Insertion - RSA : les dernières pièces du puzzle se mettent en place
Dans un mois, tout devra être calé pour effectuer les premiers versements du revenu de solidarité active (RSA). Le défi est "redoutable" et le délai est "très court", reconnaît par exemple le directeur général de la Cnaf, Hervé Drouet, même s'il assure officiellement que "les CAF seront prêtes aux échéances prévues, seront au rendez-vous du paiement". "On n'a pas le droit de se louper", insiste de surcroît Martin Hirsch, le haut-commissaire initiateur de la réforme, en citant quelques chiffres annonciateurs des attentes suscitées auprès des bénéficiaires potentiels : 100.000 appels téléphoniques au 39.39, 2,4 millions de personnes ayant depuis un mois fait un test d'éligibilité au RSA sur le site internet de la Cnaf, dont 450.000 dossiers téléchargés. "Nous sommes à un mois de la généralisation du RSA... et il y a encore beaucoup d'interrogations", résume pour sa part René-Paul Savary, président du conseil général de la Marne et président de la commission Insertion et cohésion sociale de l'Assemblée des départements de France (ADF), qui poursuit : "Certes, on a l'habitude de ce type de situations - nous l'avons vécu avec le RMI, avec l'APA, avec les MDPH..." "C'est très difficile mais possible et on sera prêts", confirme Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et premier vice-président de l'ADF.
Tous s'exprimaient le 29 avril lors des "Journées nationales sur le RSA et les politiques d'insertion" organisées à Paris par l'ADF. Objectif de l'événement : réunir les grands acteurs impliqués dans la mise en oeuvre du dispositif et permettre aux départements de mieux cerner leur nouveau rôle dans ce vaste puzzle du RSA. Un puzzle dont les morceaux, à écouter les uns et les autres, ne vont pas forcément être faciles à assembler. Et ce, alors même qu'il a sans cesse été dit combien "le RSA est une co-construction", combien "la dimension partenariale sera cruciale pour sa réussite". Et alors même que le rôle de pilote du conseil général est clairement énoncé et ne semble pour le moment pas remis en cause par qui que ce soit. "Les CAF sont bien au service des départements, à leur disposition, pour gérer cette prestation", assure notamment Hervé Drouet.
Qui va faire quoi
En tout cas, pas mal d'ajustements sont encore nécessaires et le resteront durant la première année, que ce soit au niveau national ou à l'échelle départementale, voire locale. Des ajustements... et, sans doute, quelques négociations serrées. Des inconnues, aussi, ne serait-ce que sur le nombre de bénéficiaires. Car au-delà des quelques 1,3 million de personnes actuellement bénéficiaires du RMI ou de l'API qui basculeront automatiquement vers le RSA "socle", combien de personnes seront éligibles au RSA "chapeau", la partie du dispositif destinée aux "travailleurs pauvres" ? Les estimations diffèrent et les incertitudes liées à la crise n'arrangent évidemment rien.
Au niveau purement technique déjà, le timing s'annonce plus que serré. Ainsi par exemple, si l'application extranet "i-RSA" - que la Cnaf doit mettre à disposition afin, notamment, d'assurer les flux de données et d'informations entre les partenaires - doit être opérationnelle le 2 juin pour les modules permettant l'instruction des dossiers et l'ouverture des droits, la partie de l'outil consacrée à l'aide à l'orientation ne sera disponible qu'à l'automne.
Et surtout, il semblerait que l'on ne sache pas toujours exactement qui va faire quoi et comment, ne serait-ce qu'au stade du recueil des demandes et de l'instruction. Certes, la loi et son décret d'application du 15 avril énoncent assez clairement les choses. L'instruction peut être réalisée par les services du conseil général, les CAF et les MSA, les CCAS qui auront délibéré en ce sens, certaines associations habilitées par le conseil général (et, en principe à partir de 2010 pour certains demandeurs d'emploi, Pôle emploi). Le tout sous la houlette du conseil général et à titre gratuit. Sauf que selon les territoires, des choix différenciés peuvent être faits (en Meurthe-et-Moselle par exemple, la CAF devrait être l'unique responsable de l'instruction, même si d'autres lieux, dont les CCAS, poursuivront naturellement leur rôle d'accueil et d'information, a indiqué Michel Dinet). Et sauf que l'idée de gratuité n'est apparemment pas si évidente que ça.
Négociations
On a ainsi entendu parler d'une CAF ayant demandé au conseil général un soutien financier pour son travail d'instruction. On a entendu l'Unccas expliquer que certains "petits CCAS" - dont le rôle en termes de "proximité" et de "maillage territorial" serait essentiel - risquent de ne pas pouvoir s'engager dans l'instruction, faute de moyens, si l'on ne prévoit pas de rémunération du "service" par le conseil général ou par la CAF. Or, prévient Michel Dinet : "Nous avons depuis longtemps un partenariat fort avec les CCAS, mais il n'est pas question qu'ils demandent systématiquement un financement au département." En tout cas, chaque CCAS pourra choisir de prendre en charge soit l'instruction, soit l'orientation et l'accompagnement, soit l'ensemble - et l'accompagnement fera l'objet d'une convention de délégation avec le département.
De même, la branche famille, qui va proposer aux départements un suivi des familles monoparentales (les actuels bénéficiaires de l'API) étant donné son "savoir-faire" spécifique par rapport à ce public, a segmenté cette offre de services en trois niveaux (accès aux droits, correspondant Pôle emploi, référent). Toutes les CAF ne prendront pas en charge les trois niveaux et seul le premier sera gratuit pour les conseils généraux, les deux autres devant donner lieu à un accord "de gré à gré" au niveau de chaque département, tel que l'a précisé Hervé Drouet. Des négociations financières sont également à prévoir avec la MSA pour l'"accompagnement social" des agriculteurs (salariés et non-salariés) bénéficiaires du RSA, comme ce fut déjà le cas pour le RMI.
Clauses de revoyure
S'agissant de Pôle emploi, les choses ne sont évidemment pas plus faciles. L'élaboration de la convention nationale entre Pôle emploi et l'ADF a donné lieu à d'"âpres" négociations, pour reprendre l'adjectif choisi par Martin Hirsch, et des conventions départementales doivent être discutées avec les conseils généraux qui le souhaitent. "Il faut maintenant que le travail se fasse vite dans les territoires, sur la base de ce qui a été convenu au niveau national", souligne Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi.
Ce qui pose problème ? "La définition de la limite entre ce qui est obligatoire et ce qui est facultatif", résume Claudy Lebreton, le président de l'ADF. Autrement dit, entre "l'offre de services de base" et "l'offre de services complémentaires". Pour Christian Charpy, "le bénéficiaire du RSA aura bien droit aux mêmes services de la part de Pôle emploi que n'importe quel demandeur d'emploi" (offre de base). Certains auront toutefois besoin d'un "accompagnement renforcé" - et là, on basculera vers l'offre complémentaire, facturée au conseil général. En sachant, comme l'a rappelé René-Paul Savary, que "l'offre complémentaire de Pôle emploi est soumise à concurrence". Du coup, "il n'est pas certain que les départements soient aussi nombreux que pour le RMI à signer une convention avec Pôle emploi", subodore Claudy Lebreton. Celui-ci s'interroge aussi sur "les moyens dont disposeront les CAF et, plus encore, Pôle emploi", pour remplir son rôle dans le cadre du RSA.
La question des moyens et la vigilance des départements par rapport aux financements prévus a d'ailleurs été constante au cours de ces Journées nationales organisées par l'ADF. Outre la fameuse "compensation à l'euro près", Martin Hirsch a mis l'accent sur les "clauses de revoyure" prévues 6 mois puis 18 mois après l'entrée en scène du RSA. Il a aussi insisté sur le fait que même si le nombre de bénéficiaires du RSA "chapeau" devait augmenter, cela n'affecterait en rien les départements. Sauf que ces derniers craignent qu'en fin de compte le nombre de personnes réduites au RSA "socle" n'augmente lui aussi.
Pas de modèle unique
Au-delà des moyens et des probables tractations qui pourront avoir lieu localement, la vraie question sera celle de la capacité des partenaires "à s'organiser, à travailler collectivement en remplissant chacun sa mission", tel que l'a exprimé René-Paul Savary. Ceci autour du pacte territorial d'insertion, conçu comme "l'outil structurant qui va permettre ou pas la réussite du dispositif". Si pour l'heure, seuls deux pactes territoriaux sont signés (en Côte-d'Or et dans la Marne), beaucoup d'autres sont dans les tuyaux. Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, Michel Dinet a préféré commencer par lancer six "conférences territoriales" dont le futur pacte représentera en quelque sorte la synthèse, à l'automne.
Tous ont en tout cas relevé que l'on ne devrait pas trouver deux pactes identiques : "il n'y a pas de modèle unique", "il est important d'avoir des marges de manoeuvre"... Ainsi, certains s'orientent vers un document "le plus simple possible", quitte à préciser les choses ensuite dans d'autres documents, dont les "conventions d'orientation". Certains comptent une longue liste de signataires tandis que d'autres ne feront pas signer tous les partenaires mentionnés.
"En termes de gouvernance territoriale, cela ne me choque pas si les choses se mettent en place de façon différenciées en fonction des départements. Il est au contraire précieux de cultiver nos différences", estime à ce titre Claudy Lebreton.
Claire Mallet