Réforme de l'Etat - Un rapport sénatorial sévère sur la RGPP dans les préfectures
Ille-et-Vilaine, Puy-de-Dôme, Côtes-d'Armor, Seine-et-Marne, Creuse, Pas-de-Calais, Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes... c'est à un véritable tour de France des préfectures que s'est livrée ces derniers mois la sénatrice Michèle André (PS, Puy-de-Dôme). Au total, la parlementaire a rencontré une centaine de personnes, du préfet au syndicaliste en passant par les secrétaires généraux, directeurs de service et chargés de mission. L'objectif de cette enquête ? Savoir comment est mise en oeuvre la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les préfectures et sous-préfectures. La parlementaire, qui suit toute l'année ces sujets en tant que rapporteur de la mission "administration générale et territoriale de l'Etat", a présenté le 13 octobre les conclusions de son travail devant la commission des finances du Sénat.
Or, ces conclusions sont pour le moins critiques. Extraits : "Le pari de la RGPP paraît en passe d'être perdu dans les préfectures. Ce pari consistait à compenser les réductions de postes par des efforts de productivité, via une organisation plus performante des services et un recours accru aux nouvelles technologies. En pratique, cette politique débouche aujourd'hui sur une dégradation des conditions de travail des agents, ainsi que sur la mise en péril de la qualité du service rendu à l'usager." La sénatrice demande donc "une pause dans la RGPP", c'est-à-dire de ne pas "réaliser les suppressions de postes prévues pour 2011". Elle recommande également de faire porter désormais les efforts davantage sur les services centraux du ministère de l'Intérieur que sur les préfectures et sous-préfectures.
Economiser sept postes par département et par an
Dans le détail, le rapport a le mérite de revenir sur les origines et les objectifs de ces réformes. Ainsi, la RGPP s'inscrit dans un mouvement de long terme : les passeports biométriques étaient par exemple un projet engagé bien avant 2007. De même pour le ciblage du contrôle de légalité. Le rapport rappelle également les trois objectifs de la RGPP : améliorer la qualité du service rendu aux usagers (satisfaire 8 usagers sur 10), réduire les dépenses publiques (arriver sur la période 2008-2013 à 17 milliards d'euros d'économies) et "moderniser la fonction publique et valoriser des initiatives des agents". Dans les préfectures, les réformes portent sur trois domaines principaux : la délivrance des titres d'identité, le contrôle de légalité et la gestion des fonctions support.
29.000 agents travaillent actuellement en préfecture et sous-préfecture. Entre 2009 et 2011, 700 postes chaque année doivent être supprimés, soit en moyenne sept par département et par an. Ces suppressions visent à économiser autour de 120 millions d'euros. Le ministère de l'Intérieur espère faire des économies de personnel principalement grâce à la réorganisation des fonctions support (48% des postes), puis des titres d'identité (29%), et enfin du contrôle de légalité (22%). Le rapport revient également sur la nouvelle architecture de l'administration territoriale de l'Etat (création des directions départementales interministérielles) et le renforcement du rôle du préfet de région (sur ces sujets, voir nos articles ci-contre). Il souligne la nécessité de stabiliser les instances de concertation au niveau régional (comité de l'admnistration régionale - CAR - et pré-CAR).
"Des doutes sur les résultats de la RGPP"
La sénatrice passe ensuite en revue les principales réformes. Ainsi, si le passage au passeport biométrique est intervenu conformément aux engagements européens de la France, "il a induit dans un premier temps une dégradation des délais de délivrance, sans permettre de dégager les gains de productivité attendus". Sur le nouveau système d'immatriculation des véhicules, les immatriculations des véhicules neufs se font effectivement chez les garagistes et les concessionnaires, mais pour les véhicules d'occasion les particuliers continuent de se tourner vers les services préfectoraux. "Les gains de productivité [pour les préfectures, ndlr] sont donc limités sur ce secteur." De plus, "de graves dysfonctionnements du système informatique ont débouché sur une détérioration très nette du délai de traitement des dossiers". La sénatrice fait également état de pratiques de garagistes et concessionnaires qui font payer l'immatriculation. Elle s'interroge donc sur la logique "qui consiste, en définitive, à faire financer par l'usager et au profit d'acteurs privés, d'incertains gains de productivité dans la sphère publique" (p. 37). Concernant le contrôle de légalité (p. 39 à 42), la parlementaire rappelle les principales évolutions : rassemblement de l'activité en préfecture, maintien de la capacité d'appréciation du sous-préfet et ciblage sur les actes "les plus sensibles et à fort enjeu". Elle "s'interroge sur le rétrécissement du périmètre du contrôle" et s'inquiète de l'insécurité juridique qu'il pourrait occasionner.
Jean Arthuis : "La vraie question, c'est notre vision des sous-préfectures"
Sur le réseau des sous-préfectures, Michèle André souhaite une évolution en douceur, "selon une méthode privilégiant le pragmatisme, le consensus et les réalités locales". Elle acte que "les fonctions d'accueil du public ont vocation à devenir marginales", le contrôle de légalité étant pour l'essentiel recentré en préfecture, "les sous-préfectures devront investir pleinement le champ des relations avec les collectivités territoriales".
Lors de la discussion qui a suivi la remise du rapport, Jean Arthuis (Union centriste, Mayenne) a souligné l'importance de ce point : "La vraie question, c'est notre vision des sous-préfectures. On n'y a pas répondu. Doit-on les maintenir ?" Une question laissée en suspens. Mais le président de la commission des finances du Sénat a indiqué que le "débat budgétaire pourra être l'occasion de demander au ministre si les préfectures sont appelées à disparaître pour devenir des sous-préfectures régionales".
A noter enfin que Michèle André a insisté à plusieurs reprises, tant dans son rapport que lors des échanges, sur "la motivation du personnel des préfectures", en dépit de leur sentiment "à tous les niveaux de la hiérarchie" que l'on "fait tourner un moteur sans huile" (p. 65). Préfets et secrétaires généraux "font le maximum" ; "les agents sont performants, et j'ai vu des syndicats motivés, même lorsqu'ils voient fondre leurs effectifs". D'où la demande de la sénatrice de faire "une pause dans le processus de suppression des effectifs au sein du programme 307 'administration territoriale'". Réponse des parlementaires dans quelques semaines lors du vote du budget 2011 de ce programme.
Hélène Lemesle
Références : Sénat, rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques dans les préfectures, Michèle André, 13 octobre 2010.
Brice Hortefeux : "Pas de suppressions généralisées de sous-préfectures"
A l'occasion de l'inauguration de la nouvelle sous-préfecture de Saint-Malo, le 11 octobre dernier, le ministre de l'Intérieur a présenté sa politique en direction des préfectures et sous-préfectures. Après avoir salué "l'engagement et la motivation du corps préfectoral et des agents des préfectures et sous-préfectures", Brice Hortefeux a rappelé les principes d'une réforme "d'une ampleur inédite depuis trente ans". Les services de l'Etat doivent s'adapter à une "société qui change", "réduire les délais inhérents au travail administratif" et apporter "plus de conseil et d'appui aux élus, avec une vraie valeur ajoutée". Concernant les réductions d'effectifs, le ministre a annoncé 699 emplois en moins en 2011, mais "il s'agit de la dernière année à un tel niveau car j'ai obtenu dans le cadre du budget triennal, un infléchissement net des réductions d'emploi, compte tenu justement des efforts déjà réalisés". Pour aller plus loin dans la démarche de modernisation, il souhaite "pouvoir lancer la carte nationale d'identité électronique en 2011, rendre possible l'inscription sur les listes électorales par internet et la dématérialisation du timbre fiscal".
Sur les sous-préfectures, il "n'y a en aucun cas de projet de suppressions généralisées de sous-préfectures", ce qui n'empêche pas des "ajustements possibles" en particulier "en zone urbaine où la densité des services publics est importante". "Dans les zones fragiles, qu'elles soient urbaines ou rurales, la présence de l'Etat sera réaffirmée mais sous des formes diverses." Cependant, dans tous les cas, il "faut passer d'une administration de guichet à une administration de projet" et faire des sous-préfectures "des administrations de mission tournées vers le développement des territoires et la sécurité des populations".