Pour une "politique intégrée de l’eau", dans le cadre d’une "intercommunalité choisie"

Une mission flash de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale dénonce un émiettement de la politique du petit cycle de l’eau et plaide pour une plus grande intégration, dans une "intercommunalité choisie". Parmi les recommandations du rapport, figure l’instauration d’une REP Eau, qui prend un relief particulier après la publication ce 6 avril d’un rapport de l’Anses mettant en avant la persistance dans les eaux d’un métabolite de pesticide interdit depuis 2020.

 

La "mission flash" confiée en octobre dernier par la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale aux députées Catherine Couturier (Creuse, LFI) et Marie-Agnès Poussier-Winsback (Seine-Maritime, Horizons) n’aura pas été suffisamment rapide pour devancer la présentation, maintes fois repoussée, du "plan Eau" – finalement dévoilé par le président de la République le 30 mars dernier (voir notre article). La mission n’aura pour autant guère musardé, puisqu’elle vient de rendre public son rapport. Tantôt il s’inscrit dans les pas du plan présidentiel, tantôt il s’en écarte. Marie-Agnès Poussier-Winsback souligne qu’elle et sa co-rapporteur "ne tomberon[t] pas d’accord sur l’appréciation des 53 mesures annoncées" dans ce plan (comme d’autres : voir notre article du 31 mars). L’alliance de la carpe et du brochet a ses limites.

L’échec de la loi Notre

Une chose est sûre : la loi Notre, qui a procédé au transfert (en cours) des compétences eau et assainissement des communes aux intercommunalités et créé la compétence Gemapi au profit de ces dernières, ne trouve pas grâce à leurs yeux. 

D’abord dans la mesure où ce "bouleversement" a entraîné selon elles un "sentiment de dépossession" des maires. "Pas un sentiment, une réalité", a appuyé le député Christophe Bentz (Haute-Marne, RN), lors de la présentation du rapport à la délégation ce 5 avril. 

Ensuite, du fait que ce transfert n’a pas conduit à une "politique intégrée de l’eau". Les élues jugent au contraire qu’on "assiste plus à un morcellement de ces compétences, éclatées entre plusieurs décideurs, et [à] des décisions qui se contredisent, [à] des travaux réalisés de manière non concertée". "C’est souvent plus compliqué qu’avant", déplore Marie-Agnès Poussier-Winsback. Concrètement, elle et sa collègue observent notamment que "les travaux visant à renouveler le réseau ne prennent pas en compte le calendrier de la voirie, que les protections des captages ne prennent pas toujours en compte les risques d’inondation… ". Plus encore, "la question de la gouvernance des autorités de gestion reste floue", regrettent-elles. 

Enfin, parce que cette réforme, déjà trois fois corrigées, "laisse les élus communaux sans réponse face au mur d’investissement que nécessite l’avenir des réseaux". "Les investissements dans la distribution d’eau ont diminué de 10% entre 2011 et 2016 [ndlr : la loi Notre a été publiée le 8 août 2015], avec un niveau d’investissement qui se stabilise autour de 2,6 milliards, alors qu’il faudrait 4,4 milliards par an ; pour l’assainissement, les dépenses atteignent 3,6 milliards alors que le renouvellement des réseaux nécessiterait 5 milliards", comptabilisent les élues.

Aussi les auteures se félicitent que le plan Eau présidentiel "semble ouvrir la porte à un assouplissement du dispositif existant", même s’il ne répondra pas à toutes leurs attentes (au passage, on notera que selon les élues, le plan Eau prévoit la suppression en 2025 du "fameux plafond mordant" sur les recettes des agences de l’eau, alors que seule la suppression du plafond des dépenses semble, sauf erreur, prévue). Et ce, d’autant que les contours concrets de cet assouplissement présidentiel restent pour l’heure difficilement perceptibles.

Laisser les communes décider

Le rapport des parlementaires n’éclaire à son tour guère la voie. D’un côté, les auteures reconnaissent que la politique intégrée qu’elles appellent de leurs vœux – incluant la gestion de l’alimentation et de l’assainissement, des eaux pluviales, des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, exercée de manière coordonnée avec une politique d’aménagement du territoire – "ne pourra pas être gérée à l’échelle de la commune". De l’autre, elles estiment que "transférer une compétence constitutive de la commune à une intercommunalité, vue comme lointaine et artificielle, n’est pas une solution [pour] tous". Pour dépasser le paradoxe, elles se prononcent "en faveur d’une intercommunalité concertée plutôt que subie" et "des transferts différenciés", en laissant "les communes déterminer la meilleure solution pour l’exercice de ces compétences" et en prenant "en compte les sous-bassins versants, voire l’échelle départementale". 

Lors de la présentation des travaux devant la délégation, la recommandation des députées laissa leurs collègues quelque peu dans l’expectative, ne sachant si elles se prononçaient finalement ou non en faveur d’une nouvelle révision des textes (en l’état, le transfert des compétences aux intercommunalités doit avoir lieu au plus tard en 2026). L’organisation souhaitée "autour d’un bassin, d’une vallée… " – dans le droit fil de la Cour des comptes (voir notre article du 10 mars) – nécessiterait sans doute de les revoir. Or les auteures observent par ailleurs que "l’exercice de ces compétences pâtit d’une accumulation et d’une instabilité des normes qui leur sont applicables" (citant Alain Lambert, le président du Conseil national d’évaluation des normes, selon lequel "de 2016, à 2019, 59 textes ont été pris dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, engendrant un surcoût de 12 millions d’euros par an pour les collectivités, sans effet notable sur la qualité de l’eau délivrée"). "Il faut arrêter de bouger les normes. Sinon on décourage tout le monde", exhorte ainsi Marie-Agnès Poussier-Winsback. 

Réaffirmer le principe pollueur-payeur

Parmi les autres recommandations du rapport, on relèvera en particulier la mise en place de la responsabilité élargie du producteur (REP), "notamment pour répondre au coût du traitement des micropolluants". "Producteurs de phytosanitaires, d’engrais azotés, les industries cosmétique, pharmaceutique et pétrochimique" seraient mis à contribution, alors qu’il est relevé que "la redevance pour pollution des agriculteurs représente 0,06% du financement des agences de l’eau" et que "sur 38.000 captables, 12.500 ont dû être fermés entre 1989 et 2019", dont  "4.250 abandonnés parce qu’ils étaient trop pollués".

La proposition – chère à l’association Amorce (voir notre article du 20 octobre 2022) ou à la FNCCR (voir notre article du 30 janvier), toutes deux consultées – prend un relief certain après la publication ce 6 avril des résultats d’un rapport de l’Anses relevant que le métabolite du chlorothalonil R471811 a été retrouvé dans plus de 50% des 136.000 prélèvements d’eaux brutes et traitées réalisés lors d’une campagne initiée en 2019 (voir notre article). Dans un communiqué publié ce 7 avril, la FNCCR souligne que face à ces métabolites, "les services d’eau […] n’ont pas d’autre choix que d’engager des traitements curatifs", "une dépense supplémentaire de plusieurs milliards d’euros à l’échelle nationale sans doute technologiquement et économiquement quasi inaccessible pour les petites unités de production d’eau en espace rural, potentiellement les plus concernées".

  • Rapport de l'Anses : "pas de risque sanitaire", selon le gouvernement

La présence généralisée de résidus d'un fongicide dans l'eau du robinet ne présente "pas de risque sanitaire" mais des "mesures plus régulières" du produit vont être mises en place, a souligné le gouvernement ce 7 avril suite à la publication la veille du rapport de l'Anses.
La campagne de détection "a mis en évidence des concentrations maximales de 2µg/L", souligne le ministère de la Transition écologique dans une déclaration transmise à la presse, également partagée par le ministre de l'Agriculture. "La valeur sanitaire transitoire permettant de prévenir d'un risque sanitaire étant de 3µg/L, les eaux prélevées et analysées sont ainsi non conformes mais ne présentent pas de risque sanitaire", insiste-t-il.
"Dans ce contexte, le ministère de la Santé reste particulièrement vigilant sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine et va mettre en place, sous la conduite des ARS (Agences régionales de santé), des mesures plus régulières, à partir de 2023, du chlorothalonil et de ses métabolites", précise-t-on de même source.
Le rapport "invite les acteurs concernés à se préparer le plus tôt possible à la sortie de l'usage des pesticides", souligne le ministère de la Transition écologique. "Il s'agit de prendre les devants, afin que les agriculteurs ne se retrouvent pas dans des impasses techniques et économiques, à l'instar des situations récentes du S-métolachlore ou des néonicotinoïdes, qui conduisent in fine à devoir augmenter notre dépendance agricole, y compris à des produits issus d'une agriculture écologiquement moins vertueuse", analyse-t-il.

 

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