient : meilleure gestion des troubles comportementaux, accompagnement plus personnalisé dans le même milieu de vie, meilleure gestion des situations de crise ou encore plus grande homogénéité des problématiques, davantage compatible avec une professionnalisation et une adaptation continue des compétences.
Dans le même esprit, le rapport recommande la généralisation de l'équipement des Ehpad en unités de vie protégées et unités de soins spécialisées Alzheimer, ainsi qu'en pôles d'activités et de soins adaptés (Pasa). Non systématique, la création d'unités d'hébergement renforcé (UHR) au sein des Ehpad devrait cependant être poursuivie, afin d'assurer une couverture homogène du territoire. 

Renforcer la dimension "médico-soignante"

Le rapport appelle aussi à un renforcement de la dimension "médico-soignante" des Ehpad – avec un accroissement des effectifs dédiés –, "afin qu'ils puissent intégrer des profils de soins médicaux". Il préconise également une reconnaissance de la fonction d'infirmière coordinatrice (avec une évolution vers le statut de cadre de santé) et de celle d'infirmière en pratique avancée (IPA) en gérontologie, qui pourraient être mutualisées entre plusieurs Ehpad. Enfin, les auteurs reprennent l'idée, pour partie déjà engagée, de doter les Ehpad d'une permanence infirmière 24h/24h, incluant une astreinte de nuit.
Autre proposition importante, qui fait l'objet de dix sous-propositions : préfigurer un nouveau modèle d'organisation médicale en Ehpad et consolider le modèle actuel en l'adaptant aux spécificités et ressources médicales du territoire. Ceci passe notamment par la création d'un véritable statut de médecin d'Ehpad (reconnaissance de la fonction actuelle de médecin coordonnateur), par une majoration du temps de présence de ces derniers, par la formalisation des relations entre les médecins traitants des résidents et les Ehpad, par le passage de trois à six du nombre de visites longues facturables en Ehpad (sans la limitation actuelle aux affections neuro-dégénératives ou aux soins palliatifs), par l'organisation d'une astreinte de nuit mutualisée entre plusieurs Ehpad, ou encore par la mise en œuvre des "réunions de concertation pluri-professionnelles (RCP), avec l'acte de nomenclature correspondant pour les libéraux.
Parmi les autres recommandations, on retiendra également la sécurisation du circuit du médicament ou la formalisation des modalités d'intervention des ressources sanitaires (dispositifs d'appui) du territoire au sein de l'Ehpad (HAD, équipes mobiles de gériatrie, poursuite du déploiement des dispositifs d'hébergement temporaire, véhicule juridique approprié pour les interventions en santé mentale...). 

Généralisation du tarif soin global et fusion des tarifs soins et dépendance

Le rapport formule également des propositions fortes en matière de financement. C'est le cas de la généralisation du tarif soin global, sans conditionner cette mesure à la présence d'une PUI (pharmacie à usage intérieur). C'est aussi et surtout le cas de la fusion du tarif soin et du tarif dépendance, ce qui réglerait, par exemple, le problème du cofinancement actuel des aides-soignantes par les deux sections. Les auteurs estiment en outre que "sur un plan conceptuel, le principe de différencier le financement des déficiences [...] qui relèvent du soin (assurance maladie) et le financement des aides et services dédiés à la prise en charge de leurs conséquences (les incapacités et la perte d'autonomie/dépendance) ne se justifie pas". Une telle fusion impliquerait un financeur unique, que le rapport ne désigne pas. 
Enfin, le rapport formule plusieurs dispositions plus disparates, comme la concrétisation rapide des adaptations architecturales nécessaires des Ehpad face à la prévalence élevée des troubles neurocognitifs et comportementaux, l'inscription dans les CPOM de l'obligation pour les résidences autonomie de formaliser une convention avec au moins un Ehpad de leur bassin, l'expérimentation du concept de l'Ehpad "plateforme/centre de ressources de bassin de vie" mais "sous certaines conditions" (ne pas fragiliser les dispositifs en place et avoir satisfait aux autres préconisations du rapport), ou encore l'accélération du déploiement du numérique au sein des Ehpad – ce que prévoit le volet investissement du Ségur de la santé – afin de s'appuyer sur ce déploiement pour renforcer la qualité de la prise en soins.
Dans un communiqué du 5 juillet consécutif à la remise du rapport, Brigitte Bourguignon souligne "la convergence de vues entre les recommandations des professeurs et les travaux actuels menés au sein du ministère. Plusieurs mesures feront alors l'objet d'approfondissement par les directions concernées, en lien étroit avec les parties prenantes". Seul bémol de ce rapport innovant – mais cela est inscrit au cœur même de sa lettre de mission – : l'approche reste très "Ehpado-centrée", ignorant largement les articulations et les synergies possibles avec l'extérieur.  

 

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