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Réforme de l'Etat - RGPP et Lolf : qui décide du nombre d'agents dans ma DDE ?

Améliorer l'efficacité de la dépense publique, mieux adapter l'Etat aux besoins des citoyens : sur le papier, les deux principales réformes qu'a connu l'Etat ces dernières années - la Lolf et la RGPP - avaient certains objectifs en commun. Pourtant, une fois mises en oeuvre, elles se révèlent parfois contradictoires, ce qui produit d'importants dysfonctionnements pour les usagers. Telles sont les conclusions d'un rapport parlementaire qui vient d'être rendu public.

En cette mi-juillet, c'est sur un sujet médiatiquement fort peu porteur que viennent de se pencher les quatre députés de la mission d'information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) : l'articulation entre la Lolf et la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il ne faut pas se laisser effrayer par ces sigles : les rapports entre ces deux réformes ont des conséquences très concrètes, par exemple sur les effectifs des services locaux de l'Etat.

Il faut donner une "autonomie réelle" aux responsables locaux
 

Adoptée à la quasi unanimité des deux chambres en 2001, la Lolf a institué un nouveau système de comptabilité des dépenses de l'Etat et un outil de mesure de l'efficacité de la dépense publique.  Ses principaux objectifs étaient les suivants : que chaque euro issu des caisses de l'Etat soit efficace, que les parlementaires puissent mieux contrôler la façon dont les ministères utilisent l'argent public, que les dépenses concernant une même politique soient rassemblées au même endroit (en "missions", par exemple "Ville et Logement") et, enfin, que localement les gestionnaires aient une plus grande liberté pour adapter les crédits et les effectifs aux besoins de la population. Elle est aujourd'hui mise en œuvre depuis 5 ans mais ses objectifs sont loin d'être tous atteints estiment les quatre parlementaires de tout bord politique composant la mission d'information - Michel Bouvard (UMP), Jean-Pierre Brard (PC), Thierry Carcenac (PS) et Charles de Courson (Nouveau Centre) - : "la période transitoire est loin d'être achevée, des progrès considérables restent à accomplir", notamment en matière de responsabilisation des gestionnaires locaux. En effet, la Lolf devait permettre que les directeurs des services déconcentrés de l'Etat se voient délégués, en début d'année par les ministères, une enveloppe de crédits et qu'ils puissent ensuite les répartir au mieux des besoins locaux.
Mais, avec les restrictions budgétaires, les ministères ont de plus en plus tendance à indiquer très précisément à quoi doivent servir les crédits. Ils ne donnent en début d'année que le minimum d'argent, et, éventuellement, si le besoin est criant, délèguent ensuite de nouveaux crédits. La mission souhaite que soit interdit ce fléchage des crédits, et que, dès le début d'année, les directeurs des services déconcentrés puissent savoir précisément de combien ils vont disposer. Cela leur permettrait d'avoir une vraie marge de manoeuvre, puis d'être jugés sur les résultats qu'ils obtiennent. Naturellement, ces questions de technique financière ont des conséquences directes sur le terrain. S'il doit demander à plusieurs reprises au cours de l'année des rallonges budgétaires à Paris (via sa capitale de région), le directeur, par exemple d'un service de l'équipement (aujourd'hui DDT), se retrouve dans l'incapacité de répondre rapidement à ses interlocuteurs.

 

Ressources humaines : des difficultés "sérieuses"
 

Autre point examiné par la mission parlementaire, la nouvelle organisation des services déconcentrés de l'Etat. En effet, dans le cadre de la RGPP, les anciennes directions départementales ont été regroupées en directions départementales interministérielles (sur ce point, voir nos articles ci-contre). La mission juge que les regroupements opérés ont permis une "amélioration de la lisibilité de l'Etat" et "une clarification de la répartition des compétences entre départements et régions". Cependant, les députés soulignent que la création de services supports communs (informatique, secrétariat, ressources humaines...) rend mécaniquement plus difficile l'évaluation du coût de chacune des politiques menées, ce qui était pourtant au coeur de la Lolf et devait améliorer le contrôle parlementaire. Ces mutualisations sont d'ailleurs difficiles à financer : en période de restriction budgétaire et de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, aucun ministère n'est très prompt à mettre à disposition de services communs du personnel ou des moyens financiers.
Dans la mise en oeuvre de ces réformes, les députés dénoncent "la multiplicité des interlocuteurs" entre Paris, le niveau régional et le niveau départemental, la "complexité de la gestion du personnel" (diversité des statuts, calendriers différents pour les mutations, …) et la "rationalisation incomplète des implantations immobilières". Ils expliquent que la multiplication des interlocuteurs entraîne une dillution des responsabilités entre les responsables des programmes en ministères, des responsables régionaux, mais aussi du préfet de département, du préfet de région, etc. Autre difficulté : une direction départementale interministérielle peut recevoir des crédits et des effectifs, très précisément fléchés, de 5 ministères différents, ce qui constitue un véritable casse-tête pour les gestionnaires.

Et les agents dans tout cela ? "Il a été signalé à la mission que cette réorganisation a également engendré une certaine perte de repères chez les agents. Les causes peuvent en être recherchées dans les compétences des agents transférés, une certaine grogne sociale due à la refonte des règlements intérieurs, des primes et des statuts, un manque de lisibilité des procédures à suivre pour accompagner les mouvements des personnels et enfin la refonte des circuits de responsabilités et de gestion" (rapport, p.14).
Enfin, les parlementaires sont "extrêmement sévères" sur la mise en oeuvre de Chorus. Ce logiciel, qui a coûté un milliard d'euros  au contribuable, doit permettre de suivre en temps réel l'ensemble des dépenses de l'Etat, ce qui nécessite une coordination de tous les systèmes informatiques budgétaires existants. Au vu des "retards, des dysfonctionnements, du manque de formation des agents, et de l'opacité de la gestion" de ce programme, les quatre parlementaires s'interrogent sur la réalité du retour sur investissement et demandent la reprise de ce chantier par le Premier ministre.
Un peu de lumière dans ce tableau pour le moins sombre ? Les quatre députés ont indiqué qu'ils avaient rencontré sur le terrain, des responsables administratifs "ayant la volonté de faire au mieux, une grande compétence, et un sens certain de l'intérêt supérieur de l'Etat". Des responsables qui n'ignorent pas que personne ne peut répondre à la question en titre de cet article, les DDE ayant été remplacées par les DDT au 1er janvier dernier !

 

Hélène Lemesle

 

Références : Commission des finances, Mission d'information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, Rapport d'information n°2706, "Lolf et réformes de l'Etat : complémentarité ou contradiction ?"