Congrès des maires - Les territoires ruraux face à un "mur d'investissements"
"Le fait que le ministère de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire ait disparu n'est pas particulièrement pour nous rassurer." Lors du 93e Congrès des maires, jeudi 25 novembre, Michel Vergnier, président de la commission des communes et territoires ruraux de l'Association des maires de France (AMF), n'a pas caché ses regrets après le départ de Michel Mercier pour la Justice. Selon lui, si le nouveau Garde des sceaux a posé de nombreux jalons lors de son passage rue de Varenne, notamment avec les Assises des territoires ruraux, il reste beaucoup de questions en suspens. Et alors que, peu avant son départ, Michel Mercier laissait entendre que 80% des mesures de son plan en faveur des territoires ruraux étaient en application ou sur le point de l'être, le député-maire de Guéret affiche son scepticisme. "On ne croit que ce que l'on voit", a déclaré l'inventeur du "bouclier rural". Il s'est ainsi interrogé sur l'avenir de la charte des services publics en milieu rural et a demandé qu'elle se concrétise par des engagements effectifs et opposables et qu'elle inclue les services de l'Etat. "Les ministères s'exonèrent tranquillement d'obligations qui s'appliquent aux opérateurs", a-t-il ainsi tancé.
Mais pour Pierre Dartout, délégué interministériel à l'aménagement et à l'attractivité du territoire (Datar), il faut à présent regarder en direction du protocole "+ de services au public" en cours d'expérimentation dans 23 départements. "Nous ne sommes pas dans le cadre d'une charte comme en 2006 mais dans le cadre d'un protocole, ce qui est plus fort qu'une charte et comprend plus de signataires." Dans les 23 départements, le préfet préside un groupe de travail pour élaborer un diagnostic des services publics afin de faire des propositions devant déboucher sur un contrat départemental, a précisé le délégué. S'il ne s'est pas prononcé sur l'absence des services de l'Etat dans le protocole qui lie pour le moment neuf opérateurs, il a estimé qu'il y avait "moins de chaises vides".
"Le trou béant dans la raquette est comblé"
La question des zones de revitalisation rurale (ZRR) était également très présente lors de cette traditionnelle journée des élus ruraux. Ces derniers se sont félicités de la décision récente des députés de revenir sur la suppression des exonérations pour les organismes d'intérêt général de plus de dix salariés, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2011. Pierre Dartout a pris acte de cette décision tout en affirmant qu'une révision du zonage allait s'imposer afin de prendre en compte de nouveaux critères comme le potentiel fiscal des familles. "Le simple critère de densité de la population [33 habitants au km2, ndlr] ne permet pas toujours de qualifier un territoire de fragile", a-t-il dit, indiquant qu'une étude était en cours. D'accord pour revoir ces critères, Pierre Morel-A-L'Huisser, député-maire de Fournels (Lozère), a pour sa part considéré que les ZRR devaient devenir "la référence générale de toute politique de discrimination positive en matière d'aménagement du territoire".
Autre dossier brûlant : les fameux trains d'équilibre du territoire (Corail, Téoz, Intercités et Lunea). Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF, s'est réjoui de la signature, la semaine dernière avec l'Etat, de la convention qui doit entrer en vigueur au 1er janvier prochain. Son objectif : pérenniser et moderniser les quarante lignes dont les déficits d'exploitation sont évalués à 210 millions d'euros chaque année. "Le trou béant dans la raquette est comblé aujourd'hui", a affirmé le responsable de la SNCF, saluant les nouvelles dispositions du PLF 2011 votées par les sénateurs mercredi soir, qui permettront d'éponger ces déficits avec de nouvelles ressources : taxe d'aménagement du territoire acquittée par les sociétés d'autoroute (35 millions d'euros) et nouvelle contribution de solidarité territoriale acquittée par la SNCF (175 millions d'euros), qui se répercutera sur les billets de TGV.
Absence de volonté politique
La question du numérique concentre encore bien des inquiétudes. "Parler de très haut débit à des gens qui n'ont même pas le haut débit a quelque chose d'indécent", a déclaré Hervé Maurey, sénateur-maire de Bernay (Eure) et auteur du récent rapport sur le déploiement du très haut débit, qui évalue à 660 millions d'euros les besoins annuels pour atteindre l'objectif fixé par le président de la République : le très haut débit pour tous à l'horizon 2025. "Un mur d'investissements", selon le directeur général de la Fédération française des télécommunications, alors que le déploiement de la fibre optique pourrait coûter 30 milliards d'euros en quinze ans. Hervé Maurey a mis les 660 millions d'euros à trouver en parallèle avec les 3 milliards d'euros annuels du crédit d'impôt recherche ou ceux de la baisse de la TVA dans la restauration. Et selon lui, le passage de 5,5% à 19,6% du taux de TVA applicable à la "triple play" va générer 1,1 milliard d'euros. "J'ai proposé que la moitié de ce gain aille au fonds d'aménagement numérique du territoire : tous les sénateurs ont voté contre mon amendement, cela montre bien qu'il n'y a pas de prise de conscience ou pas de réelle volonté politique", a-t-il déploré. Mais Pierre Morel-A-L'Huisser s'est engagé à reprendre l'amendement à l'Assemblée.
"Ce n'est pas un coût, c'est un investissement d'avenir essentiel, à comparer avec l'installation de l'eau, de l'électricité, du téléphone sur des périodes très longues, ou l'investissement nécessaire pour l'entretien des infrastructures routières chaque année", a nuancé Pierre Dartout, appelant à "relativiser l'importance au regard des enjeux". "Il y a nécessité d'une mobilisation générale, peut-être avec une nouvelle ressource, impliquant les collectivités, les opérateurs... Le Feder pourrait beaucoup plus être utilisé car on est tout à fait dans les objectifs de la stratégie de Lisbonne et de Göteborg", a ajouté Pierre Dartout. "Il ne faut pas sacrifier aux seuls impératifs budgétaires, on ne se laissera pas faire", a prévenu le sénateur Bruno Retailleau, président de la commission parlementaire du dividende numérique.