Plan Eau : Emmanuel Macron veut conforter le rôle des élus locaux

Le président de la République a dévoilé ce 30 mars les grandes lignes du plan Eau, qui sera précisé ce vendredi par le ministre de la Transition écologique. Il fixe un objectif de 10% de réduction des prélèvements d’ici 2030 par rapport à 2019 ou encore celui de passer de 1% à 10% d’eau usée réutilisée, notamment via le déploiement de 1.000 projets en lien avec les collectivités. Plusieurs mesures devraient satisfaire ces dernières, comme l’annonce de nouveaux moyens, notamment pour rénover les réseaux ou mettre aux normes les stations d’épuration prioritaires. Le président appelle également à généraliser la tarification progressive de l’eau.

Après l’Allemagne le 15 mars (voir la version anglaise de cette stratégie), c’est au tour de la France de présenter son plan Eau. Porté par le ministre de la Transition écologique, il a finalement été présenté ce jour par le président de la République lui-même (voir notre article du 29 mars), volant la vedette à la Première ministre, initialement prévue pour le porter sur les fonts baptismaux. Christophe Béchu doit toutefois le présenter ce vendredi plus en détail.

"On ne part pas de rien", a d’abord souligné Emmanuel Macron. Vantant la politique de l’eau "innovante" conduite en France dès les années 1960, il a néanmoins relevé qu'il s'agissait alors de "se battre contre la pollution et pour la qualité", alors que le défi est dorénavant celui "de la quantité". Ce plan vise à la fois le court terme, alors que s’annonce "un été difficile" – le président de la République a d’ores et déjà prévenu que "toutes les crises ne seront pas évitées dès cet été" – et le long terme.

Un plan de sobriété eau

Composé de 53 mesures, ce plan n’est pas sans rappeler le plan Sobriété énergétique, dont il reprend certains dispositifs. Ainsi de l’objectif d’une réduction de 10% de l’eau prélevée d’ici 2030 (par rapport à 2019) "dans tous les secteurs", a précisé le président (rappelons que les Assises de l’eau de 2019 fixaient déjà un objectif de réduction des prélèvements d’eau de 10%, mais d’ici 2025, et de 25% en 15 ans). Ici encore, l’État devra se montrer exemplaire : une démarche de sobriété et de lutte contre le gaspillage sera engagée dès 2023 "au sein des administrations publiques" (le président évoquant des kits hydro-économes et des récupérateurs d’eau). Toutes les filières économiques devront, elles, établir dès cette année un plan de sobriété, avec une attention particulière pour les 50 sites industriels ayant le plus fort potentiel de réduction. Le président a également visé en particulier le secteur de la production d’électricité – qui représente "51% des prélèvements et 12% de la consommation de la ressource". Il a indiqué qu’un plan d’investissement sera notamment lancé pour faire fonctionner davantage les centrales nucléaires en circuit fermé.

Une agriculture à adapter

Le président de la République a longuement évoqué le cas de l’agriculture, alertant sur la nécessité "d’adapter nos modes de culture", "de réinventer les schémas de culture et de production", mais aussi de "faire plus d’irrigation avec la même quantité d’eau". "Toutes les nouvelles installations agricoles seront adaptées au climat de demain", a-t-il annoncé, en précisant que le "diagnostic eau, sols et adaptation sera intégré aux aides à l’installation". 30 millions d’euros supplémentaires par an seront en outre consacrés au soutien des pratiques agricoles économes en eau à compter de 2024. Et 100 millions d’euros supplémentaires par an seront également mobilisés pour financer les pratiques vertueuses des agriculteurs à l’égard de la qualité de l’eau, a annoncé le président.

Abordant la question brûlante du stockage de l’eau, il a d’abord souligné que la priorité était de "maximiser la capacité de notre principal outil de stockage, que sont nos sols" ; puis "d’utiliser les ouvrages existants et d’améliorer l’infiltration dans les nappes", annonçant un "fonds hydraulique agricole" en ce sens ; enfin, concernant "les nouveaux ouvrages parfois nécessaires", il a mis en avant la nécessité non de "s’accaparer l’eau", mais de la partager. "Les nouvelles retenues devront être inscrites dans des projets de territoire concertés, notamment avec les collectivités territoriales, qui peuvent jouer un plus grand rôle pour piloter certains projets, avoir plusieurs usages et être conditionnées à des changements de pratique", a-t-il précisé.

Des objectifs chiffrés pour les Sage et les PTGE

Le plan prévoit également que chaque grand bassin versant sera doté "dès 2027" d’un plan d’adaptation au changement climatique, précisant la trajectoire de réduction des prélèvements. Des objectifs chiffrés des prélèvements seront définis dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1.100 bassins du pays  - schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) et projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Au fur et à mesure de leur renouvellement, il sera mis fin aux autorisations de prélèvement au-delà de ce qui est soutenable dans les bassins versants dits en déséquilibre.

Réseaux fuyards et compteurs

Pour lutter contre les réseaux fuyards, le plan prévoit que 180 millions d’euros par an d’aides supplémentaires des agences de l’eau seront dédiés au petit cycle de l’eau – conditionnées à une amélioration durable de la gestion du patrimoine. Sont ciblées en urgence les 170 collectivités ayant des taux de fuite supérieurs à 50% et les 2.000 communes ayant connu des tensions sur l’eau potable en 2022. De manière générale, les aides des agences de l’eau seront conditionnées à des objectifs de performance de gestion du patrimoine.

Le président a également fait part de sa volonté de travailler "avec les collectivités pour généraliser en dix ans les compteurs intelligents, en commençant par les plus grands usagers de l’eau". Dans dix territoires l’an prochain, sera expérimentée l’installation de compteurs avec télétransmission des volumes prélevés obligatoire pour tous les prélèvements importants (dépassant le seuil d’autorisation environnementale), pour une généralisation d’ici 2027. Le seuil de déclaration des forages domestiques sera également abaissé, et la procédure de déclaration simplifiée.

"Ecowatt de l’eau"

L’eau étant l’affaire de tous, une application présentée par le président comme un "Ecowatt (voir notre article du 14 septembre) de l’eau" – même si son ambition diffère – sera déployée d’ici l’été pour que chacun puisse connaître les restrictions s’appliquant suivant sa catégorie d’usager dans le territoire où il se trouve (géolocalisation) et rappelant les éco-gestes recommandés au regard de la situation locale. Le plan prévoit également une campagne de communication grand public, une sensibilisation renforcée en milieu scolaire ou encore l’accompagnement des particuliers à l’installation de kits hydro-économes et de récupérateurs d’eau de pluie.

10% d’eau usée réutilisée d’ici 2030

"En France, moins de 1% de l’eau usée est retraitée pour être utilisée une seconde fois. C’est 10, 15, 20 fois moins que […] les meilleurs dans le monde", a déploré le président de la République. Il a fixé l’ambition "raisonnable" d’atteindre 10% d’eau usée retraitée d’ici 2030, soit "trois piscines olympiques par commune" par an. Pour cela, le plan prévoit le développement de 1.000 projets de réutilisation des eaux non conventionnelles (REUT, eau de pluie, eaux grises…) d’ici 2027. Pour faciliter leur développement, Emmanuel Macron entend " faciliter et accélérer les procédures administratives et lever quelques verrous". Le plan précise que ces freins réglementaires seront levés dès 2023 dans certains secteurs industriels (dont l’agro-alimentaire) et pour certains usages domestiques. Le préfet de département deviendra le guichet unique pour l’accompagnement des porteurs de projet, ceux innovants rencontrant des blocages réglementaires pouvant également bénéficier d’un accompagnement de France Expérimentation. Un observatoire sur cette réutilisation sera mis en place. Un appel à manifestation d’intérêt dédié aux collectivités littorales sera en outre lancé par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel) et le Cerema, pour étudier la faisabilité de projets de REUT. La récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles sera soutenue.

Qualité et renaturation

D’ici juillet 2027, tous les captages seront dotés d’un "plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux". 50 millions d’euros par an supplémentaires d’aides des agences de l’eau seront consacrés à la mise aux normes des stations d’épuration prioritaires.

70 projets d’opérations (10 par grand bassin hydrographique) "Solutions fondées sur la nature" seront lancés dès 2023 comme démonstrateurs pour la restauration des zones humides, la renaturation ou encore la restauration des cours d’eau. Il est précisé que 100 millions d’euros du fonds vert seront dédiés à des projets de renaturation et de désimperméabilisation des collectivités.

Gouvernance

"Dans notre pays, l’eau est une compétence largement décentralisée. C’est un choix que je considère comme judicieux, au plus près des territoires. Les élus sont en première ligne et l’esprit du plan est de conforter leur rôle", a assuré le président. "Notre vrai problème, sur beaucoup de cas, ce sont les communes isolées", a-t-il déclaré. "Il nous faut sur ce sujet mettre beaucoup de souplesse et d’apaisement. Parfois, le modèle de l’intercommunalité est le bon, d’autres fois il faut mutualiser différemment. Je souhaite qu’on puisse consolider partout où c’est accepté le modèle de l’intercommunalité et ensuite qu’on puisse trouver les bonnes solutions de mutualisation : nouveaux syndicats possibles, intercommunalité choisie, mais en tout cas accélération de l’investissement."

Au-delà, le plan prévoit notamment que chaque sous-bassin versant sera doté d’ici 2027 d’une instance de dialogue et d’un projet politique de territoire organisant le partage de la ressource. Il indique également que le fonctionnement des commissions locales de l’eau sera "simplifié" et les Sage seront encouragés à définir des priorités d’usage ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage. Le Comité nationale de l’eau intégrera, lui, de nouveaux représentants des usagers de l’eau "et de la jeunesse". Les conditions "d’une intervention efficace" des conseils départementaux en matière d’assistance technique et financière seront "facilitées".

Moyens

"L’économie de l’eau, c’est environ 20 milliards d’euros par an […]. Elle est déclenchée par environ 2,2 milliards d’euros d’argent public" – correspondant au budget des agences de l’eau –, a indiqué le président. Aussi, pour "déclencher environ 6 milliards de plus dans l’économie de l’eau chaque année" avec le "même coefficient multiplicateur", le président a indiqué que le budget des agences de l’eau serait augmenté chaque année de 500 millions d’euros (le dossier de presse évoque 475 millions d’euros, comprenant les 180 millions pour les réseaux fuyards et les 50 millions pour les stations d’épuration évoqués précédemment). Le plafond de dépenses  des agences sera en outre supprimé "dès le prochain programme d’intervention", soit 2025… mais pas le plafond mordant sur les recettes.

Le président a également ajouté que la Banque des Territoires et la Caisse des Dépôts seront mobilisées "pour lancer un grand plan sur nos infrastructures" (voir encadré), afin de répondre "au sous-investissement historique". Les collectivités pourront notamment compter sur la mise en place par la Banque des Territoires d’une nouvelle génération d’Aquaprêts à taux bonifié. Elles pourront en outre inscrire les projets de protection et de restauration du patrimoine naturel dans leurs programmes pluriannuels d’investissement et dans les travaux éligibles aux dotations de l’État, sans plafond. Plusieurs dispositions sont par ailleurs spécifiquement prévues pour l’outre-mer.

Prix

Le président a également appelé à une "tarification progressive et responsabilisante de l’eau", souhaitant qu’elle soit, "en concertation avec les élus, généralisée en France". "Les premiers mètres cubes sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant […]. Au-delà d’un certain niveau, le prix sera plus élevé", indique-t-il. Pour l’heure, le plan prévoit seulement de "faciliter" la mise en place par les collectivités d’une "politique tarifaire adaptée aux enjeux des territoires" et la saisine du Conseil économique, social et environnemental "d’une mission sur les évolutions nécessaires pour faire des recommandations sur la tarification progressive de l’eau". Il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

 
  • La Banque des Territoires va accompagner la mise en place du plan Eau

La Banque des Territoires a annoncé ce 30 mars qu’elle allait renforcer ses actions à destination des élus locaux "pour accompagner le plan Eau impulsé par le gouvernement, et ainsi en massifier les effets dans les territoires". Face à l’urgence, elle compte mobiliser davantage de moyens financiers et techniques, et déployer "une démarche d’accompagnement spécifique de bout en bout pour accompagner les collectivités". "Le déploiement sera progressif courant 2023 et sera précédé d’une phase de test sur trois territoires pilotes", a-t-elle indiqué dans un communiqué. Son objectif est d’"accompagner la démarche volontariste des élus en les aidant à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets de gestion des eaux".
Sur la période 2023 – 2027, elle va mettre à la disposition des collectivités une enveloppe de 15 millions d’euros de crédit d’ingénierie pour les aider à élaborer et à mettre en œuvre les projets : infrastructures et réseaux, préservation et restauration des espaces aquatiques, adaptation aux changements climatiques. Elle va également doubler l’enveloppe de prêts mobilisables pour la gestion de l’eau et la Gemapi, jusqu’à atteindre 2 milliards d’euros, "ce qui correspondrait à 6 à 7 milliards d’euros de montant travaux", précise-t-elle. Ces prêts, qui bénéficient de l’abaissement de 20 points de base, soit un taux fixé à livret A+0,40 %, décidée par le ministre de l’Économie en février dernier pour les prêts dédiés à la transition écologique et énergétique, peuvent être proposés jusqu’à une maturité exceptionnelle de 60 ans, sans surcoût, met-elle en avant. "Ces maturités longues génèrent des baisses des charges financières annuelles et permettent aux emprunteurs de ménager leur capacité à financer d’autres projets et/ou atténuer l’augmentation du prix facturé aux usagers", souligne-t-elle, rappelant aussi qu'elle propose des prêts à taux fixes (selon des barèmes mis à jour mensuellement) pour des durées comprises entre 25 à 40 ans.

Elle dit également vouloir apporter "une attention particulière" à la "coordination renforcée" avec les agences de l’eau dans chaque région "afin d’articuler au mieux les aides publiques accordées et accroître le nombre de projets financés". Les solutions financières pouvant différer fortement selon les territoires, la Banque des Territoires veut faire reposer ses interventions sur un diagnostic territorial conçu avec les acteurs locaux, permettant ainsi à ses directions régionales de mobiliser les moyens adaptés aux besoins de chaque collectivité. 

La Banque des Territoires continuera aussi de mobiliser ses fonds propres pour investir dans des entreprises (privées, publiques locales) couvrant plusieurs segments de la gestion de l’eau et pour favoriser l’émergence de montages innovants, de type Semop (société d’économie mixte à opération unique)

Elle veut proposer par ailleurs un site internet dédié comme point d’entrée numérique et un parcours complet pour les collectivités pour faciliter l’élaboration et la mise en œuvre des projetsConçu avec de nombreux partenaires publics et privés (Association nationale des élus du bassin - Aneb, Bureau de recherches géologiques et minières, Cercle français de l’eau - CFE, France Water Team, Union des industriels de l’eau…), ce parcours propose un accompagnement global des collectivités  : sensibilisation, partage de connaissances, formation des acteurs territoriaux de l’eau, orientation dans la conception des projets, financement et mise en oeuvre des investissements grâce à l’agrégation de services proposés par l’ensemble des acteurs de l’eau, publics et privés. Ce parcours de bout en bout prendra la forme d’un site internet dédié, point d’entrée pour les collectivités, qui sera mis en ligne au cours du deuxième trimestre 2023. Il s’organisera autour de projets de référence, retours d’expérience, recensement des dispositifs d’accompagnement, d’ingénierie et de financements disponibles localement et référencera les partenaires publics et privés locaux rapidement mobilisables à proximité.

Enfin, la Banque des Territoires prévoit aussi de développer un outil cartographique pour mieux connaître la ressource en eau et appréhender sa disponibilité ainsi que sa qualité et un outil numérique reposant sur l’intelligence artificielle pour aider les collectivités à prioriser les travaux de rénovation de leurs réseaux, en leur permettant de visualiser leur patrimoine et d'identifier les fuites.
Anne Lenormand / Localtis

 

 

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