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Fibre optique - 660 millions d'euros par an de taxe pour le fonds d'aménagement numérique des territoires

"Réussir le déploiement du très haut débit : une nécessité pour la France", annonce en première page le rapport que le sénateur Hervé Maurey a remis au Premier ministre, ce 26 octobre. Chargé d'une mission pour alimenter le fonds d'aménagement numérique des territoires (Fant) dans la durée, le parlementaire y recommande notamment de créer une "contribution de solidarité numérique" de 0,75 euro par mois sur tous les abonnements internet et de téléphonie mobile, ainsi qu'une taxe de 2% sur les téléviseurs et les consoles de jeux, avec pour modèle l'écoparticipation (c'est-à-dire une ligne apparaissant clairement sur la facture). L'objectif : trouver 660 millions d'euros par an sur une durée de 15 ans pour déployer la fibre optique dans les territoires hors zones denses. "J'ai évalué, avec la Datar et l'autorité de régulation (Arcep), à 23,5 milliards le coût global d'un fibrage de 98% de la population dont 12,9 milliards de financement public. Divisés par 15 années de durée de déploiement pour atteindre les objectifs présidentiels d'une couverture totale en 2025, cela nous donne 860 millions par an. Les collectivités ont participé à hauteur de 200 à 300 millions d'euros pour l'arrivée du haut débit. Compte tenu des difficultés budgétaires, notamment des départements, je considère que l'effort possible pour le très haut débit serait de l'ordre de 150 millions. De même, les fonds européens pourraient abonder a minima pour 50 millions. Il restait donc à couvrir un besoin de 660 millions annuels", a calculé le sénateur de l'Eure. C'est "à la fois beaucoup et pas colossal", a commenté le maire de Bernay, "comparé à l'augmentation de la TVA sur les box qui devrait générer 1 milliard par an de rentrées fiscales, au crédit d'impôt recherche qui coûte 4 milliards, à la baisse de la TVA dans la restauration évalué à 3 milliards, aux économies de 11 milliards du rabot des niches fiscales…". Cette taxe pourrait être votée dès le budget 2012. Le sénateur prévoit, par ailleurs, de déposer des amendements pour qu'une part de la hausse de TVA sur les box soit attribuée au Fant dès 2011. "Plus la période d'alimentation du fonds sera longue, plus le prélèvement annuel sera faible", a insisté l'élu local.

Signal fort aux collectivités

Cette nouvelle taxe (une des 25 mesures que compte le rapport), si elle a "fait pleurer" les fabricants de consoles ou de téléviseurs, aurait recueilli un large consensus de l'ensemble des acteurs : parlementaires, régulateurs, Caisse des Dépôts, opérateurs, associations de professionnels et même d'usagers. Hervé Maurey a ainsi auditionné plus d'une soixantaine d'experts, parmi lesquels les associations d'élus et des collectivités : ARF, ADF, AMF, Avicca, FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), Manche numérique et le syndicat d'énergie de l'Ain. "Mon but n'est pas de taxer pour taxer ni de prendre les opérateurs pour des vaches à lait, mais je ne vois pas d'autre solution. En outre, il s'agit d'envoyer un signal fort aux collectivités qui avaient déjà qualifié le Fant de fonds sans fonds", poursuit le parlementaire. Le Fant, créé par la loi Pintat, était abondé uniquement par 750 millions d'euros issus du programme d'investissements d'avenir (ex-grand emprunt) jusqu'à présent. Insuffisants au regard de l'ambition d'apporter le très haut débit à 70% de la population en 2020 et 100% en 2025. Et le sénateur de détailler qu'une "taxe Google" sur les contenus en ligne est impossible à mettre en place puisque l'assiette en serait trop restreinte et en plus qu'elle serait facilement délocalisable. Qu'une taxe sur les opérateurs de 0,9% a déjà été mise en place pour compenser les revenus de la publicité, suite à leur suppression sur les chaînes publiques de télévision. Qu'une taxe sur la boucle locale de cuivre risquerait de ne pas passer juridiquement au niveau européen puisqu'elle concerne une technologie contre une autre. "Je ne suis pas instrumentalisé par le lobby des télécoms. Je constate même que les opérateurs ont des comportements vis-à-vis de l'Etat tout à fait insupportables, et notamment l'un plus que les autres", se défend le parlementaire.

L'Etat, un acteur vigilant

Hervé Maurey précise notamment, pour la première fois dans un rapport officiel, que les opérateurs alternatifs et l'association de consommateurs Que choisir ? ont posé la question de l'utilisation par France Télécom d'une provision, d'un montant probable de 800 millions d'euros annuels, prélevé par l'opérateur historique sur le tarif de location consenti aux autres opérateurs, en vue du "renouvellement du réseau cuivre". Selon ces acteurs, seule la moitié de cette somme y serait effectivement affectée. "Je ne suis pas convaincu que la somme des intérêts des opérateurs de télécoms soit égale à l'intérêt général", a commenté Hervé Maurey. En dehors du déploiement de la fibre dans les zones denses, "nous sommes sur un investissement dégueulasse [sic]", lui auraient ainsi dit les opérateurs alternatifs. Tandis qu'un autre voudrait bien déployer partout mais s'en trouverait empêché par le respect des règles de la concurrence. "Le gouvernement devrait reconsidérer la formalisation des engagements pris par les opérateurs, les délais dans lesquels ils doivent les mettre en oeuvre et les sanctions envisagées par le programme national très haut débit lorsqu'ils ne respectent pas leurs engagements", recommande aussi le rapport. Le sénateur pense d'ailleurs qu'il faut évaluer rapidement (tous les six mois) les déploiements effectifs des opérateurs et ne pas hésiter à remettre en cause le modèle de concurrence par les infrastructures retenu actuellement, si besoin. "Certains veulent faire un réseau public neutre et ouvert, comme en Australie, il ne faut pas s'interdire de le faire", a conclu Hervé Maurey. La menace de la séparation entre réseaux et services de télécommunications semble de retour en France. Une sorte de politique de dissuasion nucléaire face à l'arrogante force d'inertie des opérateurs ?

 

Luc Derriano / EVS