Réforme de l'Etat - Le préfet de région, grand gagnant de la révision générale des politiques publiques ?
Après l'installation au 1er janvier 2010 des nouvelles directions départementales, un décret essentiel restait à publier pour mettre en œuvre la réforme de l'Etat local décidée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : celui qui modifie les pouvoirs des préfets. Il vient d'être publié au Journal officiel le 17 février 2010 sous le numéro 2010-146. Un texte qui devrait transformer en profondeur la conduite des politiques d'Etat au niveau local.
Renforcement du niveau régional
Le point principal de ce décret est le renforcement des pouvoirs des préfets de région : ils ont désormais "autorité" sur les préfets de département, auxquels ils peuvent adresser des "instructions" et non plus seulement des "orientations". Ils peuvent même "évoquer, par arrêté, et pour une période limitée, tout ou partie d'une compétence". Dans ce cas, le préfet de région "prend les décisions correspondantes en lieu et place du préfet de département". Désormais le préfet de région est chargé du pilotage et responsable de l'exécution de toutes les politiques de l'Etat dans la région (sauf périmètre des agences régionales de santé) ainsi que de l'exécution des politiques communautaires qui relèvent de la compétence de l'Etat.
Pour "l'assister dans l'exercice de ses [nouvelles] attributions", le préfet de région présidera un comité de l'administration régionale qui rassemblera les préfets et l'ensemble des directeurs régionaux de services de l'Etat. Ce comité sera obligatoirement consulté (auparavant cette consultation n'était que facultative) sur "l'utilisation de tous les crédits ouverts au profit des services de l'Etat dans la région", à l'exception des crédits éducation nationale, impôts, inspection du travail et agences régionales de santé (article 22).
Le contrôle du préfet de région sur la consommation au niveau local des crédits devrait être fortement renforcée : même s'il pourra toujours déléguer sa signature, le préfet de région "arrête la répartition des crédits mis à sa disposition à l'intérieur d'un même programme", "après avis des chefs de services déconcentrés concernés". Tant sur le personnel que sur les moyens financiers, ce sera désormais, sauf exception, le niveau régional qui discutera le niveau des enveloppes avec les ministères… et donc qui devrait avoir effectivement la main.
Pour contrôler la consommation de ces enveloppes, le préfet de région s'appuiera sur les directions régionales (Dreal, Dirrecte, DRJSCS, etc.) et sur son "secrétariat général pour les affaires régionales" (Sgar), dont le rôle est renforcé. Le Sgar coordonnera notamment la réforme de l'immobilier de l'Etat. En effet, le préfet de région est désormais "responsable de la stratégie immobilière de l'Etat dans la région". Sur ce plan, le rapport d'étape n°3 de la RGPP (voir notre article du 16 février) a rappelé les objectifs. Les préfets devront mener "un vaste plan de regroupement des DDI. Sur les trois prochaines années, 400.000 m2 seront gagnés, 275 millions d'euros de biens seront vendus et le ratio d'occupation passera de 18,4 à 15,8 m2 par agent". Une réforme dans laquelle les préfets de département auront un rôle important à jouer, ils "représentent l'Etat dans son rôle de propriétaire vis-à-vis des administrations occupantes". Une formule nouvelle qui dit clairement que les services techniques (par exemple de l'équipement) sont seulement des "occupants" des locaux d'Etat.
Niveau départemental : le préfet ne "pilote" plus, il "met en œuvre"
Côté département, le décret sur l'organisation des nouvelles directions départementales interministérielles paru en décembre (voir notre article ci-contre) renforçait le pouvoir du préfet sur les services déconcentrés (DDT, DDCS, DDPP). Le décret du 16 février 2010 y ajoute une autorité sur "le commandant du groupement de gendarmerie départementale et le directeur départemental des services d'incendie et de secours dans les conditions prévues à l'article L.1424-33 du Code général des collectivités territoriales". Mais ce pouvoir sur les services départementaux ne s'exerce que sous l'autorité du préfet de région : le préfet de département ne "pilote" plus les politiques, il les "met en œuvre", "conformément aux instructions" du préfet de région. Le préfet de département conserve seulement deux domaines pour lesquels il est sous l'autorité directe des ministres : le "contrôle administratif des collectivités et établissements publics locaux" (contrôle de légalité principalement), "l'entrée, le séjour des étrangers" ainsi que le "droit d'asile" (articles 10 et 11 du décret 2004-374).
En ce qui concerne les relations avec les collectivités territoriales, l'article 59 n'est pas modifié : "Le préfet de région est seul habilité à négocier et à conclure, au nom de l'Etat, toute convention avec la région ou ses établissements publics.(…) Le préfet de département est seul habilité à négocier et conclure, au nom de l'Etat, toute convention avec le département, les communes et leurs établissements publics." Le décret ne dit pas comment s'articulera désormais cette disposition avec le pouvoir très nettement augmenté des préfets de région sur les enveloppes budgétaires.
Enfin, au niveau de l'arrondissement, le sous-préfet conserve ses pouvoirs antérieurs, et notamment "il participe" toujours au contrôle de légalité. Il continue "d'animer et de coordonner l'action dans l'arrondissement des services de l'Etat", y compris - et cela est neuf – "pour la gendarmerie nationale, dans les limites compatibles avec son statut militaire".
Qui travaillera dans ma DDE ?
Une question qui concerne directement les collectivités est celle du nombre, de la qualité et de la localisation du personnel affecté dans les services opérationnels, et par exemple dans les ex-DDE, les DDT.
Sur cette question de la gestion des ressources humaines des services déconcentrés, une "charte de gestion" a été transmise aux préfets de région et de département début janvier. Et, même après une lecture attentive, le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas simple… La gestion quotidienne des agents reste au niveau local, la gestion statutaire continue de relever des ministères. Entre les deux, il y a les préfets de région et de département qui ont autorité sur les services déconcentrés départementaux et régionaux.
Pour chaque politique menée, les services régionaux (par exemple les Dreal) demanderont des effectifs au ministère, sous l'autorité du préfet de région. Ils seront ensuite chargés de les répartir entre les services départementaux, en l'occurrence entre les DDT. Chaque directeur de DDT "a un pouvoir d'initiative pour l'affectation de l'ensemble des agents de son service" à condition qu'il demande un avis au niveau régional à sa Dreal, et au ministère au gestionnaire du corps (charte, p.8). Dès 2010, chaque directeur "formulera un avis sur toute entrée ou sortie de son service, quelle que soit la voie de mobilité concernée" (charte, p.11).
Il faudra aussi harmoniser tout ce qui concerne les règles de temps de travail, la gestion des carrières, et les dispositifs indemnitaires. Or, environ 50.000 agents sont affectés en directions départementales. Ils relèvent de 5 ministères différents et d'environ 70 corps. Un véritable casse-tête, résumé par les services du premier ministre par cette formule : "Compte-tenu de la mutiplicité des règles de gestion et de leur disparité, l'harmonie recherchée est progressive et se fait sur la base d'un équilibre entre des cadrages nationaux et des possibilités d'adaptation locale."
Pour en savoir plus, il faut se reporter à la charte elle-même (lien ci-contre). Mais pas de faux espoirs : peu probable que vous y appreniez qui travaillera dans la DDE de votre sous-préfecture dans les années à venir...
Hélène Lemesle
Références : Décret 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ; Décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements.