Cour des comptes - Publics fragilisés par la crise : des aides souvent mal calibrées
Au-delà de son traditionnel diagnostic sur les finances publiques, le rapport public annuel de la Cour des comptes rendu public ce 16 février consacre sa première partie aux "mesures prises dans l’urgence par l’État, les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales pour continuer à satisfaire les besoins vitaux de la population et pour protéger ou aider des publics vulnérables ou fragilisés par la pandémie". La Cour se penche à ce titre sur trois sujets spécifiques : les Ehpad, les mesures en faveur des étudiants et le plan "1 jeune 1 solution".
Ehpad : des "faiblesses structurelles"
La crise sanitaire a mis en lumière les "faiblesses structurelles" des Ehpad, et la nécessité d'une réforme que le gouvernement a "trop longtemps reportée", estime la Cour des comptes, en pleine tempête dans le secteur.
Le lourd bilan de l'épidémie dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes - près de 34.000 morts entre mars 2020 et mars 2021, sur une population totale d'un peu plus de 600.000 personnes - ne s'explique "pas seulement par la fragilité des résidents", mais également par les "difficultés structurelles des Ehpad", analysent en effet les Sages. "Le niveau de dépendance des personnes concernées s'accroît, tout comme leurs besoins médicaux", or leur prise en charge sanitaire présente de "notables faiblesses", relève le rapport : beaucoup d'établissements n'ont pas de médecin coordonnateur, tout en souffrant d'une pénurie de médecins de ville à proximité, et la plupart peinent à recruter et fidéliser un nombre suffisant d'aides-soignants et d'infirmiers. Cette pénurie "peut susciter de réels problèmes de qualité de prise en charge, hors situation de crise".
Pendant l'épidémie, l'État et l'Assurance maladie ont apporté un soutien financier massif au secteur, y compris via des dispositifs pérennes, comme les augmentations de salaire décidées dans le cadre du Ségur de la Santé - lesquelles bénéficient aussi au personnel non soignant. Cet effort financier "aurait pu être l'occasion pour l'État d'engager des réformes structurelles trop longtemps différées". Or "tel n'a pas été le cas", déplore la Cour, sans évoquer spécifiquement le renoncement du gouvernement à présenter sa loi Autonomie avant la fin du quinquennat.
Pour améliorer la prise en charge des personnes âgées, le rapport préconise d'agir sur les conditions de travail des personnels, mais aussi de mieux articuler Ehpad et filières de soins. Les Ehpad ne doivent pas rester "isolés" mais "s'insérer dans un ensemble fonctionnel plus vaste, soit par adossement à un établissement de santé, soit par l'appartenance à un groupe, soit encore par la mutualisation de certaines fonctions", estime la Cour.
Soutien aux étudiants : "tardif" et "décevant"
Les dispositifs de soutien de l'État aux étudiants pendant la crise sanitaire ont été "tardifs" et "décevants", estime la Cour des comptes, appelant à l'avenir à "mieux cerner et quantifier les besoins de la vie étudiante".
La pandémie "a profondément bouleversé le quotidien des étudiants", et l'État a certes "déployé de nombreuses mesures pour permettre aux étudiants de faire face à la crise". Mais la plupart ne sont montées en puissance que fin 2020. Et leur ciblage "a souffert d'insuffisances qui en ont amoindri l'efficacité".
Les dispositifs, note le rapport, "sont restés trop longtemps circonscrits", avant qu'ils ne se développent à partir de la fin 2020 avec "le versement automatique d'une aide exceptionnelle de 150 euros à l'ensemble des boursiers sur critères sociaux (BCS) en décembre 2020 puis, début 2021, l'élargissement du bénéfice du repas à un euro aux étudiants non boursiers et la mise en place du dispositif Santé Psy Étudiant". Mais "cet élargissement paraît tardif et se situe en retrait par rapport à d'autres aides sociales d'urgence décidées par l'État pour des jeunes non étudiants en situation de précarité", poursuivent-ils.
Pour la Cour, "sans connaissance fine des besoins des étudiants en période critique, des structures d'administration de la vie étudiante trop nombreuses ont dû apprendre à collaborer en temps de crise, réagir au gré des informations et de l'incertitude, faire face aux lacunes de la communication en direction des étudiants". "Le résultat est, dans l'ensemble, décevant ; il n'est pas à la mesure des enjeux", conclut-elle. Ses recommandations : "mieux cerner et quantifier les besoins de la vie étudiante", "ouvrir un chantier de réflexion sur l'organisation des politiques de soutien à la vie étudiante", "mieux prendre en compte les risques liés à la santé des étudiants" et "rendre plus réactives les modalités d'octroi des bourses d'enseignement supérieur sur critères sociaux". Elle appelle ainsi à "mettre en place des indicateurs fiables et partagés de la précarité étudiante dans ses différentes dimensions", à effectuer une "revue" des dispositifs de soutien et à "renforcer les moyens des services de santé universitaires".
Plan jeunes : un succès "à relativiser"
Le plan "1 jeune, 1 solution", lancé en juillet 2020, était "légitime", mais l'intervention de l'État a été "parfois mal proportionnée" et son succès est "à relativiser", estime la Cour des comptes.
Celle-ci rappelle que le plan, qui réunit "de multiples dispositifs" (accompagnement, aides à l'embauche, contrats aidés...) et dont le montant total "pourrait avoisiner 10 milliards d'euros", a été lancé "face à la perspective de l'arrivée sur le marché du travail" de 750.000 jeunes sortant du système scolaire et "dans un contexte économique dégradé par la crise sanitaire".
Face aux conséquences potentielles de la crise sur l'emploi des jeunes, "une intervention des pouvoirs publics était légitime, mais celle-ci a été parfois mal proportionnée", jugent les Sages, qui ajoutent que "malgré une forte mobilisation pour la mise en oeuvre du plan, son succès est à relativiser".
La Cour pointe notamment une "insuffisante prise en compte des besoins et des capacités des territoires". À titre d'exemple pour la garantie jeunes, "les valeurs cibles fixées ont été presque systématiquement doublées alors que la demande d'emploi locale des jeunes était très différente d'une région à l'autre".
Les Sages relèvent aussi "un effet apparemment limité des aides à l'embauche sur le nombre de jeunes en emploi". L'aide à l'embauche des jeunes (AEJ), pouvant aller jusqu'à 4.000 euros et qui a pris fin à la fin mai 2021, "aurait favorisé un déplacement de l'emploi des jeunes vers des CDD longs et des CDI, sans conduire à une hausse globale de leur taux d'emploi", note la Cour.
Quant à l'aide à l'apprentissage (5.000 ou 8.000 euros selon l'âge des bénéficiaires), "mesure dont le coût est le plus élevé", elle "a certainement permis d'augmenter significativement le nombre d'apprentis, mais surtout au bénéfice de diplômés dont l'insertion sur le marché du travail n'est le plus souvent pas problématique. L'effet net sur l'emploi en volume est donc vraisemblablement faible".
In fine, la Cour note que "la situation des jeunes sur le marché du travail apparaissait relativement préservée à l'automne 2021" (le taux de chômage des 15-24 ans "ne s'est pas aggravé en sortie de crise", à 20% au 3e trimestre 2021, contre 21,2% fin 2019, et leur taux d'activité atteignait 41,1% soit 3,2 points de plus que fin 2019). Cela "pourrait laisser augurer d'une réussite" des mesures du plan jeunes "grâce à une meilleure coordination des acteurs et une indéniable mobilisation de l'État et de ses partenaires", dit la Cour. Mais elle ajoute que ce diagnostic mérite d'être "nuancé", relevant entre autres que "l'efficacité de certaines mesures sur l'emploi, notamment les plus coûteuses, n'est pas avérée".
Dans sa réponse à la Cour, le Premier ministre, Jean Castex souligne "le contexte d'urgence et d'incertitudes majeures sur le plan socioéconomique dans lequel le plan a été conçu". Il argue que "la situation de l'emploi des jeunes a été préservée et ce non pas dans le cadre d'un retrait du marché du travail de ces derniers, mais dans celui d'une augmentation de leur taux d'activité, particulièrement remarquable dans le contexte de crise", ce qui "semble de nature à caractériser l'impact très positif du plan".