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Affaire Orpea : de l'onde de choc aux premières réactions de l'État, des départements... et des Ehpad

Le secteur des Ehpad privés à but lucratif se voit ébranlé depuis la publication des bonnes feuilles du livre "Les Fossoyeurs". Le gouvernement a réagi et  des contrôles ont déjà commencé dans l'un des établissements concernés. L'Assemblée des départements de France a rappelé ses propositions pour "réformer en profondeur" un système qui, "par la grande hétérogénéité des acteurs, dilue les responsabilités", et estime que les départements devraient pouvoir "diligenter des enquêtes inopinées". Le président de la Fédération hospitalière de France s'est également exprimé, tout comme le Synerpa (privé) et l'AD-PA (public). 

L'affaire Orpea, autrement dit les maltraitances institutionnelles mises en avant par le livre de Victor Castanet "Les Fossoyeurs", provoque une onde de choc dans le secteur des Ehpad et devrait sans doute avoir rapidement des conséquences très concrètes. Ce n'est certes pas la première fois que des Ehpad sont mis en cause, y compris par des émissions de télévision comme "Zone interdite" (M6) ou "Envoyé spécial" (France 2), le groupe Orpea ayant d'ailleurs, à l'époque (septembre 2018), tenté en vain d'obtenir auprès des tribunaux l'interdiction de la diffusion de ce reportage. Mais il s'agissait plutôt de ce qui pouvait encore apparaître comme des défaillances individuelles ou cantonnées à un établissement. Si les faits révélés aujourd'hui sont avérés, la question prend une toute autre dimension et interroge l'ensemble des Ehpad privés à but lucratif (25% du secteur, en progression régulière) et peut-être au-delà.

D'abord pris au dépourvu, l'État réagit

Alors que la campagne présidentielle est lancée, les propositions des différents partis politiques fleurissent, pas forcément toujours très réalistes, comme "la nationalisation" des maisons de retraite privées à but lucratif. Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF, secteur public), interviewé dans le Journal du Dimanche du 30 janvier, explique qu'"un tel choix nous coûterait 15 milliards d'euros ! L'État a mieux à faire avec cet argent".

De son côté, le gouvernement, d'abord pris au dépourvu par l'éclatement de l'affaire, a commencé de réagir. Lors de la séance de questions orales au gouvernement, le 25 janvier, Olivier Véran a indiqué avoir demandé à Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l'autonomie, "de saisir immédiatement le groupe de manière que des réponses soient apportées", ce qui sera fait avec la convocation, le 1er février, du directeur d'Orpéa France, accompagné du tout nouveau directeur général du groupe. Dans un courrier adressé à ce dernier le 27 janvier, la ministre cite une série de points sur lesquels il sera amené à fournir des explications et "qui feront l'objet d'enquêtes approfondis par les services de l'État". Comme indiqué par Olivier Véran devant l'Assemblée nationale et confirmé par le courrier de Brigitte Bourguignon, une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), portant "sur tout ou partie des établissements du groupe", ne devrait pas tarder à suivre.

Pour sa part, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, s'est exprimé à l'issue du conseil des ministres du 26 janvier, en évoquant des "révélations absolument révoltantes". Il a notamment affirmé que "si ces faits sont avérés, ils devront bien sûr être sanctionnés avec la plus grande sévérité".

Enfin, les contrôles ont déjà commencé dans l'établissement Orpéa de Neuilly, au cœur des dernières révélations. Le 28 janvier, l'ARS (agence régionale de santé) d'Île-de-France et le conseil départemental des Hauts-de-Seine ont en effet engagé une inspection de cet établissement. Ils doivent notamment vérifier la façon dont les recommandations d'un précédent contrôle, mené en 2018 et conclu par un rapport de février 2019, ont ou non été mises en œuvre.

L'ADF monte au front et veut décentraliser davantage le médicosocial

Les départements et l'État – via les préfets et les directeurs généraux d'ARS – se partagent en effet la tarification et le contrôle des Ehpad. L'Assemblée des départements de France (ADF) se devait donc de réagir. C'est chose faite avec un communiqué du 28 janvier. Tout en rappelant qu'"il faut se garder de généraliser un cas d'espèce à tous les Ehpad privés", l'ADF explique que "les départements de France [...] ne cessent de dénoncer la grande complexité de la prise en charge de nos aînés". Reprenant des propositions qu'elle porte de façon récurrence, l'association appelle donc à "réformer en profondeur" un système qui, "par la grande hétérogénéité des acteurs, dilue les responsabilités".

Ces propositions, qui ne sont toutefois pas une réponse directe à la crise actuelle, consisteraient notamment à confier au département la gestion d'une maison de l'autonomie (fusion de la MDPH et de la compétence personnes âgées) "sans tutelle étatique", d'instaurer un pouvoir de tarification unique pour les établissements sociaux et médicosociaux, de confier aux départements le recrutement, la nomination et l'évaluation des directeurs d'Ehpad et, enfin, de rattacher les personnels des Ehpad publics au statut de la fonction publique territoriale "lorsque le gestionnaire de l'Ehpad est sous statut territorial, afin de simplifier les modalités de gestion administrative et rendre cohérent le mode de gestion de ce type d'établissement". Si ces propositions peuvent avoir du sens, elles ne sont cependant pas en phase avec les enjeux relatifs aux établissements privés à but lucratif et même, pour partie, aux établissements privés à but non lucratif qui relèvent, comme leur nom l'indique, du droit privé.

L'ADF reprend aussi des propositions plus larges, qu'elle avait formulées lors des Assises des départements : transfert de la totalité du bloc social et médicosocial aux départements et de l'ensemble de la compétence Autonomie et participation des départements à la gouvernance des ARS. C'est au demeurant ce qu'esquisse le projet de loi 3DS en prévoyant deux vice-présidences pour les collectivités sur les trois prévues dans les futurs conseils d'administration des ARS (voir notre article du 19 juillet 2021).

Seule mesure d'effet immédiat au regard du scandale Orpéa : l'ADF estime que "sans remettre en cause les pouvoirs de contrôle dévolus aux préfets, les départements volontaires doivent pouvoir mettre en place des unités d'inspection capables de diligenter des enquêtes inopinées sur les conditions d'accueil des personnes âgées dépendantes dans tous les établissements, publics comme privés, se trouvant sur le territoire départemental".

Du côté des Ehpad, un consensus pour renforcer les contrôles

Du côté des Ehpad, un accord semble se faire sur un renforcement des contrôles. C'est le cas, sans surprise, du côté du Synerpa, qui représente les maisons de retraite privées à but lucratif. Lors d'un point presse le 31 janvier et dans un communiqué du même jour, le secteur des Ehpad privés dans son ensemble réaffirme qu'il "n'a rien à cacher", tel que l'explique sa déléguée générale, Florence Arnaiz-Maumé. Celle-ci estime que cette crise "met également en avant la nécessité de revoir urgemment les systèmes de contrôle et d'évaluation des Ehpad". Le Synerpa appelle donc notamment à "relancer activement les contrôles inopinés des ARS et des conseils départementaux" et à doter la HAS (Haute Autorité de santé) "d'un pouvoir d'enquête et de sanction et d'un outil de pilotage des événements indésirables les plus graves au niveau national, pour un meilleur suivi". Enfin, le Synerpa annonce qu'il va mettre en place, dans les prochaines semaines, une "commission nationale d'élaboration d'une charte éthique propre au syndicat", dont la composition et les travaux seront rendus publics.

De son côté, le président de la FHF rappelle, dans son interview du 30 janvier au JDD, que "sur 2.000 établissements en Île-de-France, on recense environ 70 contrôles par an... Le régulateur est aveugle. Et il le sait". Frédéric Valletoux plaide donc pour "imposer des règles communes aux deux secteurs", afin qu'"à partir du moment où ces groupes privés reçoivent des financements publics, ils doivent être soumis à des règles classiques de transparence et de qualité. Je ne suis pas pour 'tuer' le privé, mais nous devons sérieusement encadrer ses activités".

Enfin, l'AD-PA, qui représente les directeurs de maisons de retraite publiques, juge, dans un communiqué du 25 janvier, que "cette situation révèle les carences des pouvoirs publics qui entretiennent la maltraitance sociétale des personnes âgées accompagnées à domicile et en établissement, en raison de l’insuffisance de financements mis en évidence par les grèves de 2018". Dans un second communiqué du 27 janvier, l'AD-PA complète ses demandes en déclarant qu'elle "attend une prise de parole du président de la République avec des explications, engagements et solutions concrètes pour qu’une telle situation cesse en établissement comme à domicile".

 

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