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Routes secondaires à 80 km/h : le décret publié après des mois de controverse

La mesure instaurant la limitation de vitesse à 80 km/h entrera en vigueur le 1er juillet. Selon le ministère de l'Intérieur, "11.000 panneaux de signalisation seront modifiés sur tout le territoire". L'Etat remboursera aux conseils départementaux le coût des travaux entrepris.

Malgré des mois de contestation, de manifestations et de débats, c'est désormais officiel : au 1er juillet, la vitesse sur 400.000 kilomètres de routes secondaires ne sera plus limitée à 90 km/h mais à 80 km/h. A deux semaines de l'échéance, le décret d'application a été publié ce dimanche 17 juillet au Journal officiel. Cette limitation de vitesse s'appliquera sur les routes secondaires à double sens sans séparateur central (muret, glissière), soit 40% du réseau routier français.
Annoncée le 9 janvier dans le cadre d'un plan gouvernemental visant à réduire le nombre de tués sur les routes, la mesure a depuis déclenché une levée de boucliers des associations d'automobilistes et de motards, rejoints par des élus et même certains ministres. Dans un sondage publié en avril, 76% des Français s'y déclaraient opposés. Conscient du tollé qu'il allait susciter, le Premier ministre, Edouard Philippe, s'est toujours dit "prêt à assumer l'impopularité" de cette disposition qui permettra, selon lui, de sauver 300 à 400 vies par an. "Réduire le nombre de morts et de blessés sur les routes françaises est un véritable enjeu de politique publique", a-t-il ainsi répété le 18 mai. Une "clause de rendez-vous" est fixée au 1er juillet 2020. "Si les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances, (...) le gouvernement prendra ses responsabilités", a assuré Edouard Philippe.
"Enfin ! C'est LA mesure de rupture nécessaire et indispensable pour remédier à la remontée, puis aujourd'hui la stagnation à un niveau médiocre, de la mortalité routière", se réjouit la présidente de la Ligue contre la violence routière, Chantal Perrichon, saluant le "courage" du gouvernement face aux "lobbies et (aux) hommes politiques politiciens qui ont déployé tant d'énergie pour s'opposer". Selon elle, cette disposition s'inscrit dans la lignée d'autres mesures "majeures" de sécurité routière, comme l'instauration des radars automatiques (2002) ou la ceinture de sécurité obligatoire (1973), également décidées contre l'avis de l'opinion publique.

Une mesure "parisianiste" ?

Les opposants, qui dénoncent un "passage en force" du gouvernement, affirment que cette baisse de la vitesse n'aura pas d'effet significatif, jugeant notamment dépassé le modèle des chercheurs suédois Nilsson et Elvik sur lequel se basent les partisans du "80 km/h" (une baisse de 1% de la vitesse engendre une diminution de 4% des accidents mortels). Cette mesure "parisianiste", selon le délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes, Pierre Chasseray, renforcerait également le sentiment d'isolement des habitants des zones rurales, où sont situées l'essentiel des routes concernées. "On a mené 250 actions depuis janvier, du jamais vu depuis 40 ans. L'opposition n'est pas une majorité silencieuse, c'est une majorité qui se déclare contre, manifeste", ajoute Didier Renoux, porte-parole de la Fédération française des motards en colère (FFMC).
Pourquoi imposer une nouvelle mesure "répressive" alors qu'une baisse de la mortalité est amorcée ? s'interrogent-ils. "On n'est pas encore revenu au niveau de 2013", répond le délégué interministériel à la Sécurité routière, Emmanuel Barbe en soulignant que, exception faite du nombre de morts, le nombre d'accidents corporels (+2,2%), de personnes blessées (+1,3%) et d'hospitalisations (+2%) ont été en hausse en 2017. Les routes secondaires à double sens hors agglomération ont par ailleurs concentré 55% des accidents mortels de l'année. Face à la colère de leurs administrés, des sénateurs ont créé un groupe de travail pour évaluer "l'utilité et l'efficacité" de la mesure. Ils préconisaient une application "décentralisée et ciblée", avec des routes limitées à 80 km/h choisies au niveau des départements en fonction de leur dangerosité. Mais l'option n'a pas été retenue par le gouvernement.

En pratique, qu'est-ce qui va changer ?

QUELLES SONT LES ROUTES CONCERNÉES ?
La limitation de vitesse sera de 80 km/h sur les 400.000 kilomètres de routes nationales et départementales bidirectionnelles (à double sens) sans séparateur central (terre-plein, muret, glissière). Elle restera toutefois à 90 km/h sur les sections à quatre voies (2x2 voies), c'est-à-dire les routes ou portions de routes où les dépassements peuvent se faire sans pénétrer sur la file dans le sens opposé. Dans le cas d'une route à trois voies (deux voies dans un sens, une dans l'autre), la vitesse sera limitée à 90 km/h dans le sens comportant deux voies, où les dépassements sont sécurisés par une ligne continue centrale. La voie en sens inverse est, elle, limitée à 80 km/h. Si la voie centrale n'a pas d'affectation spécifique à un sens ou l'autre, la limitation est de 80 km/h dans les deux sens de circulation.

UNE MÊME LIMITATION POUR TOUS ? A compter du 1er juillet, tous les véhicules et conducteurs sont visés par la nouvelle limitation. Il n'y a donc aucun changement pour les poids lourds et les conducteurs novices, déjà limités à 80 km/h. Les opposants au 80 km/h considèrent notamment comme dangereuse cette uniformisation de la vitesse maximale autorisée car, selon eux, le différentiel de 10 km/h avec les poids lourds permettait de les dépasser plus facilement et plus sûrement. Par temps de pluie, la limitation reste à 80 km/h.

COMBIEN DE PANNEAUX A CHANGER ? A QUEL PRIX ? Selon un communiqué du ministère de l'Intérieur publié dimanche, "11.000 panneaux de signalisation seront modifiés sur tout le territoire". Le chiffre de 20.000 était initialement évoqué. "Le coût du changement de tous ces panneaux de signalisation est estimé entre 6 et 12 millions d’euros. Comme annoncé, l’État remboursera aux collectivités les travaux entrepris", ajoute le ministère. "Le prix moyen pour changer un panneau est de 200 euros : 80 euros pour le panneau sorti d'usine, auxquels s'ajoutent 120 euros pour la pose", détaille à l'AFP Julien Vick, délégué général du Syndicat des équipements de la route (SER), qui regroupe notamment les principaux fabricants de panneaux de signalisation. Il appartient aux départements, gestionnaires de ces voiries, de réaliser les aménagements nécessaires. Alors que certains redoutent que des présidents de conseils départementaux opposés à la mesure rechignent à changer les panneaux, "rien ne permet de penser qu'une fois le décret paru, les départements ne seront pas républicains", estime le délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe. "Et s'il y a des retards, ils peuvent simplement bâcher les panneaux" à 90 km/h, la vitesse par défaut étant de 80 km/h. Même en cas de commandes de dernière minute, "il n'y a aucun souci pour absorber la demande" des collectivités, assure Julien Vick. Et sur le terrain, "une équipe change en moyenne dix panneaux par jour (...), donc ça peut se faire très rapidement", estime-t-il.

DES FLASHES DÈS LE 1ER JUILLET ? Tous les radars seront paramétrés pour la date fatidique, assure-t-on à la Sécurité routière. Un automobiliste pris en infraction à 90 km/h le 1er juillet sur une route qui vient de changer de limitation de vitesse devra donc s'acquitter de 68 euros d'amende et se verra retirer un point sur son permis. "L’éventuel surplus des amendes perçues par l’État liées à l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sera affecté à un fonds d’investissement pour la modernisation des structures sanitaires et médico-sociales spécialisées dans la prise en charge des accidentés de la route", assure le ministère de l'Intérieur.

CHANGEMENT DE VITESSE, CHANGEMENT D'HABITUDES ?
Cette baisse de la vitesse maximale autorisée va légèrement rallonger les temps de trajet des automobilistes. Selon la Sécurité routière, il faudra compter 45 secondes de plus pour un trajet de 10 kilomètres et deux minutes pour 25 kilomètres. Mais cela permettra aux conducteurs d'économiser 120 euros par an de carburant, fait-elle valoir, en soulignant que, selon des estimations de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), ce ralentissement pourra réduire de 30% les émissions de polluants.

Référence : décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules