Citoyenneté / Jeunesse - Yannick Blanc : "C'est avec les 500.000 élus locaux que l'on va réussir l'universalisation du service civique"
Localtis - Où en est la montée en charge du service civique, par rapport à l'objectif de 110.000 jeunes volontaires fixé pour l'année 2016 ? Et quel est actuellement le niveau de contribution des collectivités locales ?
Yannick Blanc - En 2015, nous avons eu 52.000 volontaires en service civique. En 2016, au 1er juillet, on en sera à 45.000. Sachant que l'on démarre plus de missions en septembre, on estime que l'objectif de 110.000 jeunes est à portée de main.
La contribution des collectivités locales est encore très faible, avec 6% des missions. C'est auprès des collectivités qu'il y a la plus grande marge de progrès. Ma conviction, c'est que nous n'atteindrons l'objectif qui nous a été fixé par le président de la République d'un service civique universel que si nous parvenons à convaincre les communes que le service civique est un formidable outil pour elles, à la fois pour leur politique de la jeunesse et pour développer des projets de toute nature. Ce travail auprès des maires sera vraiment au cœur de ma stratégie dans les mois qui viennent. J'ai commencé à rencontrer des maires qui se sont déjà engagés dans le service civique et les retours d'expérience sont très positifs. C'est sur la base de ces retours d'expérience que l'on pourra convaincre d'autres maires.
Est-ce que vous avez déjà des pistes pour accélérer cette mobilisation ? La commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi Egalité et Citoyenneté (Plec) suggère d'établir des objectifs chiffrés contraignants pour les collectivités, cette idée vous semble-t-elle intéressante ?
Pas du tout. L'esprit du service civique, c'est l'engagement volontaire. La généralisation du service civique est la réponse apportée par le président de la République à la capacité de mobilisation que le pays a manifestée au lendemain des attentats de 2015. Nous savons aujourd'hui qu'il existe dans le pays une formidable capacité d'engagement. Il y a 16 millions de bénévoles. Il y a 200.000 jeunes qui sont candidats à des missions de service civique. Le pari, c'est de donner à cette envie de mobilisation les moyens de se réaliser. Il faut donc faciliter les procédures, accompagner la conception des missions. Il y a un travail d'information, de facilitation, d'accompagnement à faire, mais certainement pas d'obligation. Si on introduit dans le service civique une dose même homéopathique d'obligation, on tue le projet lui-même. Le projet est de dire : le pays a en lui-même les ressources de l'engagement. Il ne s'agit pas d'embrigader les gens, ni de reconstituer sous une forme ou sous une autre un service national obligatoire.
Vous évoquez les maires. Est-ce plus facile de développer le service civique au niveau de la municipalité qu'aux autres niveaux de collectivités ?
Tous les niveaux de collectivités ont la capacité d'intervenir dans ce dossier. Les régions vont être chefs de file des politiques de la jeunesse, elles sont déjà en charge de l'apprentissage, de l'orientation, elles auront évidemment un rôle à jouer. Je vois que des agglomérations se mobilisent. Aujourd'hui, un "civic dating" était organisé à Narbonne par l'agglomération pour permettre à de jeunes candidats de trouver des missions. Tout le monde peut se mobiliser, mais il y a 36.000 communes en France et dans chacune de ces communes il y a un conseil municipal. Qu'est-ce qu'un conseil municipal ? Ce sont des citoyens engagés bénévolement. Donc la force de l'engagement civique est déjà présente dans notre pays, elle est incarnée par les 500.000 élus locaux. C'est avec eux qu'on va réussir à avoir 350.000 jeunes en mission de service civique [l'objectif fixé à l'horizon 2018, ndlr]. Et la commune, c'est vraiment le terrain de base de l'engagement civique, de la démocratie, du contact entre les gens.
Le Plec prévoit l'extension des potentiels organismes d'accueil de jeunes en service civique et des craintes se sont exprimées sur une possible dissolution des spécificités du service civique du fait de cette extension. La Commission spéciale a tenté de répondre à ces craintes par un renforcement de l'encadrement, y êtes-vous favorable?
C'est dans une tribune parue dans Libération (1) que les craintes se sont exprimées avec la plus grande netteté. Les deux associations Génération Précaire et la Voix des volontaires y expliquent qu'aujourd'hui, dans les missions de service civique, on a constaté un certain nombre de dérapages et un risque de substitution à l'emploi, notamment dans les services publics. Et donc, si demain on généralise le service civique, on va généraliser les dérapages et à la fin on aura une nouvelle forme d'emploi précaire. Cette alerte est légitime, il faut évidemment y faire face.
Dans le Plec, les députés ont tenu à réaffirmer de manière solennelle que la mission de service civique ne pouvait pas se substituer à un emploi existant. Si on veut donner corps à cette affirmation et si on veut éviter de multiplier les normes, c'est dans la conception même des missions de service civique qu'il faut échapper à ce risque. Une mission de service civique correspond à un objectif collectif. C'est un projet qu'on monte et qui a une dimension civique, ce n'est pas une tâche que l'on donne à un jeune dans le fonctionnement habituel du service ou de l'association. Quand on regarde les missions de service civique réussies, ce sont souvent des missions où se sont inventées des choses nouvelles, dans l'accompagnement des usagers, des patients, dans des projets de médiation culturelle. Par exemple, 300 jeunes en service civique d'Unis-Cité sont allés, avec le soutien du Centre national du cinéma, faire revivre des ciné-clubs dans des lycées. Ils ont fait de la diffusion culturelle, ont appris à animer un débat, sont allés à la rencontre d'autres jeunes : la vocation du service civique se réalise complètement dans un projet comme celui-là. On est sur les valeurs, la rencontre, des projets qui sont conduits par des jeunes, on n'est pas du tout dans les missions habituelles du lycée ou de l'établissement culturel de la commune. C'est en développant cette stratégie de projets citoyens qu'on parera au risque de la substitution à l'emploi.
Le texte du Plec revu par la Commission spéciale fait de ce caractère non substituable à l'emploi des missions un critère d'attribution de l'agrément service civique…
C'est déjà un critère d'octroi de l'agrément pratiqué par les équipes de l'Agence du service civique et par les préfets, ces derniers ayant depuis le 1er janvier 2016 la capacité d'accorder des agréments à tout organisme qui propose une mission de service civique au niveau départemental (2). La loi en fait un critère légal, ce qui donne plus de force à l'Agence et aux préfets pour refuser les missions qui ne seraient pas conformes à la vocation du service civique.
Concernant les autres dispositifs d'engagement que vous avez la charge de développer, notamment la réserve citoyenne, quelles sont les évolutions que vous envisagez ? Dans les réserves citoyennes territoriales en particulier, comment les collectivités locales pourraient-elles être impliquées ?
Je suis en train d'ouvrir ce chantier. La première étape pour commencer à construire la réserve citoyenne, c'est de lever les craintes ou les réticences qu'il peut y avoir dans le monde associatif. Le monde associatif redoute que la réserve citoyenne soit une espèce de système de prélèvement public sur la ressource bénévole. Je vais m'employer à l'occasion d'une série de rencontres à dissiper ce malentendu, à voir concrètement sur quelles modalités d'organisation on doit être vigilant. Ensuite, nous allons, en commençant par expérimenter dans un certain nombre de départements, organiser les premières réserves citoyennes territoriales. Le noyau d'organisation d'une réserve civique – puisque c'est comme ça qu'elle a été rebaptisée par les députés -, c'est une alliance triangulaire entre le préfet, les élus locaux du département et les associations. La démarche prendra tout son sens si ces trois composantes travaillent ensemble à imaginer les missions de la réserve et la façon de l'animer.
Les associations ont-elles peur d'être mises de côté dans certains domaines où elles sont actuellement très présentes comme l'éducation ?
Les associations ne seront mises de côté nulle part. On ne fera pas de réserve si on n'intègre pas dans le projet la force bénévole qui existe aujourd'hui. Dans les associations, il y a les bénévoles les plus engagés, les plus compétents, donc on ne construira pas la réserve sans eux. Il faut chercher des complémentarités, chercher ce que la réserve apporte de plus à l'engagement bénévole.
Il y a déjà des réserves thématiques qui existent dans un certain nombre d'administrations, avec des réserves très spécialisées, très professionnelles - les réserves de la gendarmerie, de la police nationale et de la défense nationale. Compte tenu de leurs missions, elles ne sont pas accessibles à tous les citoyens. Ce que nous allons construire aujourd'hui, c'est une réserve ouverte à l'ensemble des citoyens, sur des missions ayant un caractère plus général. Sur la réserve qui s'est constituée dans l'Education nationale, il faut chercher des synergies, des convergences, entre des citoyens qui se sont manifestés pour être réservistes et des associations qui agissent dans le champ de l'éducation, de la lutte contre le décrochage scolaire, de la prévention… Les projets qui peuvent s'appuyer sur l'engagement sont innombrables. Il faut qu'on ait un peu de méthode et qu'on fasse passer dans ce pays cette culture du respect mutuel des différentes formes d'engagement. Les administrations, les services publics reposent sur des gens très engagés. Dans les collectivités locales, chez les élus et dans les associations, il y a évidemment aussi un sens aigu de l'engagement. Si ces trois composantes se retrouvent sur des projets communs, on n'aura pas de difficulté à faire la réserve civique.
Est-ce que vous avez des exemples de territoires qui, sans forcément appeler cela "réserve territoriale", ont déjà mis en place de telles synergies ?
J'ai un exemple précis : la mobilisation que j'ai organisée en tant que préfet du Val-d'Oise pour accueillir 200 réfugiés syriens et irakiens en septembre dernier. Cette opération, qui a duré plus de trois mois et a été très difficile, a pu réussir parce que les services de l'Etat, les collectivités locales – l'agglomération de Cergy et la ville de Montmorency – et une dizaine d'associations du département ont travaillé d'un commun accord. Malgré les tensions et même les conflits qui sont survenus pendant ces trois mois, tous ont estimé à la fin que cela avait été une expérience très positive. C'est de cet exemple que je souhaite m'inspirer.
Sur l'évolution de la Journée Défense et Citoyenneté, avez-vous déjà des idées ?
Sur ce sujet, il y a déjà eu beaucoup d'analyses et de propositions qui ont été faites – un rapport de la Cour des comptes, des propositions de parlementaires, notamment. Mon intention est de travailler main dans la main avec les responsables du service national au ministère de la Défense. On fera ensemble la synthèse des propositions qui existent et on réfléchira en termes de faisabilité. Développer la Journée Défense et Citoyenneté, c'est un beau projet, tout le monde pense que c'est nécessaire, mais cela mobilise des moyens considérables. Nous allons donc travailler là-dessus et faire des propositions d'ici la fin de l'année.
Le projet de loi Egalité et Citoyenneté, et notamment son titre I, a-t-il pour vous une portée surtout symbolique ou contient-il des mesures qui amorcent de vrais changements pour la dynamique d'engagement et la jeunesse ?
Ce qui est symbolique, c'est de réunir dans un même texte des dispositions de natures diverses portant sur l'égalité et la citoyenneté – le logement, la lutte contre les discriminations, etc. Le titre I va consolider un certain nombre de choses dans la loi, affirmer des principes, poser les bases législatives de la réserve civique – jusqu'à présent, c'était un projet, mais sans base législative -, introduire des dispositions qui vont renforcer l'encadrement des missions de service civique. Les mesures portées par un tel texte ont une portée pratique, elles peuvent donc avoir l'air relativement dispersé mais en même temps elles concourent à la vitalité et à la cohérence de l'ensemble du dispositif.
Concernant les dispositions relatives aux politiques jeunesse, d'un côté la région devient chef de file, de l'autre certains domaines restent assez fortement sous le giron de l'Etat…
Quand on veut construire une grande politique publique, on ne sait pas faire autrement que de coopérer entre l'Etat, les différents niveaux de collectivités territoriales et les associations. Je trouve ça très bien que la région ait un rôle de chef de file en matière de politique de la jeunesse, parce qu'elle a déjà un rôle clé en matière de formation professionnelle, elle est responsable du service public de l'orientation qui est un enjeu fondamental. Beaucoup de jeunes font, à un moment donné, un service civique parce qu'ils ne savent pas comment s'orienter. La motivation de départ est parfois vraiment faible : "je vais faire un service civique en attendant mieux". Et, dans la plupart des cas, l'expérience du service civique leur révèle leurs vraies envies, leurs vraies capacités et ils trouvent une orientation à la sortie. Rapprocher la politique du service civique et la politique de l'orientation, c'est un vrai projet. On va donc évidemment chercher les voies de coopération entre les régions et l'Etat.
Sur les relations entre pouvoirs publics et associations, avez-vous des éléments sur la territorialisation de la charte des engagements réciproques ? Cette dernière paraît encore balbutiante.
La territorialisation n'est pas balbutiante, c'est un travail de longue haleine. La charte proclame des principes, donne une légitimité à un certain nombre d'objectifs. Quand on arrive au niveau territorial, on travaille sur du concret, des projets, des moyens, sur la façon dont on s'organise, dont les collectivités conçoivent leurs appels à projets… Là on est dans le dur et c'est normal que ces discussions prennent du temps. Les préfets ont été encouragés par circulaire à susciter des déclinaisons territoriales de la charte, certaines collectivités locales s'y sont mises de manière volontaire. C'est un mouvement qui prendra du temps parce que, parmi les questions qui sont en jeu dans cette charte, il y en a beaucoup qui portent sur des politiques publiques qui sont en pleine mutation. Dans les politiques sociales, éducatives, culturelles, il y a des transformations rapides, tout le monde est un peu déstabilisé, il faut donc un peu de patience pour trouver des terrains d'accord. Je préfère que les partenaires sur le terrain prennent du temps pour savoir comment décliner la charte et que ça ne reste pas purement un geste d'affichage. C'est ambitieux, c'est difficile, mais l'idée que, dans un nombre de plus en plus important de domaines, on a besoin de cette coopération entre associations et pouvoirs publics, s'impose et le projet du service civique est la traduction concrète de cette ambition.
Propos recueillis par Caroline Megglé
(1) Tribune intitulée "Le service civique, statut précaire de demain ?" et parue le 14 juin 2016. Le Collectif Génération Précaire et la Voix des volontaires y proposent différentes idées pour mieux encadrer le service civique, notamment celle de "créer un espace d’évaluation pluri-acteurs (Etat, collectivités locales, associations, syndicats et volontaires) et territorial sur la mise en œuvre du dispositif".
(2) "Les organismes qui ont des projets de service civique à l'échelon national sont agréés par l'Agence du service civique. Lorsque l'organisme est de taille locale, départementale ou infra-départementale, il est agréé par le préfet", précise Yannick Blanc.