Une mission sénatoriale veut "réarmer la politique publique de l'eau"
La mission d'information sénatoriale sur la gestion durable de l'eau a présenté les conclusions de ses travaux ce 12 juillet. Elle formule 53 recommandations pour "réarmer la politique publique de l'eau" face aux nouveaux défis liés à la sécheresse et à la pollution. Prise en compte de l'eau dans les documents d'urbanisme, ingénierie renforcée, mise à jour des schémas d'interconnexion des réseaux, modulation des redevances selon les taux de fuite, regroupement des petites unités d'assainissement… : de nombreuses propositions concernent directement les collectivités territoriales. Les sénateurs réclament aussi davantage de moyens et appellent à promouvoir les contrats d'engagements réciproques pour remédier aux conflits d'usage.
"Notre travail fait la synthèse de différents autres éléments, de rapports parlementaires, de déclarations du gouvernement, etc. Nous nous sommes efforcés de les approfondir et avons regardé les chemins que nous pouvons mettre en place pour aller plus vite et plus fort", a déclaré ce 12 juillet Hervé Gillé, sénateur (SER) de la Gironde et rapporteur de la mission d'information du Sénat sur la gestion durable de l'eau présidée par Rémy Pointereau, sénateur (LR) du Cher, en présentant les conclusions de cinq mois de travaux. Lancée en février dernier à l'initiative du groupe socialiste, au titre de son droit de tirage, la mission a mené 66 auditions, effectué quatre déplacements (à Bruxelles, dans le Cher, en Gironde et en Italie) et œuvré dans un esprit "transpartisan", a souligné Rémy Pointereau.
"Obligation de sobriété"
Si globalement la gestion de l'eau en France reste "assez performante (...) quand on est en situation de crise, on voit les limites du système", a expliqué Hervé Gillé. Or, il faut "se préparer à une ressource qui va sans doute diminuer" du fait du réchauffement climatique. Dans ce contexte, "la sobriété n'est plus une option mais une obligation" et la "qualité de l'eau une exigence", a-t-il souligné.
Les 53 propositions du rapport, qui a été adopté à l'unanimité, visent donc à "réarmer la politique publique de l'eau". Cela passe d'abord par "une gouvernance participative par bassin". Pour les sénateurs, la sobriété hydrique exige la "recherche de contrats d'engagements réciproques entre acteurs par bassin et sous-bassin". Industriels, agriculteurs, syndicats d'eau… : "il faut embarquer tout le monde sur ce chemin", estime le rapporteur.
La mission propose dans ce cadre de conforter la place du Comité national de l’eau (CNE) en lui donnant des missions d’expertise propre et de médiation, de développer la fonction de médiation des comités de bassin - comme l'a fait récemment le comité de bassin de Loire-Bretagne (voir notre article du 10 juillet 2023), de créer des commissions locales de l’eau (CLE) dans chaque sous-bassin et de leur permettre l’adoption de Sage (schémas d'aménagement et de gestion de l'eau) de préfiguration dotés d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs contraignants. Les sénateurs souhaitent aussi que les documents de gestion de l'eau soient mieux intégrés dans les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d'urbanisme (PLU/PLUi). Ils recommandent en outre de sécuriser juridiquement les possibilités laissées aux départements de piloter les politiques locales de l'eau et de créer une mission d'appui pour les maîtres d'ouvrage des projets liés à l'eau dans les outre-mer pour pallier le déficit d'ingénierie privée mobilisable.
Retenues d'eau : "remettre les gens autour de la table"
La mission souligne l'importance de progresser dans la connaissance sur la ressource disponible et les prélèvements. "Nous ne pourrons pas aller vers des politiques d'engagement si nous ne maîtrisons pas mieux les données sur les prélèvements et la ressource, a mis en garde le rapporteur. C'est indispensable avant de discuter de la redistribution." Revenant sur la question sensible des retenues d'eau agricoles, les sénateurs écartent l'idée d'un moratoire mais invitent à "remettre les gens autour de la table". Parmi les huit recommandations qu'ils formulent à ce sujet, ils appellent à "garantir des procédures claires s'inscrivant dans des délais raisonnables d'autorisation et de déclaration des ouvrages de retenue" et à privilégier un portage public des projets par des collectivités ou des syndicats mixtes et dans une optique de multi-usages".
Améliorer la performance des services d'eau et d'assainissement
L'amélioration de la qualité de l'eau est un "objectif prioritaire", insistent les sénateurs et un "effort" doit être fait sur les micropolluants, dont les effets sur la santé et l'environnement "restent encore à découvrir". Outre tout un volet de mesures visant à améliorer les connaissances sur l'eau, ils livrent une série de recommandations pour "garantir une haute performance des services d'eau potable et d'assainissement". Parmi celles concernant l'eau potable, ils proposent de mettre à jour dans chaque département "un schéma d'interconnexion qui identifie les difficultés d'approvisionnement des différentes communes et précise les mesures structurelles à prendre pour sécuriser l'approvisionnement en eau ainsi que les mesures de crise possibles en cas de rupture d'approvisionnement".
La Banque des Territoires engagée pour la gestion de l'eau
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Pour lutter contre les fuites, ils espèrent l'atteinte d'un rendement des réseaux de 85% d'ici cinq à six ans, option jugée la plus soutenable financièrement - "au rythme actuel, il faudrait plus de 150 ans pour renouveler les réseaux d'eau des villes de taille moyenne". Ce taux de rendement-cible de 85% étant fixé, ils jugent nécessaire d'"adopter une tarification de redevance très dissuasive pour les réseaux les plus fuyards". Les sénateurs appellent aussi à une meilleure protection des zones de captage pour l'eau potable.
Concernant l'assainissement, il faudrait selon eux encourager les aménagements favorisant l’infiltration d’eau de pluie pour retarder le plus possible l’engorgement des égouts et le débordement des stations d’épurations consécutifs aux épisodes de fortes précipitations et regrouper les petites unités d’assainissement, pour faire face à la prochaine génération d’investissements lourds. "De ce point de vue, les stations desservant moins de 2.000 habitants paraissent non viables à moyen terme", estiment-ils.
Enjeux financiers
Enfin, notent les sénateurs dans leur rapport, "il n'y aura pas de politique de l'eau ambitieuse sans moyens financiers ambitieux".
À cet égard, le plan Eau, annoncé fin mars par le président de la République est "insuffisant", a estimé Hervé Gillé. Les 475 millions d'euros par an pour les agences de l'eau, destinées à les accompagner dans la mise en oeuvre de ce plan "ne sont pas satisfaisants compte tenu des enjeux", a-t-il jugé. Selon lui, il faudrait "les doubler si on veut aller vers des trajectoires performantes". La mission propose de supprimer d’ici la fin 2023 le plafond mordant de recettes et de relever les plafonds d’emplois et les plafonds de dépenses des agences de l’eau, afin de pérenniser les 475 millions d’euros de recettes supplémentaires proposées par le plan Eau et de relancer la réflexion sur les modalités d’une solidarité financière interbassins, afin de soutenir davantage les agences les moins bien dotées. Autre recommandation : flécher une ressource nouvelle destinée à financer spécifiquement les actions des agences de l’eau en faveur de la biodiversité, pour alléger la charge reposant sur les usagers du petit cycle.
Solutions pour remédier aux difficultés de la Gemapi
Hervé Gillé a aussi pointé les difficultés de la Gemapi (gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations). "Cela ne fonctionne pas pour les fleuves et les grands cours d'eau, regrette-t-il. Il n'y a pas de possibilité financière d'accompagner les travaux ; il faudrait trouver des subventions." Le rapport propose donc de mettre en place une fraction de taxe Gemapi mutualisée sur l’ensemble du bassin versant, pour soutenir les actions au titre de la Gemapi des EPCI disposant de peu de ressources et de longs linéaires à protéger et de permettre aux EPCI de s’adosser aux EPTB (établissements publics territoriaux) existants pour déléguer l’exercice de la Gemapi et les ressources afférentes. Les sénateurs proposent aussi d'accompagner les autorités organisatrices de l’eau pour se saisir des solutions de financements longs, permettant des amortissements sur 50 à 60 ans, tels les "aqua-prêts".
Pour inciter à la sobriété et à la préservation de la qualité de l’eau, ils préconisent de récompenser les services d’eau et d’assainissement performants par une forte modulation des redevances selon les taux de fuite ou les taux de non-conformités des rejets des stations et d'encourager les collectivités à mettre en place une tarification dégressive de l'eau, au moins pour les usagers dotés de compteurs individuels, et d'interdire par la loi toute tarification dégressive incitant au gaspillage.