Plan Eau : Christophe Béchu et Marc Fesneau face à un flot de questions

Dans une audition de plus de deux heures trente, les ministres Christophe Béchu et Marc Fesneau ont répondu aux questions des députés de la commission du développement durable sur le plan Eau, en insistant tous deux sur la nécessaire territorialisation des actions. Le ministre de la Transition écologique y a notamment annoncé la présentation "dans quelques jours" du plan Sécheresse ou encore évoqué la perspective d’une plus grande mise à contribution du nucléaire dans le financement de l’eau.

Devant les députés de la commission du développement durable ce 3 mai, les ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture ont eu l’occasion de préciser le contenu du plan Eau, présenté par le président de la République le 30 mars dernier (voir notre article). Un plan dont Christophe Béchu a tenu à préciser qu’il n’était "pas le plan du gouvernement", mais le fruit d’une "coconstruction avec l’ensemble des comités de bassin et du comité national de l’eau". Revue de détail (non exhaustive).

• Territorialiser la sobriété, mais harmoniser les pratiques. Christophe Béchu se fait clair : "Il n’y a pas d’alternative à la sobriété." Mais l’enjeu, "c’est de territorialiser la baisse", car si "pour l’énergie, nous sommes tous dépendants les uns des autres, pour l’eau, nous ne dépendons pas des mêmes six bassins, et pas des mêmes 11.000 sous-bassins". Pour autant, cette territorialisation n’exclut pas une certaine harmonisation des pratiques. Ainsi, le ministre de la Transition écologique a annoncé qu’il présentera "dans quelques jours" un plan Sécheresse mettant à jour celui de 2021, "qui donnera un cadre pour les restrictions, de manière à ce que les préfets puissent durcir les règles quand ils le souhaitent", mais "avec un seuil minimal en dessous duquel on ne peut pas descendre". "Il faut que la totalité du territoire soit couverte par des mesures de restriction homogènes", argue-t-il. 

• La commune isolée, cible de toutes les attentions. Évoquant la situation des communes isolées, Christophe Béchu a indiqué que "la situation ne pose pas de difficulté de principe, mais devant les faits. Or ils sont têtus : la quasi-totalité des communes privées d’eau l’an passé ont une gestion isolée. Sur les 382 communes alimentées en citernage, et les près de 200 en bouteilles d’eau, plus de 80% étaient des communes isolées. Le phénomène est le même sur les fuites. Sur les 170 communes ayant un taux de fuite supérieur à 50%, et pouvant atteindre 92,7%, 120 sont des communes isolées". En conséquence, la nécessaire mutualisation de la compétence Eau n’est pas remise en cause – comme d’aucuns ont pu l’espérer un temps avec les propos tenus par Emmanuel Macron à Savines-le-Lac –, mais ses modalités pourraient évoluer. "Là où le président de la République a assoupli les choses à Savines-le-Lac, c’est qu’il a indiqué que l’intercommunalité n’était peut-être pas le chemin à suivre pour tout le monde. Entre le refus de la commune isolée et l’intercommunalité, il peut y avoir des discussions, sur des territoires étendus, sur des territoires de montagne, sur des secteurs où la topographie peut justifier une prise en compte différente", décrypte le ministre.

• Gouvernance : plutôt l’excès que l’insuffisance. En matière de gouvernance de l’eau, Christophe Béchu "n’est pas pour simplifier à l’extrême". Il explique : "Pour éviter les guerres de l’eau, pour que tous les usagers puissent se parler, qu’on ait des instances qui permettent de mettre les uns avec les autres, c’est précieux." Il relève en outre que "peu d’acteurs dans le domaine estiment qu’il y a trop d’instances, trop de structures. Ça, c’est le regard de ceux qui n’y sont pas". Au contraire, ce qui "[l]’embête, ce sont les endroits où nous n’avons pas ces structures, qui sont souvent des endroits où l’on est dans le déni des difficultés". Et de déplorer notamment que "la moitié seulement des sous-bassins soient dotés d’un plan de gestion de l’eau". De son côté, Marc Fesneau souligne "le besoin d’une gouvernance générale", alors que celui qui gère la ressource n’est pas le même que celui qui gère les restrictions : "On a quand même un sujet."

• L’agriculture en première ligne. "Évidemment que l’agriculture est au cœur du sujet", s’exclame Marc Fesneau, tenant à tordre le cou au discours selon lequel elle ne serait pas concernée par le plan. "C’est la seule activité qui dépend principalement de ce qui se passe dans le ciel", et elle est "très durement impactée par le dérèglement climatique", souligne-t-il encore. Le ministre a également tenu à mettre en avant le fait que "l’eau qui sert à l’agriculture sert à tous. C’est l’intérêt général".

Pour lui aussi, l’enjeu "c’est la territorialisation", qui prend notamment la forme de "la sobriété à l’hectare, qui est déjà un immense défi qu’on demande aux agriculteurs". Le ministre admet volontiers la nécessité de modifier les pratiques, tout en cherchant à éviter "des ruptures" qui feraient "collapser le système". Ainsi de la nécessité de "synchroniser les pratiques", avec les partenaires européens notamment : "Je n’ai pas envie d’importer des pratiques dont je ne veux pas chez moi", souligne-t-il, en rappelant que "nous sommes dans un marché commun". 

Le ministre insiste également sur la nécessité de ne pas décourager les bonnes volontés, en prenant l’exemple de la bassine controversée de Sainte-Soline : "Sainte-Soline, c’est 21 millions de m3 prélevés aujourd’hui, contre 14 millions de m3 à la fin du projet, dont 6 millions prélevés en été, avec des engagements sur la plantation de haies, des engagements sur la réduction des produits phytosanitaires, des engagements sur la modification des assolements. Si on n’accepte pas ce projet, où est la modification et la transition que l’on veut ?", interroge-t-il. Le ministre évoque également la nécessité de "ne pas renoncer à la vocation exportatrice de l’agriculture". "Si tout le monde, dans le monde, se limite à viser l’autarcie, le jour où vous avez un pet climatique grave, vous êtes mort", prévient-il, en observant en outre que "des pays ne pourront plus produire". 

Les réserves de substitution continueront donc d’être "une voie à emprunter" pour faire facer à "l’arythmie des pluies". Mais "c’est une décision territoriale", insiste-t-il. Il plaide entre autres pour "des ouvrages multi-usages, qui permettent d’intégrer collectivement la contrainte". Et de prendre l’exemple consensuel du barrage de Serre-Ponçon, où a été présenté le plan eau, qui est une "méga méga méga méga méga bassine". Le ministre précise que ces réserves ne passent pas nécessairement par la construction de nouveaux ouvrages, nombreux étant "les ouvrages existants qui sont peu mobilisés".

• REUT : le ministère de la Santé dans le viseur. 0,8%, tel est selon Christophe Béchu le niveau moyen de réutilisation des eaux usées traitées en France, contre 15% en Espagne et près de 85% en Israël. Et d’évoquer encore les "77 stations d’épuration sur 30.000" qui font de la REUT en France. Des résultats qui tiennent selon lui aux "freins du ministère de la santé et de l’ARS" – qu’il entend "déverrouiller" –, et qui seraient justifiés par "deux faux principes". D’abord "le principe de précaution, parce qu’on pensait qu’il y avait l’abondance" et qui fait que "partout on préfère avoir de l’eau potable". Ensuite "le présupposé qu’il n’y aurait pas d’acceptabilité sociale", qui "ne tient plus" selon lui alors qu’une enquête commandée par le ministère indiquerait qu’une majorité des sondés se disent même prêts à boire de l’eau réutilisée. Et Christophe Béchu de souligner que sa collègue Agnès Firmin-Le Bodo s’est engagée à publier "d’ici l’été les décrets rendant effectifs les débuts de la réutilisation de l’eau".

• Qualité des eaux. "43% de nos masses d’eau sont en bon état écologique ", alerte Christophe Béchu. Une situation d’autant plus inquiétante "qu’avec la sécheresse, les concentrations d’intrants vont augmenter mécaniquement", et avec elles le risque de non-conformité des zones de captages. "3.000 aires de captages sont aujourd’hui fermées" parce que contaminées, ajoute-t-il. Concédant que "le précédent plan Ecophyto n’a pas été un succès en termes qualitatifs", il assure "qu’on devra le relancer et l’amplifier". Évoquant les PFAS, il souligne que le G7 de Sapporo a pour la première fois appelé à s’y pencher. "On est au tout début", souligne-t-il, en indiquant que la mission parlementaire qui va être confiée au député Cyrille Isaac-Sibille (Modem, Rhône) permettra "d’aller plus loin".

• 15 ans de sous-financement. "Cela fait une quinzaine d’années que l’on a diminué les moyens consacrés à l’eau, parfois avec des règles totalement comptables comme les plafonds mordants", déplore Christophe Béchu. Avec le plan Eau, il assure "qu’on revient au principe de l’eau paye l’eau". Dans cette veine, il annonce que "la production nucléaire qui finance aujourd’hui une part extrêmement marginale de l’eau" devrait être "davantage mise à contribution" dans le cadre du prochain projet loi de finances. Dégager de nouvelles ressources est d’autant plus crucial que le ministre indique par ailleurs que "les moyens que l’on consacre aujourd’hui à la biodiversité sont loin de ce qu’on est amené à mettre et de ce que vous devrions mettre", en insistant sur le fait que "l’inaction en matière de protection de la biodiversité a aussi un coût".

• Tarification progressive. Favorable à une tarification progressive même si "nous respectons le principe de libre-administration", le ministre a notamment attiré l’attention sur "les territoires où l’eau ne coûte presque rien du fait du refus de faire des travaux sur les canalisations […]. Ce ne serait pas juste qu’on demande à des gens qui ont payé l’eau à un tarif normal de les faire payer une seconde fois pour les endroits où l’on ne paye pas l’eau à son juste prix", prévient-il.

• Captation des eaux de pluie. Christophe Béchu a de nouveau indiqué que dans le cadre du prochain projet de loi de finances, "on pourrait imaginer des mesures" de financement des récupérateurs d’eau de pluie pour les particuliers. "Pas pour tous les Français, mais cela pourrait avoir une utilité dans les territoires en crise, avec un plafond de ressources", précise-t-il. Mais d’ajouter que "le vrai sujet, c’est le ZAN [zéro artificialisation nette] et la lutte contre l’imperméabilisation", soulignant "l’importance de la ville éponge pour aider à la recharge des nappes".

• L’été 2023. L’été qui approche attise les craintes. "Au 1er avril 2022, 58% des nappes étaient en dessous de leur moyenne. Le 1er avril dernier, c’était le cas de 75% d’entre elles", alerte Christophe Béchu. Le cas des Pyrénées-Orientales est le plus emblématique, "qui n’a pas connu une seule vraie journée de pluie en 12 mois". "200 mm en 13 mois", précise son collègue Marc Fesneau. Christophe Béchu indique que le préfet du département va y "interdire la vente de piscines hors sol, car théoriquement le premier remplissage de piscine est autorisé. En interdisant les ventes, vous interdisez ce premier remplissage. Le risque, c’est la perte des arbres en arboriculture, et donc 5 à 7 ans sans récolte, ce qui n’emporte pas les mêmes conséquences que si vous ne pouvez pas vous égayer dans l’eau".

La situation est également particulièrement critique et préoccupante à Mayotte, et ce même avec la perspective de la mise en route à la fin de l’année d’une usine de désalinisation des eaux – Christophe Béchu soulignant au passage que cette solution "n’est pas une bonne idée partout", et même plutôt une mauvaise idée pour l’essentiel du territoire français. Revenant à Mayotte, il précise qu’"il n’a pas assez plu – la saison des pluies est d’ores et déjà finie – et que l’afflux de population ne permettra pas d’éviter des restrictions". Le ministre relève que "80% de la consommation" y est due aux habitants, ce qui pose immanquablement problème "quand on double la population théorique".  

 

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