La situation des Sdis "n'est pas durablement soutenable", estime la Cour des comptes
Dans un rapport publié le 26 mars, la Cour des comptes s'en prend une nouvelle fois aux charges de personnels des services départementaux d'incendie et de secours. Elle met en garde contre l'impact financier que représenterait l'application aux sapeurs-pompiers volontaires de la directive de 2003 sur le temps de travail.
Le système français de sécurité civile "a atteint ses limites" et "n’est pas durablement soutenable", constate la Cour des comptes dans un rapport rendu public mardi 26 mars. Les recommandations qu’elle avait déjà eu l’occasion de formuler en 2011 à la fois sur les rémunérations et le temps de travail n’ont généralement pas été suivies d’effets, regrette-t-elle, après avoir passé au crible 34 Sdis (services départementaux d’incendie et de secours). La situation devient préoccupante, car les Sdis se trouvent à la croisée de plusieurs enjeux : stagnation des effectifs dans un contexte d’augmentation du nombre d’interventions, situation financière des départements (principaux financeurs), insécurité sur l’avenir du volontariat suite à la jurisprudence Matzak de 2018.
Hausse des charges de personnel
Encore et toujours, ce sont les charges de personnel qui sont dans le viseur des magistrats. Elles se sont ainsi élevées à 3,4 milliards d’euros en 2017 et ont connu une augmentation d’1,7% par an depuis 2011 pour totaliser aujourd’hui 82% de leurs charges courantes. L’activité des Sdis est passé de 4,2 à 4,6 millions d’intervention, soit une augmentation de 9,6% depuis 2011 qui tient essentiellement au secours d’urgence à personne (Suap).
Le coût des réformes statutaires entreprises entre 2012 et 2017 "n’a pas été évalué avec une précision suffisante". Dans l’intervalle, les charges de personnel ont augmenté de 10,9%. Le montant des indemnités - qui représentent souvent 50% de la rémunération des professionnels - a progressé de 1,9% par an, passant de 613 millions à 685 millions d’euros entre 2011 et 2016. Or, les Sdis ne mettent qu’exceptionnellement en œuvre "les possibilités de modulation des indemnités qui leurs sont offertes". La loi du 27 décembre 2016 relatives aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires qui a institué des emplois fonctionnels de directeur département et de directeur-adjoint a contribué à "aggraver les dépenses de rémunération et donc les coûts mis à la charge des départements".
La Cour relève que l’organisation des régimes de travail en 24 heures (G24) représente encore 47% des gardes effectuées par les professionnels. Or ce mode de garde (24h de garde suivi de 24h de repos) n’est "pas le plus efficient", compte tenu notamment du nombre important de "gardes blanches" (sans intervention). De nombreux Sdis ne respectent pas la durée légale de travail de 1.607 heures par an, quelle que soit la catégorie de personnel. Ce qui s’explique souvent par l’octroi de "congés supplémentaires non prévus par les textes". Le temps de travail des personnels navigants de la sécurité est inférieur de 20% à la durée légale.
La Cour plaide pour une "rationalisation de l’organisation du travail du Sdis", en fonction du risque et des besoins. Ce qui pourrait passer par un recours accru aux volontaires.
Menace sur le volontariat
La tentation est grande en effet : les sapeurs-pompiers volontaires représentent 79% des effectifs mais un quart des dépenses de personnels des Sdis. La Cour constate cependant que l’absence d’encadrement des indemnités qui leur sont versées est "fréquente". Celles-ci ont augmenté de 477 à 535 millions d’euros entre 2011 et 2017, soit là encore une progression de 1,9% par an. La Cour dénonce par ailleurs un "manque de régulation" et des "irrégularités" pour ce qui est des avantages en nature (logements, voitures de fonction…).
Mais la question la plus délicate est celle de la jurisprudence Matzak, du nom d’un arrêt du 21 février 2018, dans lequel la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que la directive sur le temps de travail de 2003 devait s’appliquer aux sapeurs-pompiers belges. Le 6 mars dernier, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), s'inquiétant de recours similaires en France, avait interpellé les candidats aux élections européennes 2019 sur la menace que l’application de cette directive ferait peser sur le modèle de sécurité civile, en considérant les volontaires comme des travailleurs à part entière. "Il appartient à l’État, aux collectivités locales et aux Sdis d’identifier les conséquences organisationnelles d’une mise en conformité progressive avec le droit européen", relève la Cour, alors que l’impact budgétaire d’une telle application n’a pas été évalué, même si la Cour rappelle que la totalité des gardes des sapeurs-pompiers volontaires représente 30.000 équivalents temps plein.
Une revue des missions des services de secours
La Cour des comptes émet dix nouvelles recommandations pour abaisser les coûts des Sdis. Elle demande tout d’abord de procéder à une revue des missions des services d’incendie et de secours sachant que le secours d’urgence à personne représente désormais 84% du total des interventions, contre 7% pour les incendies. Elle préconise aussi un "plan de mise en conformité" du volontariat avec le droit européen, d’appliquer les modulations prévues pour les indemnités, ou encore de dresser le bilan financier des récentes réformes statutaires.