Christophe Béchu invite le Sénat à veiller au suivi du plan Eau
Auditionné par la mission sénatoriale sur la gestion durable de l’eau, qui doit remettre son rapport le 11 juillet prochain, Christophe Béchu s’est une nouvelle fois prêté au jeu des questions-réponses avec les parlementaires, qu’il a notamment invités à assurer le suivi de la mise en œuvre du plan Eau annoncé le 30 mars dernier. Il a notamment confirmé le lancement "dans les prochaines heures" de l’outil d’information sur l’état des restrictions d’eau.
Alors qu’elle s’apprête à remettre son rapport le 11 juillet prochain, la mission d’information sénatoriale sur "la gestion durable de l’eau" a auditionné ce 28 juin le ministre de la Transition écologique, qui s’est une nouvelle fois (voir notre article du 4 mai) prêté au jeu des questions-réponses sur le plan Eau présenté le 30 mars dernier (voir notre article). Interrogé sur les éventuels manques de ce dernier, Christophe Béchu estime, "avec quelques semaines de recul, qu’on a peu parlé d’assainissement". Il souligne toutefois que "tout l’enjeu pour moi maintenant d’ici la fin de l’année, jusqu’au projet de loi de finances […], c’est que les engagements qui ont été salués soient suivis des actes". Et de suggérer aux sénateurs que si leur "rapport décidait qu’il sera souhaitable, de manière régulière, de regarder où nous en sommes sur le suivi des engagements, ce serait aussi une manière de faire œuvre utile, au lieu d’indiquer ce que pourraient être les engagements complémentaires, la 54e, la 55e, la 56e mesure qui pourraient être mises en œuvre". Relevons que c’est déjà prévu par le plan, la 53e mesure prévoyant qu’il "sera régulièrement rendu compte aux parties prenantes, a minima deux fois par an, de la mise en œuvre des mesures du plan dans le cadre du Comité national de l’eau". Au cours des échanges, l’agriculture, les retenues d’eau ou la mutualisation des compétences eau et assainissement ont une fois encore en partie concentré l’attention.
Agriculture
"Il n’y a pas d’agriculture sans eau et il faut arrêter de penser que l’eau utilisée par l’agriculture est un accaparement", a d’emblée défendu le ministre, en observant que l’eau utilisée pour l’irrigation "ne profite pas qu’à ce qui est produit, mais aussi à la biodiversité, à la vie abritée par les cultures" (il relève d’ailleurs que "l’idée qu’une partie des ressources de l’Office française de la biodiversité s’appuie sur l’eau dit quelque chose de vrai. On a besoin d’une relation étroite entre les agences de l’eau et l’office").
Le ministre ajoute qu’"une partie de nos politiques écologiques repose sur une hypocrisie, qui consiste à durcir les règles ici mais à continuer à faire venir ici des produits avec des conséquences […] que l’on n’accepterait pas chez nous. Le sujet ce sont les clauses miroirs (voir notre article du 15 octobre 2021)."
Mais d’ajouter que "l’eau incite quand même à se poser la question de savoir si tous nos espaces agricoles doivent être cultivés, et à quel point l’élevage n’est pas aussi un moyen de rendre service à ce cycle de l’eau", "tout lien avec un récent rapport de la Cour des comptes étant évidemment fortuit" (visant sans doute le récent rapport sur les soutiens publics aux éleveurs de bovins). Christophe Béchu a plus largement insisté sur la nécessaire évolution des pratiques, dont il constate qu’elle est d’ailleurs déjà à l’œuvre dans "des milliers d’exploitations" (pour mémoire, la France en comptait 457.000 en 2020, 306.000 hors micro-exploitations). Parmi ces évolutions, la sobriété. Dans la mesure où "il y aura moins d’eau prélevable pour les acteurs", il souligne qu’il n’y a aucun modèle possible "sans sobriété à l’hectare". Autre pratique à revoir, l’usage des pesticides, et cette autre équation : avec une quantité inchangée de résidus, moins il y aura d’eau dans les cours d’eau, plus l’on constatera "des remontées de taux qui emporteront des fermetures de captage". Pour éviter l’écueil, Christophe Béchu compte notamment sur les bonnes pratiques et sur le plan Écophyto (il a indiqué qu’un comité écophyto devait se tenir le 11 juillet prochain), évoquant encore le projet de règlement européen sur la restauration de la nature (voir notre article du 23 juin 2022), soutenu par la France mais qui attise les peurs (voir notre article du 15 mars), à tel point qu’il vient d’être rejeté tour à tour par les commissions AGRI et ENVI du Parlement européen. Il sera examiné par ce dernier en séance plénière le 10 juillet prochain.
Compte tenu de ce risque accru de pollution des captages, le ministre a également mis en avant l’importance de savoir "comment on évite d’avoir trop de services d’eau qui ne dépendent que d’un seul point de captage, façon moins polémique de poser la question de savoir si une commune isolée a le droit de gérer son système d’eau toute seule […]."
Mutualisation des compétences
En la matière, le ministre ne dévie pas de sa position, défavorable au maintien des communes isolées. Il a une nouvelle fois rappelé qu’il y a "11.000 services gestionnaires d’eau potable en France", "profusion" qu’il déplore parce qu’il y a "une assez forte corrélation entre risque de rupture d’eau potable, taux de fuite et taille moyenne du service". "On ne peut pas faire comme si on ne s’apercevait pas que quand on gère l’eau seul, forcément une partie des travaux est plus complexe à conduire", assure-t-il. Et de prévenir : "Que l’État aide, oui […]. Il y a des endroits qui nécessitent une solidarité. Mais à condition qu’on en ait pour notre argent". Selon lui, "ce sont souvent dans les endroits où le prix de l’eau est le moins cher qu’on fait un arbitrage qui consiste à ne pas faire les travaux pour ne pas augmenter le prix, au détriment de la sécurisation de l’eau potable et de la bonne gestion de la ressource. Je ne dis pas que plus l’eau est chère, mieux c’est […]. Mais ce n’est pas parce qu’elle n’est pas chère que c’est un indice de bonne gestion".
Le ministre a par ailleurs regretté que l’examen de la proposition de loi sénatoriale visant à permettre une gestion différenciée de la compétence "Eau et Assainissement" n’ait pu parvenir à son terme à l’Assemblée "parce qu’elle avait été placée en 6e position dans la niche" parlementaire du groupe Liot (voir notre article du 12 juin). Il indique s’être pourtant "efforcé qu’elle remonte", parce ce qu’elle présente selon lui deux bénéfices : d’abord, permettre de sécuriser la possibilité pour les départements de financer les interconnexions et d’accompagner les communes (mesure 35 du plan Eau) ; ensuite, rappeler l’interdiction de la gestion en commune isolée tout en ré-autorisant des formes syndicales, sans "réautoriser les syndicats de manière sèche" (dans la version telle que révisée par les députés, mais restée lettre-morte pour l'heure).
Les retenues d'eau
En l’espèce, le ministre tient en apparence une position d’équilibre, invitant à "ne pas parer les bassines de tous les maux, ni de toutes les vertus". Non sans indiquer à deux reprises qu’"il n’y a pas de meilleure retenue que les nappes phréatiques". Après avoir au préalable relevé qu’on "a environ 15 milliards de m3 de retenues dans ce pays", il juge qu’"une vieille retenue est une bonne retenue", en ce sens que les récentes "suscitent davantage l’émotion". Il observe de même que "dès qu’on a des retenues multi-usages, […] le niveau des polémiques n’est pas le même".
Mais le ministre est loin de délivrer un blanc-seing. "Je ne pense pas qu’il y ait de réponse nationale satisfaisante", a-t-il d’abord déclaré, en insistant sur la nécessité "de regarder par territoire, avec l’appui des scientifiques". "Et j’assume de dire que quand j’ai un sous-sol karstique, c’est-à-dire des nappes phréatiques qui ne retiennent pas l’eau mais qui sont fuyantes, […] si je pompe de l’eau qui va à la mer, on peut discuter. [Mais] si je pompe de l’eau qui est censée être dans une nappe, et donc protégée de l’évaporation et de l’évapo-transpiration par le sol, cela n’aurait pas de sens de la mettre en surface".
Enfin, alors que le sénateur Hervé Gillé l’interrogeait sur l’opportunité de créer une autorité de régulation de l’eau pour sortir de "solutions bloquées" comme celle qui prévaudrait à Sainte-Soline (voir notre article du 18 novembre 2022) – "Aujourd’hui les acteurs ne sont pas en capacité de le faire seuls", estime le parlementaire –, le ministre ne s’est guère montré séduit par un "nouveau monstre administratif". Rendant hommage aux agences de l’eau et aux comités de bassin – " avec une idée, c’est que la même règle n’a pas forcément vocation à s’appliquer partout, ce qui dans un pays comme le nôtre n’est quand même pas l’évidence" –, il entend se garder d’"un mouvement inverse de centralisation" car à la différence de l'énergie, il ne peut y avoir d'interconnexion dans le domaine de l'eau.
Compteurs individuels
Le ministre a clairement indiqué qu’il "n’envisage pas de contraindre les collectivités locales à rendre obligatoire l’existence de compteurs uniques", même s’il en "comprend l’intérêt". Il avoue que "la question a été longuement évoquée dans la préparation du plan", mais "à la fin, le Comité national de l’eau a émis un avis défavorable à son inclusion dans le plan, en disant que c’est la responsabilité des collectivités territoriales", invoquant le nécessaire respect de l’autonomie de ces dernières. "Je ne peux pas non plus déjuger, pour être clair, un consensus qui a abouti à ce que l’on considère que ce n’était pas dans les priorités. Et tant mieux si on a des collectivités locales qui vont plus loin", a-t-il précisé. Non sans souligner que la tarification progressive par ailleurs souhaitée pourrait favoriser l’atteinte de cet objectif : "Si quand vous dépassez un certain nombre de m3, le prix de l’eau augmente, vous avez intérêt à fractionner en autant de compteurs qu’il y a d’appartements une propriété collective", explique-t-il.
Le ministre a plus globalement insisté sur l’importance de la connaissance de sa consommation. "Je vous demande d’imaginer si on vous déposait le matin sur votre paillasson les 100 bouteilles d’1,5 l correspondant à votre consommation journalière, avec 1 bouteille marquée 'pour boire', 4 'pour préparer la nourriture' […]. Avec 20 bouteilles 'pour la chasse d’eau', je pense que ça vous ferait bizarre". Dans cette logique, il a annoncé que la plate-forme numérique "permettant à chacun de connaître la situation, en tapant son adresse, d’arrêtés de restriction, d’alerte" (mesure 50 du plan) sera lancée "dans les prochaines heures". "Nous allons faire en sorte qu’elle soit interconnectée avec l’application de Météo France", a-t-il ajouté.
Eaux pluviales
"Reconnaissons que ce n’est pas aujourd’hui sur l’eau pluviale que notre pays est le mieux armé", a concédé le ministre. La faute selon lui à une "culture de l’abondance qui nous a conduit à écarter les usages de l’eau pluviale pour un certain nombre d’usages domestiques", et qu'il entend revoir. Christophe Béchu estime néanmoins que "le début d’une politique pluviale ambitieuse, c’est celle qui consiste à se préoccuper de la limitation de l’artificialisation qui accélère les écoulements et qui bouche les nappes". Et de souligner que "la volonté exprimée ici par le Sénat de dire qu’il fallait répartir différemment la consommation foncière dans le cadre du ZAN, mais de ne pas remettre en cause l’objectif, est une contribution à la restauration d’un grand cycle de l’eau qui soit vertueux" (voir notre article du 28 juin). "Tout est lié", n’a-t-il d’ailleurs cessé de répéter tout au long de son audition.