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Territoires ruraux - Services publics en milieu rural : deux propositions de loi sinon rien

Alors que députés de gauche et de droite se livrent à une passe d'armes sur l'avenir des services publics en milieu rural, Jean-Claude Bontron, directeur de Segesa, estime que les besoins ont changé et qu'il convient mieux, désormais, de parler de "services au public", à l'image de l'expérimentation menée dans 23 départements.

Depuis quelques semaines, peut-être l'approche des élections cantonales y est-elle pour quelque chose, les députés de gauche comme de droite s'intéressent de près à la ruralité, mettant chacun en avant leurs propositions. Côté PS, c'est donc l'idée "bouclier rural" au service des territoires d'avenir qui a été avancée, sous la houlette de Germinal Peiro, député de la Dordogne. Un bouclier fort d'une dizaine de mesures, dont l'objectif est de reconstruire l'unité des territoires et la solidarité villes-campagne à travers des services publics de proximité, la dynamisation économique et la modernisation des structures agricoles. Cette initiative traduit le mécontentement des députés socialistes, malgré les actions engagées par le gouvernement comme les Assises des territoires ruraux, qui se sont tenues en 2010, et le Ciadt de mai 2010, qui a débouché sur un plan de 5 milliards d'euros pour les territoires ruraux. Ces députés critiquent en effet l'abandon de la politique d'aménagement des territoires qui, selon eux, défait peu à peu les services publics. Parmi leurs propositions : le maintien ou le rétablissement de services publics indispensables à la cohésion sociale et à la création de richesses (accès à une maternité à moins de 45 minutes, à un accueil de médecine générale à moins de 20 minutes, à un service postal à moins de 15 minutes…), la création de zones de développement économique rural pour permettre aux entreprises de bénéficier de conditions sociales et fiscales favorables, et l'invention d'une "nouvelle école". Mais leur proposition de loi, déposée le 2 février, a été rejetée par la commission du Développement durable de l'Assemblée nationale le 15 mars. Ce qui augure mal de son avenir à quelques jours de son examen en séance publique prévu le 24 mars, à laquelle a tout de suite réagi. "Le PS a une vision passéiste des territoires ruraux, alors que la ruralité est porteuse d'avenir, de modernité, de créativité et d'innovation", a réagi Yannick Favennec, député UMP de la Mayenne, dans un communiqué du 16 mars.

Un plan Marshall pour la ruralité

Côté UMP, c'est un "plan Marshall pour la ruralité" qui a été déposé début février. Un texte soutenu par le collectif "Droite rurale", fort de 56 députés, emmené par Pierre Morel-à-L'Huissier (Lozère). 200 mesures constituent ce plan dont l'objectif est de créer le socle d'une nouvelle politique rurale d'aménagement du territoire. Parmi les mesures : la création d'un fonds de transport de proximité, un médecin généraliste accessible dans les 45 minutes, des micro-crèches, des haltes-garderies itinérantes, la promotion du télétravail. "La question n'est pas de savoir s'il faut un fonctionnaire partout, mais de savoir quelle réponse de proximité réclame le citoyen. Le fonds de commerce de la gauche c'est le service public local, nous, nous sommes pour un service de proximité, en utilisant notamment tout ce que permettent les nouvelles technologies", explique à Localtis Pierre Morel-à-L'Huissier, valorisant les relais de services publics (RSP). Ces dispositifs, qui ont été mis en place dès 2006, sont des structures d'accueil polyvalent du public. Sans forme juridique imposée, ils peuvent être portés par une mairie, une structure intercommunale, un service de l'Etat ou une association. Ils permettent au public d'obtenir un premier niveau d'information et d'effectuer des démarches administratives relevant de plusieurs administrations ou organismes publics (CAF, Urssaf, Pôle emploi, EDF…). "Avec ces relais, on règle 80% des problèmes et on évite aux habitants des zones rurales des trajets inutiles", détaille le député. En novembre 2010, on dénombrait 210 relais de ce type et 24 projets en cours, implantés dans soixante départements. "Nous voudrions qu'il y en ait dans tous les chefs-lieux, soit 4.000 au total, et ainsi, on règlerait en France une bonne partie des problèmes des citoyens."
La proposition socialiste ayant été refoulée en commission, l'avantage semble donc être donné aux propositions multiples de la Droite rurale. Les 56 députés travaillent d'ailleurs chaque semaine sur le sujet et ont déjà rencontré Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, de l'Aménagement du territoire et de la ruralité, il y a deux mois, et le Premier ministre il y a un mois. Leur objectif : "ruraliser tous les textes qui vont venir en débat", comme le détaille Pierre Morel-à-L'Huissier. Le 16 mars, ils ont à nouveau rencontré le ministre de l'Agriculture pour constituer cette fois-ci des groupes de travail sur les différentes thématiques abordées dans la proposition de loi. L'occasion de proposer la mise en place d'un Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire spécifique aux normes rurales, un des chevaux de bataille du collectif. Un Ciadt qui pourrait avoir lieu en juin. "On va essayer de faire passer certaines mesures dans le collectif budgétaire de juin 2011 mais ces mesures vont s'étendre sur quatre à cinq ans", précise Pierre Morel-à-L'Huissier.

"L'évolution est plus variée qu'un simple repli des services publics"

Qu'en est-il réellement de la situation des services publics en France dans les territoires ruraux ? Difficile de répondre à cette question, indique Jean-Claude Bontron, directeur de Segesa, société d'études géographiques, économiques et sociologiques appliquées, et auteur d'un dossier intitulé "Services en milieu rural : nouvelles attentes, nouvelles réponses", paru en janvier 2011 dans la revue Pour, éditée par le Grep (Groupe de recherche pour l'éducation et la prospective). "Auparavant un inventaire des services publics était réalisé en même temps que le recensement, mais ça s'est arrêté en 1999 depuis que le recensement de la population n'est plus exhaustif chaque année", explique Jean-Claude Bontron, qui précise qu'il ne s'agit pas que d'une question quantitative. "La notion de service public est difficile à établir aujourd'hui, ceux qu'on appelait avant services publics sont maintenant souvent privatisés et gérés par des grands opérateurs", détaille-t-il, précisant qu'il préfère du coup utiliser le terme de "services au public". Autre constat : "L'évolution est plus variée qu'un simple repli des services publics. Certains services continuent à se disperser, d'autres se concentrent… Et la proximité physique du service n'est plus ce qui est recherché, ce qui est important c'est l'accessibilité du service, or les élus sont très attachés à la permanence locale du service au risque de le dévaloriser. Plus le service est dispersé, moins il sera de bonne qualité", assure Jean-Claude Bontron, qui estime qu'on ne peut maintenir le tissu de services publics comme avant. Sa solution : les concentrer d'une manière raisonnable, pour qu'ils restent accessibles, que ce soit physiquement ou par le biais des nouvelles technologies, à une distance maximale de 15 kilomètres. Une thèse qui irait plutôt dans le sens des relais de services publics chers à la Droite rurale. Reste aussi le problème de la participation des opérateurs privés qui gèrent une partie de ces services au public, comme La Poste, EDF, Orange, etc. Des acteurs qui sont moyennement intéressés à s'investir dans ces territoires, pour des opérations souvent peu rentables.
La situation de La Poste donne quelques raisons d'espérer une amélioration. A l'occasion de la présentation du deuxième contrat de présence postale territoriale, le 10 mars, les partenaires (Etat, Association des maires de France, La Poste) ont tiré un bilan plutôt positif du travail réalisé pour sécuriser le maillage territorial de l'opérateur dans les communes rurales. "Peu de décisions de transformer un bureau de poste en relais poste commerçant (RPC) ou en agence postale communale (APC) se font maintenant sans l'avis du maire", a assuré à Localtis Vanick Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France, le 10 février, à l'occasion des premières Assises de la proximité. Une expérimentation est aussi en cours dans 23 départements suite à l'accord baptisé "+ de services au public" signé le 28 septembre entre le gouvernement, l'AMF, la Caisse des Dépôts, l'Union des Pimms (Points information médiation multiservices) et neuf opérateurs de service public. Objectif : développer une offre commune de services en milieu rural dans ces départements. Reste à savoir ce que vont devenir les deux propositions concurrentes sur la ruralité. Réponse le 24 mars pour la proposition du PS, déjà rejetée en commission. Celle de la Droite rurale doit elle aussi être analysée en séance publique au mois de mars, après un passage en commission du développement durable.

 

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