Sapeurs-pompiers : la loi "Matras" publiée
Publiée vendredi 26 novembre, la loi "Matras" répond à plusieurs attentes des sapeurs-pompiers de France – reconnaissance de leur statut de "soignants de l'urgence", clarification de la carence ambulancière, capacité à refuser ou différer certaines interventions… –, mais n'entérine pas le numéro unique, qui fera seulement l'objet d'une expérimentation. La loi contient également plusieurs dispositions relatives à la gestion des risques, prévoyant de nouvelles obligations pour les communes et les EPCI.
Issue d'une proposition de loi du député Fabien Matras, la loi "visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels" a été publiée au Journal officiel ce 26 novembre. N'ayant pas été soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, le texte est conforme à la version adoptée par la commission mixte paritaire le 8 octobre 2021, qui avait été largement vantée lors du dernier congrès des sapeurs-pompiers de France par le président de la République (v. notre article du 18 octobre).
Un périmètre élargi aux soins d'urgence, la capacité de dire "non" reconnue
"Première loi de modernisation de la sécurité civile depuis 17 ans", soulignait à cette occasion la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), le texte redéfinit notamment :
• le périmètre des opérations de secours et les missions des services d'incendie et de secours (Sdis), en affirmant le rôle de ces derniers dans le domaine des soins d'urgence, notamment lorsque des personnes présentent "des signes de détresse vitale" ou "de détresse fonctionnelle justifiant l’urgence à agir". Un décret – qui, selon le président de la République, devrait être pris "avant la fin de l'année" – définira les actes que pourront réaliser les sapeurs-pompiers qui ne sont pas par ailleurs professionnels de santé. Le texte prévoit également le recours possible à la télémédecine pour réaliser leurs missions ;
• la définition des carences hospitalières, i.e. les interventions effectuées par les Sdis "sur la prescription du service d’aide médicale urgente [Samu], lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés pour une mission visant à la prise en charge et au transport de malades, de blessés ou de parturientes, pour des raisons de soins ou de diagnostic, et qui ne relèvent pas" de leurs missions de service public (CGCT, art. L. 1424-2). Ces carences pourront être requalifiées a posteriori à la demande du Sdis au Samu. En cas de désaccord, est prévue une commission de conciliation paritaire, sous l’égide du comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (Codamups-TS). Les conditions de recours amiable seront définies par décret (on relèvera que ces dispositions ont failli faire échouer la CMP).
En outre, les Sdis sollicités pour des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de leurs missions peuvent dorénavant "différer ou refuser leur engagement afin de préserver une disponibilité opérationnelle" pour leurs missions de service public.
Gestion de crises : nouvelles obligations pour les communes…
Chaque conseil municipal devra désormais désigner un correspondant incendie et secours (sauf s'il compte un adjoint au maire ou un conseiller municipal chargé des questions de sécurité civile). Certaines communes voient en outre leurs obligations renforcées en matière de gestion des risques :
• celles "exposées à au moins un risque majeur" devront mettre à la disposition du public les "informations dont elles disposent". Leur maire doit communiquer "par tout moyen approprié, les caractéristiques du ou des risques majeurs, les mesures de prévention, les modalités d’alerte et d’organisation des secours et, le cas échéant, celles de sauvegarde", y compris "les garanties" prévues par les contrats d'assurance contre les catastrophes naturelles (C. assurance, art. L. 125-1) ;
• celles dotées d'un plan de prévention des risques naturels ou miniers prévisibles prescrit ou approuvé, comprises dans le champ d'application d'un plan particulier d'intervention, comprises dans un des territoires à risque important d’inondation, reconnues comme exposées au risque volcanique, au risque cyclonique (outre-mer), concernée par une zone de sismicité, ou sur laquelle une forêt est exposée au risque incendie devront obligatoirement établir un plan communal de sauvegarde. Sa mise en œuvre devra faire l'objet d'un exercice – dont les modalités seront prises par décret, après avis de l'AMF, de l'AMRF et de l'Assemblée des communautés de France – tous les cinq ans au moins.
En outre, un plan intercommunal de sauvegarde est rendu obligatoire, dans les cinq ans, pour tous les EPCI à fiscalité propre "dès lors qu’au moins une des communes membres est soumise à l’obligation d’élaborer un plan communal de sauvegarde". Ce plan intercommunal – arrêté par le président de l’EPCI et par chacun des maires des communes dotées d’un plan communal de sauvegarde – ne vient plus comme précédemment "en lieu et place" du plan communal, mais s'ajoute à ce dernier, le président de l'EPCI devant s'assurer de leur articulation. Ce plan devra lui-aussi faire l'objet d'un exercice tous les cinq ans.
… celles volontaires pouvant mettre la main à la poche
Le texte institutionnalise également le "contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces" (Cottrim), généralisé en 2016, et prévoit que l'État, les collectivités et les Sdis peuvent conclure dans chaque département une convention, baptisée "pacte capacitaire" (v. notre article), "afin de répondre aux fragilités capacitaires identifiées dans les Cottrim". Cette convention déterminera la participation financière de chacun des signataires.
Toujours en matière de gestion de crises, on relèvera par ailleurs que le texte dispose qu'"en cas de situation de crise susceptible de dépasser la réponse courante des acteurs assurant ou concourant à la protection générale des populations ou à la satisfaction de ses besoins prioritaires […], le représentant de l’État dans le département assure la direction des opérations". Une disposition qui devrait ravir la FNSP, qui a dénoncé naguère les affres d'une crise du covid "administrée, et non gérée" (v. notre article).
Demain, un numéro unique ?
Les parlementaires n'ont pas coupé la tête du serpent de mer du numéro unique, qui prend plus que jamais des allures d'hydre de Lerne. Le texte prévoit seulement en effet une "expérimentation visant à instituer un numéro unique d’appel d’urgence" – qui concrètement revêt trois configurations différentes : une première rassemblant l’ensemble des Sdis, services de police et de gendarmerie nationales et Samu ; une deuxième regroupant "les mêmes services, hors 17 'police-secours'" et une troisième "testant de manière autonome le regroupement du 15 et de la permanence des soins et leur interconnexion avec les autres services d'urgence". Cette expérimentation, mise en œuvre dans une zone de défense et de sécurité, est placée sous l’autorité conjointe du préfet de zone et du directeur général de l’agence régionale de santé dont dépend le département du chef-lieu de zone. En CMP, les sénateurs ont obtenu que "les conditions matérielles de sa mise en œuvre [soient] définies avec les présidents des conseils d’administration des services d’incendie et de secours et les présidents des conseils de surveillance des établissements de santé sièges d’un service d’aide médicale urgente concernés". "Passée la phase d’expérimentation, la généralisation des plateformes uniques demandera du courage politique et des moyens – une plateforme réunissant tous les acteurs coûte plusieurs millions d’euros. Les départements devront assumer la décision devant les Sdis, et contribuer au financement, avec les communes", a notamment relevé le sénateur Loïc Hervé.
À noter que la CMP a finalement ramené à deux ans la durée de cette expérimentation.
Autres dispositions adoptées… ou recalées
Le texte prévoit également d'expérimenter l'institution d'une réserve citoyenne des Sdis, modifie le fonctionnement et la gouvernance (notamment, parité dans les conseils d'administration) de ces derniers, prévoit la remise d'un rapport du gouvernement au Parlement sur leur financement avant le 1er janvier 2023, vise à reconnaître l'engagement, à valoriser et faciliter le volontariat (abaissement de la durée de service effectif ouvrant droit à la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance, facilitation de l'obtention d'une autorisation d'absence, de l'accès au logement social…), prévoit diverses dispositions relatives aux associations agréées de sécurité civile, pérennise et généralise l’usage des caméras mobiles (v. notre article), aggrave les peines d'outrage envers les sapeurs-pompiers ou prévoit encore qu'à l'occasion de la rénovation des façades d'un Sdis ou la création d'un tel centre, est apposée la devise de la République à son fronton.
En revanche, n'a pas survécu au passage en CMP, faute de normativité, l'affirmation selon laquelle "l'activité de sapeur-pompier volontaire ne peut être assimilée à celle d'un travailleur", rempart de papier dressé devant la jurisprudence Matzak. A également été supprimée la disposition portée par le sénateur Kanner (qu'il a également promue dans un rapport et dans une autre proposition de loi, adoptée par le Sénat le 6 mars 2019 mais restée sans suite) visant à faciliter les dépôts de plainte en permettant l’anonymat des témoins de l’agression de sapeurs-pompiers.
Référence : loi n°2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels : JO 26 novembre. |