Insertion - RSA : et maintenant ?
Le revenu de solidarité active, qui mobilise environ 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires, soit un coût total de 9,8 milliards d'euros en régime de croisière, voit le jour dans des circonstances très éloignées de celles qui ont présidé à sa création. Ce changement de contexte, conséquence de la crise économique, conduit à un net changement de perception du RSA. Dès les premières réflexions sur sa création, le RSA comportait certes deux volets bien distincts : le RSA socle - centré sur l'insertion et qui regroupe les actuels bénéficiaires du RMI et de l'allocation de parent isolé (API) - et le RSA chapeau, qui s'adresse aux "travailleurs modestes", c'est-à-dire à des personnes en situation d'emploi à temps plein ou à temps partiel mais percevant de faibles rémunérations. Tout au long de la phase d'élaboration qui a abouti à la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, l'accent a été mis principalement sur le RSA socle, notamment en raison du périmètre de l'expérimentation. La situation semble aujourd'hui inversée. Le discours s'est déplacé pour porter davantage sur le RSA chapeau et sur le bénéfice de cette mesure pour les travailleurs modestes. Interrogé le 1er juin sur Europe 1, Martin Hirsch a d'ailleurs lui-même présenté le RSA comme "la mesure la plus puissante pour soutenir le pouvoir d'achat".
Plusieurs raisons expliquent ce glissement. La crise économique, si elle légitime le RSA et l'accélération de son calendrier, risque de peser lourdement sur l'efficacité du RSA socle. Le récent rapport du comité d'évaluation des expérimentations, bien que positif, se montre ainsi très prudent sur l'impact du RSA sur le retour à l'emploi (voir ci-contre notre article du 25 mai 2009). En revanche, le RSA devrait permettre à environ 700.000 personnes de repasser au-dessus du seuil de pauvreté, ce qui représente environ 10% de l'effectif concerné. Cet effet bénéfique sera toutefois étalé dans le temps. A la différence des bénéficiaires du RSA socle - qui basculent automatiquement dans le dispositif à partir du RMI ou de l'API -, les "travailleurs modestes" devront se faire connaître pour bénéficier du RSA chapeau. Pour un paiement le 6 juillet, la date limite de dépôt des demandes est ainsi fixée le 15 juin, d'où l'importance de faire connaître cet aspect du dispositif.
Les acteurs institutionnels sont-ils prêts ?
Au-delà de ce glissement progressif entre les deux volets du RSA, d'autres questions plus immédiates se posent également. La première réside dans la capacité des acteurs institutionnels à absorber la mise en place de la réforme. Si les caisses d'allocations familiales, après un sérieux passage à vide (voir notre article du 18 mars 2009), semblent désormais en mesure de faire face au traitement des dossiers, il n'en va pas nécessairement de même pour Pôle emploi, confronté également à la très rapide montée du chômage et aux difficultés de la fusion ANPE-Unedic (voir encadré ci-dessous). Martin Hirsch a d'ailleurs reconnu que "ce ne sera pas facile". Mais le haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté estime que l'"on a brisé un tabou" : "Les bénéficiaires du RSA ne seront plus dans le compartiment dont personne ne s'occupe et leur probabilité de trouver un emploi sera désormais identique à celle des autres chômeurs."
Les départements ne sont pas non plus à l'abri. S'ils ne sont pas directement concernés par la montée en charge du RSA chapeau, il leur faut en revanche adapter le dispositif du RSA socle. Ceci suppose notamment, pour chaque département, de se positionner clairement par rapport aux autres acteurs institutionnels sur l'orientation des demandeurs, l'instruction des demandes et le suivi des bénéficiaires et d'élaborer et de négocier en conséquence le pacte territorial pour l'insertion, qui doit formaliser le fonctionnement du dispositif. Ceci suppose aussi de mettre rapidement sur pied les équipes pluridisciplinaires, au sein desquelles devront siéger des représentants des bénéficiaires, et de refonder les programmes départementaux d'insertion (PDI). En l'état actuel des choses, la plupart des départements ne devraient pas avoir achevé la mise en place du nouveau dispositif avant la fin de 2009. Sur ce point, un écart pourrait également apparaître entre les 34 départements expérimentateurs - qui possèdent déjà un certain recul - et les autres.
Autre chantier en suspens : la "déclaration commune de principe" et le "guide pédagogique" sur la délicate question des droits connexes locaux, qui doivent être élaborés et diffusés par les services du haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté. Sur ce point, le rapport de Sylvie Desmarescaux, sénatrice du Nord (voir notre article ci-contre du 15 mai 2009), a bien posé le diagnostic mais, confronté au principe de la libre administration des collectivités territoriales, n'a pu aller très loin dans les pistes d'action. Cette remise à plat est pourtant indispensable pour éviter des ruptures d'égalité trop voyantes en fonction des territoires.
Reste, enfin, la question de l'extension du RSA à tout ou partie des 18-25 ans. Sur ce point, la doctrine semble encore assez incertaine. Dans un premier temps, Martin Hirsch paraissait assez ouvert à une telle possibilité, évoquant "un débat qu'on ne peut occulter" (voir l'encadré de notre article du 25 mai 2009). Le 1er juin, le haut-commissaire s'est montré plus circonspect, indiquant qu'"on travaille d'arrache-pied pour trouver autre chose pour les moins de 25 ans". Il a affirmé avoir "plusieurs hypothèses" alternatives au RSA, mais sans en donner le contenu. Les mécanismes envisagés devraient s'écarter de la logique d'un revenu de subsistance ou d'un simple complément de revenu, au profit d'un dispositif associant le volet financier à l'accès à un emploi ou au suivi d'une formation qualifiante.
Quels effets sur la qualité des emplois ?
S'agissant du RSA chapeau, une fois le dispositif stabilisé (ce qui devrait être le cas au début de l'an prochain), il restera à mesurer son impact effectif à court et moyen terme. Selon les estimations des services du haut-commissaire, le RSA devrait compter, en régime de croisière, environ 3,1 millions de foyers (soit environ 6,8 millions de personnes). Sur ce total, environ 60% devraient correspondre à des "travailleurs modestes", c'est-à-dire à des personnes en situation d'emploi gagnant moins de 880 euros par mois pour un individu isolé.
L'objectif est de voir 700.000 personnes repasser rapidement au-dessus du seuil de pauvreté. Mais tout dépendra du rythme de montée en charge de ce RSA chapeau.
Le paysage est beaucoup plus incertain pour le RSA socle. Au fil de ses estimations, la commission d'évaluation des expérimentations n'a cessé de revoir à la baisse l'impact du RSA sur le retour à l'emploi. La perspective annoncée par l'Unedic de 640.000 chômeurs supplémentaires en 2009 pourrait d'ailleurs bien remettre en cause le gain de 9% d'insertion professionnelle constaté, sur la phase expérimentale, par la commission d'évaluation.
A défaut d'effet quantitatif significatif, l'attention pourrait se porter plutôt sur la qualité des emplois de débouchés pour le RSA socle ou, a contrario, sur les éventuels effets pervers sur la qualité des emplois pour le RSA chapeau. La principale crainte sur ce dernier point - exprimée notamment par la CGT, la Fnars ou le collectif "Nouveaux Droits" - est que le RSA chapeau constitue une "trappe à précarité" en encourageant les employeurs à proposer des emplois à temps partiel et/ou faiblement rémunérés. Dans un entretien au quotidien Le Parisien/Aujourd'hui en France du 1er juin, Martin Hirsch se montre catégorique : "Le mécanisme est complètement neutre" et l'employeur "n'aura aucun avantage, par exemple, à mettre [son salarié] à temps partiel". La réponse définitive à cette question devrait figurer dans le rapport annuel prévu par l'article 32 de la loi du 1er décembre 2008 et dans les travaux du comité d'évaluation, chargé de préparer la "conférence nationale" sur le bilan du RSA, qui doit se tenir avant le 1er décembre 2011.
Jean-Noël Escudié / PCA
Financement du suivi renforcé : Pôle emploi revient à la charge
Après avoir quasiment conclu, début avril, un accord-cadre avec Pôle emploi sur le suivi renforcé des bénéficiaires du RSA, l'Assemblée des départements de France (ADF) a renoncé au dernier moment à sa signature. Ce revirement s'explique par le peu d'enthousiasme des départements face au coût du suivi proposé, surtout après l'expérience mitigée de l'accord de décembre 2005 sur le RMI. Faute d'accord-cadre national, les relations entre les départements et Pôle emploi se régleront donc au niveau local. Elles pourront ainsi déboucher soit sur un accord local, soit sur la mise en oeuvre d'autres solutions : création d'une cellule ad hoc par le département, appel à des prestataires privés...
L'échec de l'accord-cadre n'a toutefois pas découragé Pôle emploi, conduisant à une situation quelque peu paradoxale. Alors que ce dernier, confronté à la très rapide montée du chômage et aux frictions inévitables liées au rapprochement à marche forcée entre l'ANPE et l'Unedic, peine à assurer ses obligations de base, il fait le siège des départements pour proposer ses services. Cette politique de la direction nationale de Pôle emploi est toutefois souvent mollement relayée au niveau local, certaines directions départementales ne cachant pas leur difficulté à faire face à cette charge. Le directeur général de Pôle emploi se veut toutefois résolument optimiste. Dans des propos au quotidien Le Monde, Christian Charpy prévoit de "signer des conventions avec la grande majorité des départements, comme nous venons de le faire dans le Rhône où le conseil général finance 50 postes à Pôle emploi".