Aménagement numérique - L'Avicca veut une concurrence par les services plutôt que par les infrastructures
"Les collectivités, mais aussi certains opérateurs, ont émis des doutes sur la voie choisie en France d'une forte concurrence par les infrastructures, plutôt qu'une concurrence par les services sur une infrastructure neutre et ouverte", a indiqué le 21 octobre l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), en bilan de son colloque annuel intitulé "Territoires et réseaux d'initiative publique". En Europe, l'évolution vers le très haut débit se fonde sur une concurrence par les infrastructures, entre opérateurs privés, assortie de mécanismes de régulation. Cependant, le principe de "services d'intérêt économique général" a également été admis, permettant le déploiement des infrastructures publiques neutres et ouvertes aux opérateurs (cas du réseau des Hauts-de-Seine, par exemple). D'autres pays, comme l'Australie, ont opté pour une solution plus radicale qui vise à remplacer le réseau de cuivre par la fibre, sous maîtrise publique à l'échelle de tout le territoire. Tom Menadue, premier secrétaire de l'ambassade d'Australie en France, a ainsi porté le témoignage du ministre des Communications haut débit et de l’Economie numérique du pays, Stephen Conroy. Le déploiement du National Broadband Network (réseau national à haut débit) comportera principalement une desserte en fibre optique jusqu’à l’abonné pour 93% de la population, des réseaux hertziens terrestres pour les zones moins denses et le satellite pour le reste du vaste territoire australien. Les élections législatives locales ont été l’occasion d’un intense débat sur la question, d’autant qu’aucune majorité ne s’est dégagée entre les grands partis, dont l’un voulait poursuivre le projet et l’autre l’abandonner pour laisser faire les opérateurs sur les zones rentables. En août 2010, chaque parti a essayé de rallier des députés indépendants à son programme et la question du réseau national a été un facteur déterminant. En juin, un accord-cadre avait été passé avec l’opérateur historique, Telstra, pour réutiliser une partie de ses infrastructures et pour qu’il bascule ses abonnés sur le nouveau réseau. En parallèle du projet de réseau, la régulation a été refondue et une séparation structurelle mise en place.
Autorité de la concurrence contre autorité de régulation
"Nous n'avons pas de dogme sur le sujet. Mieux vaut une bonne concurrence sur les services qu'une mauvaise sur les infrastructures", a souligné la rapporteure générale de la concurrence, Virginie Beaumeunier. Malgré une ouverture entrevue dans le dernier avis de l'Autorité de la concurrence, ce n'est pas cette voie qui est retenue en France par l'Autorité de régulation des communications et des postes (Arcep). "C'est le seul point sur lequel nous ne nous soyons pas mis d'accord", a reconnu Joëlle Toledano, membre du collège de l'Arcep. Et le président de l'Avicca, Yves Rome, président du conseil général de l'Oise, de rappeler avec force conviction "qu'il faudrait remonter le débat au niveau politique. Il est anormal que le président de l'Arcep évalue, dans une récente interview, les dépenses que les collectivités vont devoir engager pour la couverture en fibre optique de leurs territoires. Il n'est pas non plus normal que le parlement demande un rapport sur ce sujet à l'Arcep. J'ai connu un temps où c'était au ministère de l'Industrie, aux administrations compétentes, que l'on demandait de se prononcer sur ce genre d'investissements structurants. Y aurait-il une particularité des télécoms par rapport aux réseaux d'eau, de gaz, d'électricité ou de chemins de fer ?" Néanmoins, le cadre français et européen est aujourd'hui presque complètement fixé. Les centaines de milliers de lignes FTTH (fibre jusqu'au domicile) construites doivent devenir accessibles aux différents opérateurs dans les prochains mois. De nombreux projets publics sont également lancés par des départements, villes et agglomérations de taille diverse avec l'appui de régions, et deux tiers des territoires départementaux établissent leurs schémas directeurs. "En Australie, les politiques parlent d'effacer la distance entre les zones denses et les autres. Pour eux, la fibre optique est un projet de société : il s'agit de santé, d'environnement, de développement économique et d'éducation. Contrairement à l'Australie, la loi française est beaucoup moins ambitieuse dans les délais et beaucoup moins tranchée dans les modalités : nous ne sommes pas sortis de l'âge du cuivre", a conclu Yves Rome.
Luc Derriano / EVS