Social - Action sociale facultative des communes : entre subordination et innovation
La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux consacre la dernière livraison de ses "Dossiers solidarité et santé" à un sujet relativement peu traité, celui de l'action sociale facultative des communes et des intercommunalités. Le sujet ne manque pas de rappeler le débat sur les droits connexes locaux, qui avait beaucoup agité les esprits, il y a quelques années, et avait débouché sur le rapport de la sénatrice Sylvie Desmarescaux et la signature d'une déclaration commune sur les droits connexes... puis pas grand-chose d'autre (voir nos articles ci-contre des 15 mai et 20 juillet 2009).
Des champs d'intervention et des actions très divers
L'étude de la Drees ne fait qu'effleurer ce sujet et cherche plutôt à cerner les contours et les modalités de mise en œuvre de cette actions sociale facultative. Il s'agit en l'occurrence d'une étude qualitative fondée sur une série d'entretiens menés dans trois départements et, dans chacun d'eux, auprès de cinq communes ou intercommunalités à la typologie bien diversifiée.
Le premier constat réside dans la grande diversité des actions menées. Car, "si le conseil général est, en France, la collectivité 'chef de file' en matière d'action sociale et médicosociale, les communes ont, pour leur part, des attributions obligatoires relativement peu nombreuses - au sens où elles sont rarement détaillées - sur cette thématique, laissant une large part à l'initiative".
Cette situation se traduit par une grande diversité dans le champ de compétences et le positionnement des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS ou Cias). Ces écarts dans les périmètres sont encore accrus par les différences qui existent, selon les collectivités, dans la répartition des compétences entre le CCAS ou le Cias - structure juridique autonome dotée de la personnalité morale - et les services de la commune ou de l'intercommunalité. Le cas de l'accueil de la petite enfance - géré ou non en direct par la collectivité - est particulièrement emblématique à cet égard (voir notre article ci-contre du 24 janvier 2014).
Autre enseignement : si ces actions sociales sont facultatives, elles ne se situent en revanche "jamais très loin" des compétences obligatoires et s'articulent étroitement avec elles. L'attribution d'une aide sociale est en effet associée, le plus souvent, à la mise en œuvre d'un dispositif légal obligatoire.
Trois grandes catégories d'action sociale
Sans apporter - approche qualitative oblige - aucun élément chiffré, l'étude s'efforce de dresser une typologie des "formes classiques" de l'action sociale facultative. Celle-ci recouvre trois grandes catégories : les prestations (aides directes, prestations en nature, chèques d'accompagnement...), les établissements et services (Ehpad, accueil de la petite enfance, accompagnement des personnes en situation d'exclusion, consultations médicales et dispensaires, accompagnement des personnes handicapées), les services à la personne (portage de repas, livraisons à domicile, petits dépannages…). Toutes ces composantes diverses s'inscrivent dans le cadre d'une mission générale de prévention et de développement social.
Cet effort de catégorisation ne se retrouve cependant pas toujours du côté des acteurs, certains ignorant même le sens précis de la notion d'aide sociale facultative, mais la percevant comme "un devoir". En l'occurrence, la commune ou l'intercommunalité "fait ce qui apparaît indispensable et que les autres ne font pas", ce qui ôte beaucoup de sa portée à la notion de "facultatif". En outre, la commune apparaît souvent comme l'ultime intervenant auprès des personnes en difficulté, "après que les autres collectivités ont déployé leurs politiques, alors qu'elle semble être le premier identifié par les usagers". La commune apparaît ainsi, de fait, comme le premier recours notamment face à des situations d'urgence. Des perceptions et une situation qui ne font que renforcer l'extrême diversité des périmètres, des missions et des actions...
"Un écosystème plus ou moins constitué"
Dans ces conditions, l'étude décrit l'organisation territoriale de l'action sociale comme "un écosystème plus ou moins constitué". Pour justifier ce qualificatif pas très valorisant, la Drees met en avant différents facteurs qui expliquent, à nouveau, la grande diversité des situations : la taille de la commune, l'existence ou non d'un CCAS (liée au facteur précédent), la présence ou non sur son territoire d'autres grands acteurs sociaux (le siège ou une antenne de la CAF, le siège d'une unité territoriale du conseil général...), la densité du réseau associatif, la couverture ou non par la politique de la ville...
Mais le principal facteur discriminant reste les "relations ambivalentes" entre les communes et les départements. Ces derniers influencent fortement l'action sociale facultative des communes et des intercommunalités. Selon les cas - et la taille des communes -, l'étude relève ainsi une imbrication plus ou moins forte entre les deux collectivités dans la mise en œuvre des politiques d'action sociale, une dépendance plus ou moins grande de la commune ou de l'intercommunalité à l'égard de la "force de frappe" sociale du département, voire, dans certaines situations, "des partenariats inexistants et des attitudes de défiance".
De l'approche traditionnelle à l'approche populationnelle et territoriale
L'étude met également en avant une autre caractéristique forte : le passage progressif d'une approche individuelle de l'action sociale facultative - le positionnement historique centré sur le CCAS, ancien "bureau d'aide sociale" - à des approches plus collectives. Cette action sociale populationnelle est une réponse à ce que l'étude appelle la "pauvreté capacitaire", autrement dit la vulnérabilité d'une catégorie de population (personnes âgées ou handicapées, enfants, personnes victimes de violences). Ces dispositifs associent en effet des aides traditionnelles - notamment financières - à des dispositifs de soutien pour pallier une vulnérabilité physique ou sociale. La promotion de l'égalité des chances et le développement du lien social jouent aussi un rôle croissant, à travers des politiques comme la lutte contre l'exclusion des jeunes ou les politiques d'accessibilité. Ces nouvelles approches reposent et amplifient la question de la répartition des rôles entre la commune et son CCAS.
Dans le même esprit que l'approche populationnelle, la Drees souligne également la montée en charge d'une autre forme d'approche collective : l'action sociale territoriale. Fortement marquée par la politique de la ville, celle-ci se traduit par la mise en œuvre d'une géographie prioritaire, qui peut d'ailleurs s'étendre parfois à l'ensemble du territoire de la commune. En tout état de cause, ces deux approches - populationnelle et territoriale - favorisent la mise en œuvre d'actions ou de dispositifs plus innovants et plus partenariaux que ceux de l'action sociale traditionnelle.
Un pilotage largement perfectible
L'étude passe ensuite en revue les enjeux de pilotage de l'action sociale locale. Elle relève à la fois le manque de valorisation de l'action sociale dans les politiques communales, les "délégations éparses" des élus pas toujours en lien avec l'organisation des services et l'absence de lieux d'échange pour élaborer des orientations stratégiques. Autre phénomène pointé par l'étude : l'existence de "CCAS de papier". Dans ce cas de figure, les centres "ne correspondent pas à un lieu d'accueil physique, mais à un outil de gestion des aides sociales". Cette situation concerne plutôt des collectivités de petite taille, puisque les deux cas relevés par l'étude correspondent à des communes comptant respectivement 200 et 3.800 habitants.
En matière d'outils de pilotage - et quelle que soit la taille de la collectivité -, la Drees souligne les insuffisances persistantes de l'analyse des besoins sociaux (ABS), une démarche pourtant obligatoire tous les sept ans, mais pas toujours mise en œuvre, faute d'une perception partagée de son utilité.
Echelon intercommunal : le meilleur et le pire
Enfin, l'étude se penche sur "ce que change l'échelle intercommunale dans la mise en œuvre de l'action sociale". Un domaine marqué à nouveau par une extrême diversité des situations en matière d'étendue de la délégation sociale à l'intercommunalité. En l'espèce, les aspects positifs tiennent aux enjeux d'efficacité et de performance, favorisés par l'intercommunalité. En revanche, il existe un vrai risque de "transversalité limitée" et "d'intercommunalité à la carte", qui peut se révéler fortement contreproductif dans la prise en charge des besoins sociaux du territoire. En pratique, les cas de figure rencontrés sont très variables, allant de dispositifs sociaux intercommunaux portés par la ville-centre à un Cias dans une communauté de communes sans compétence sociale.
Conclusion générale de ce travail très instructif : "Si la commune s'affirme comme l'acteur de proximité par excellence et est identifiée à ce titre par les populations comme le lieu qui délivre informations et aides sociales, les professionnels de terrain constatent que la taille et les moyens de la commune, les aléas du partenariat et de l'implication politique ne permettent pas toujours la mise en œuvre d'une action sociale efficace dans la lutte contre les exclusions et dans un projet plus large de cohésion sociale".