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Ressources humaines - Décentralisation, externalisation : quel effet sur l'Etat ?

Les décentralisations et les externalisations de ces trente dernières années n'ont pas conduit l'Etat à diminuer ses effectifs : telle est la conclusion du dernier rapport publié par la Cour des comptes.

La Cour des comptes a rendu public, le jeudi 17 décembre, un rapport intitulé "Les effectifs de l'Etat, 1980-2008." Bien plus qu'un état statistique, c'est à une évaluation de l'effet des vagues de décentralisation et d'externalisation de ces trente dernières années sur les effectifs de l'Etat que s'est livrée la Cour.

Les transferts de compétences se sont opérés majoritairement au bénéfice des départements, et dans une moindre mesure, des régions et des communes (notamment en matière d'urbanisme). Ces transferts ont porté notamment sur le secteur social (partition des Ddass à partir de 1985, décentralisation du RMI à partir de 2003), de l'équipement (transferts des années 1980 puis des routes nationales en 2004), de l'enseignement (transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service des EPLE à partir de 2005). Si les décentralisations des années 1980 ont eu peu d'effet sur les effectifs de l'Etat - occasionnant même parfois des augmentations d'effectifs -, les vagues les plus récentes (transfert des 84.000 ETP de techniciens ouvriers et de service, transfert des personnels chargés des routes nationales...) ont des effets plus visibles. La majorité des agents ont opté pour une intégration dans la fonction publique territoriale : c'est le cas pour 61% des agents techniques, ouvriers et de service de l'enseignement scolaire. Ce droit de choisir sa fonction publique a été "particulièrement complexe à gérer" estime la Cour. Plus largement, les textes qui ont réglés les transferts de compétences ont parfois abouti à des situations "ingérables dans la pratique". Parfois, les lois n'ont tout simplement pas été appliquées : dans le domaine de la culture par exemple, l'Etat a estimé devoir continuer d'assurer la tutelle scientifique des bibliothèques et archives départementales pourtant transférées juridiquement aux départements.

 

Recours accru aux opérateurs, conduite externalisée des politiques publiques?

Outre ces vagues successives de décentralisation, ces trois dernières décennies ont été également caractérisées par un recours accru à des "opérateurs" (établissements publics, agences, autorités indépendantes, secteur concurrentiel). Pourquoi un tel choix ? Derrière les arguments d'efficacité et d'adaptabilité, les administrations recherchent souvent, estime la Cour, une "souplesse que ne permettent ni le statut général de la fonction publique, ni le cadre budgétaire en vigueur". Sur certaines politiques, les opérateurs finissent par concentrer la majorité du personnel : ainsi les opérateurs du secteur sanitaire et social employaient en 2005 60.000 agents alors qu'à la même date, les effectifs ministériels (emploi et solidarité) s'établissaient à moins de 30.000 agents. De même pour la culture, où les agents employés par des structures extérieures au budget général sont plus nombreux que les agents du ministère.
La Cour critique surtout "l'absence de réflexion préalable sur le partage des rôles entre les administrations de l'Etat et les opérateurs et sur l'équilibre entre leurs attributions respectives" (p.44). Elle dénonce également les réductions "optiques" du nombre des agents de l'Etat, qui seront payés non plus directement mais sous forme de subventions à un opérateur. De plus elle s'inquiète de la moindre capacité des administrations centrales à exercer des fonctions d'orientation : "Dans plusieurs secteurs (culture, recherche, santé, en particulier), la conduite des actions relevant de la compétence de l'Etat se trouve aujourd'hui fortement externalisée." Ce qui révèle "une certaine incapacité des ministères à évoluer d'administrations de gestion en véritables autorités de tutelle (p.66)".

 

Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ou l'insuffisance d'une gestion quantitative du personnel

Sur tous ces points, la Cour pointe principalement l'absence de suivi des différentes réformes menées. A cette question a priori simple, quel a été l'effet, sur vos effectifs, d'une réforme qui vous a conduit à confier à d'autres (collectivités ou opérateurs) l'une de vos missions ? Les ministères ont répondu qu'ils avaient utilisé les agents désormais inemployés à "de nouvelles missions". Cette "coïncidence de l'apparition de missions nouvelles avec les principaux allègements de compétence" (p.85) prévus par les textes n'a pas échappé à la Cour. De plus, si la décentralisation, la déconcentration et le recours accru aux opérateurs ont conduit à des "ajustements limités du volume et de la répartition des effectifs de l'Etat", ils ne semblent pas non plus avoir amélioré globalement la qualité des interventions publiques : "Elles restent éclatées, mal coordonnées, souvent concurrentes et laissent persister de trop nombreux cas de doubles emplois." 
Une situation que n'améliorera pas la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. La Cour dénonce une approche principalement budgétaire de la gestion des ressources humaines de l'Etat : "de manière générale la politique du personnel de l'Etat reste marquée par le poids du court terme et de l'urgence", sans que soit définie une vision stratégique pour les personnels, ni que soit établi un lien entre le niveau des effectifs et la nature des besoins.
Un rapport critique donc, dont les propositions finales relèvent avant tout du bon sens : la Cour appelle surtout les ministères à suivre leurs effectifs (et notamment à savoir combien d'agents travaillent pour eux à une date donnée). Quant à la révision générale des politiques publiques, elle constitue une "occasion" de mettre à plat quelles sont les missions, et donc les besoins de chacune des politiques publiques en personnel. Bref, la Cour demande que soit menée simplement une politique... ce qui ne semble pas avoir été toujours le cas ces trente dernières années.

 

Hélène Lemesle
 

 

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