Congrès des maires - "L'arbre de la dépendance ne doit pas cacher la forêt du vieillissement"
Dans le cadre du 103e Congrès des maires, l'Association des maires de France (AMF) organisait un forum intitulé "Mieux répondre à l'urgence du grand âge". Le thème recouvre à la fois une question de fond – l'impact du vieillissement démographique et les réponses à y apporter – et les enseignements à tirer de la crise sanitaire, qui a tout particulièrement frappé les personnes âgées et les Ehpad. Il est également au cœur de l'actualité avec la mise en place progressive de la cinquième branche de la sécurité sociale et les mesures du Ségur de la santé et autour du Ségur : virage domiciliaire, investissements dans les Ehpad, revalorisations salariales, financement de l'aide à domicile...
À l'image du co-président de ce forum, Pierre Martin, maire de Chauvé (Loire-Atlantique, 2.900 habitants) et référent grand-âge de l'AMF (et ancien directeur d'un Ehpad), tous les participants sont revenus sur la crise sanitaire "inédite pas son ampleur et sa brutalité", qui a surpris les élus municipaux en plein renouvellement de leur mandat. Au-delà de ses effets sanitaires, la pandémie de Covid-19 a eu une double conséquence : elle a révélé des solidarités locales et des initiatives insoupçonnées et elle a mis en évidence l'urgence d'un projet politique de réponse au vieillissement. Sur ce point, le représentant de l'AMF a, comme d'autres intervenants, regretté l'abandon du projet de loi Autonomie, qui "aurait donné un cap et réparti les responsabilités". Il a également exprimé son inquiétude face au manque de personnel et aux difficultés de recrutement dans les Ehpad, à l'hôpital et dans les services à domicile. Pour lui, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses, face à des personnels qui n'acceptent plus les contraintes et les conditions de travail de leurs prédécesseurs. Aux yeux de l'AMF, les mesures prises par le gouvernement vont dans le bon sens, mais ne sont pas suffisantes.
Isolement : 530.000 seniors en situation de mort sociale et des maires "premiers de cordée"
La première table ronde du forum était consacrée à la lutte contre l'isolement, mise en exergue par la crise sanitaire. Sur ce point, Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des pauvres, a rappelé les résultats du second baromètre de l'isolement social réalisé par l'association, dont les résultats ont été récemment publiés. Ils montrent que 530.000 seniors sont en situation de mort sociale (coupés des quatre cercles de sociabilité : familles, amis, voisinage et vie associative), contre 300.000 lors de la première édition du baromètre en 2017. De même, 2 millions de personnes sont coupées d'au moins deux des quatre cercles, contre 900.000 quatre ans plus tôt, et 6,5 millions disent ressentir de la solitude. Même si la crise sanitaire a sans doute joué sur les résultats de 2021, le risque d'isolement risque de s'accroître avec l'allongement de la durée de vie et le nombre croissant de personnes en perte d'autonomie.
Cette première table ronde a aussi été l'occasion de relater l'expérience d'élus confrontés à la crise sanitaire et à la question de l'isolement. Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval (Rhône, 22.000 habitants) et adjointe de direction en Ehpad, a confirmé que la crise a montré toute la nécessité du lien social et obligé à se montrer plus inventif, notamment pour développer "l'aller vers" en plein période de distanciation sociale. Dans ce contexte, les maires ont été "les premiers de cordée", pour reprendre une expression présidentielle. La ville s'est notamment servie des outils canicule (registre des personnes fragiles) et du téléphone et a organisé un portage des livres de la bibliothèque. Elle a même créé une "petite gazette" pour les personnes isolées, distribuée par des jeunes de la commune. La crise sanitaire a également conduit à la création d'un "conseil des aînés", qui réfléchira notamment sur les questions d'urbanisme et d'aménagement urbain. Et la ville ouvre cette semaine un café intergénérationnel associatif.
Pour sa part, Sylvie Cassou-Schotte, adjointe au maire de Mérignac (Gironde, 71.000 habitants) a mis en avant le choix d'adhérer, en 2015, au réseau Monalisa pour lutter contre l'isolement. Ce réseau facilite la coopération entre différents acteurs (Ehpad, associations, maisons de quartier...) et entre les services de la ville, coordonnés par le CCAS. La commune s'est donnée les moyens nécessaires en recrutant une animatrice à temps plein. Celle-ci s'implique également dans la dynamique départementale sur le sujet. Lors de la crise sanitaire, le fait de disposer d'un réseau bien identifié s'est révélé très efficace. Aujourd'hui, le dispositif Monalisa est "un peu en veille" au niveau national faute d'un financement suffisant, mais la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) devrait prendre le relais. La crise a montré aussi la nécessité de développer des formations spécifiques pour les appels téléphonique.
"La question du grand âge doit être en haut de la pile"
Jérôme Guedj - ancien président du conseil départemental de l'Essonne, inspecteur général des affaires sociales et auteur du rapport "Déconfinés mais toujours isolés ? La lutte contre l'isolement, c'est tout le temps !" en juillet 2020 (voir notre article du 17 juillet 2020), "la question du grand âge doit être en haut de la pile". Mais, pour l'instant, la société n'est pas encore convaincue que la transition démographique est aussi importante que la transition écologique ou numérique. Car "l'arbre de la dépendance ne doit pas cacher la forêt du vieillissement" : c'est toute la ville qu'il faudra adapter et repenser.
Avant la crise sanitaire – qui a montré que de nombreuses personnes âgées vivent dans un "confinement permanent" –, l'isolement était le parent pauvre de la question du vieillissement. Pourtant les enjeux sont considérables : dans les territoires de la "diagonale du vide", 40% des personnes seules (ce qui ne veut pas nécessairement dire isolées) vivent dans une commune dépourvue de tout commerce alimentaire...
La figure du maire comme ensemblier
Pour Jérôme Guedj, la crise sanitaire a aussi mis en évidence la figure du maire comme ensemblier. Aujourd'hui, les maires mettent en place une politique de la vieillesse, comme il y a eu une politique de la jeunesse après le baby boom : pour répondre à une demande sociale. Pour autant, la politique du repérage des fragilités est encore embryonnaire, notamment à cause de la tenue très variable des registres (le plus souvent très incomplets) et des freins au partage des informations. Pourtant, selon Jérôme Guedj, il suffirait de rajouter une case dans les formulaires de demande de l'APA ou de la PCH pour valider l'inscription au fichier. Même chose pour la Cnav avec les demandes d'aide ménagère pour les personnes classées en GIR 5 ou 6 (les moins dépendantes). Jérôme Guedj a aussi insisté sur l'importance de la coordination des acteurs – avec un rôle central pour le maire – et sur la nécessité de moyens pour les CCAS, pour qui "l'aller vers" est un véritable changement de métier. Ainsi, "la cinquième branche devra prévoir des moyens, sinon le bricolage et la bonne volonté des maires ne suffiront pas".
Marie Garon, adjointe au maire de Schoelcher (Martinique, 20.000 habitants) et co-présidente du forum, a détaillé les moyens mis en place par sa commune pour répondre à la question de l'isolement et, plus largement, de l'adaptation des politiques au vieillissement : fichier des personnes vulnérables, création de 21 comités de quartier avec des habitants, mise en place du dispositif des "voisins sentinelles", mobilisation du réseau des travailleurs sociaux et des infirmières, cellule d'écoute avec une psychologue... Déjà en 2015, après deux décès de personnes âgées au domicile découverts plusieurs jours plus tard, la ville avait mis sur pied le dispositif "Allo bonjour", avec des bénévoles retraités qui appellent tous les matins une personne âgée isolée pour s'assurer que tout va bien. Ces actions ont débouché sur l'élaboration d'un schéma gérontologique communal, en lien avec le département et la sécurité sociale.
"Quelque chose est en train de se passer"
La seconde partie de forum était précisément consacrée à l'accompagnement global du vieillissement. Marie Garon a insisté sur le rôle du réseau des Villes francophones amies des aînés, qui permet d'impulser une dynamique (Schoelcher devrait être bientôt labellisée après un audit). De son côté, Samir Triki, maire de Lavault-Saint-Anne (Allier, 1.200 habitants) a présenté l'apport du projet de l'"Espace La Charité" (ancien hôpital-orphelinat) : implantation d'un Ehpad de 70 places, d'un tiers lieu pour créer du lien et d'un centre social. Avec aujourd'hui un nouveau projet dans cet espace : la création d'une maison de la santé publique.
Auteur du récent rapport "Nous vieillirons ensemble... 80 propositions pour un nouveau pacte entre générations" (voir notre article du 26 mai 2021), Luc Broussy, spécialiste des questions liées au vieillissement et à la Silver Economie, a présenté une vision très positive du vieillissement. Pour lui, "quelque chose est en train de se passer", à travers trois constats. D'une part, l'explosion du nombre des 75-84 ans (+47% dans les dix prochaines années), qui va imposer une adaptation. D'autre part, le rappel que les intéressés sont nés à partir de 1945 et qu'ils avaient 20 à 30 ans en 1968. Aujourd'hui, "ils veulent maîtriser leur destin et révolutionner la vieillesse". Enfin, le fait que la question des personnes âgées n'est plus seulement la responsabilité de l'adjointe aux affaires sociales ou du président du CCAS. Elle irrigue toutes les politiques nationales et locales, à commencer par celles du logement et des mobilités. D'où le fort besoin de coordination et le rôle central du maire au niveau local. Sur ce point, Luc Broussy considère que l'intégration du vieillissement – notamment à travers la question du logement – dans des programmes comme "Petites villes de demain" et "Action cœur de ville" constitue une avancée considérable.
Ehpad : évoluer ou mourir ?
De son côté, Annabelle Veques, directrice générale de la Fnadepa (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées) a appelé à ne pas stigmatiser les Ehpad. L'Ehpad de demain est déjà en gestation à travers de nombreuses initiatives, mais le problème est d'arriver à faire venir davantage de professionnels pour faire évoluer ces structures et individualiser davantage les prestations (notamment à travers une réflexion architecturale). Un autre impératif est d'intégrer les nouveaux Ehpad en cœur de ville, pour les ouvrir pleinement sur l'extérieur et profiter des aménités urbaines.
Brigitte Bourguignon a ensuite rappelé les mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la création de la cinquième branche, du Ségur de la santé et du PLFSS 2022. Sur ces différents sujets, la ministre déléguée chargée de l'Autonomie préfère parler de réforme de l'autonomie plutôt que de la dépendance. Elle s'est également expliquée sur ses propos sur la "mort des Ehpad" (voir notre article du 15 juillet 2021) : Cela "ne veut pas dire qu'on en construira plus, mais qu'il faut inventer l'Ehpad de demain. Ce ne sera pas un simple coup de peinture, mais une ouverture avec des tiers lieux". Pour la ministre, les Ehpad doivent devenir des centres ressources et, chaque fois que possible, "faire société au milieu du centre-ville". Elle a également insisté sur la nécessité de ne pas parler du secteur "en termes misérabilistes", afin de motiver les acteurs, dynamiser les projets et améliorer l'attractivité des métiers.
Les CCAS, oubliés de la politique sociale ?
Philippe Lamarque, maire de Sarbazan (1.200 habitants) et président de l'Union départementale des CCAS des Landes, a délivré un plaidoyer pour des CCAS et des Cias "dans le rouge", avec des personnels en souffrance en sortie du confinement, fatigués et démoralisés, et souvent en emploi précaire. Pour lui, "les CCAS sont les oubliés de la politique sociale" et des dossiers APA "restent sur le bureau car on n'a pas de personnel pour les mettre en œuvre". Aujourd'hui, les CCAS attendent une loi sur le grand âge. Philippe Lamarque s'en est pris également à l'absence de revalorisation des personnels des services des CCAS, contrairement a ceux des associations d'aide à domicile qui, avec l'avenant 43, bénéficient d'une revalorisation de 15 à 20%.
Ces propos ont suscité une vive réaction de Brigitte Bourguignon. Elle a notamment expliqué que ces discours défaitistes ne sont pas de nature à relancer l'attractivité des métiers concernés et à favoriser les recrutements. Elle a aussi rappelé que les personnels couverts par l'avenant 43, qui n'avaient pas été revalorisé de la sorte depuis 20 ans, représentent la plus grande part des auxiliaires de vie et que les personnels de la fonction publique territoriale exerçant dans les services des CCAS ont bénéficié des revalorisations de la catégorie C. Philippe Lamarque et Brigitte Bourguignon se sont toutefois retrouvés pour convenir de la nécessité de repenser les formations, afin de les adapter aux évolutions des métiers de l'aide à domicile.