Archives

Réforme de l'Etat - RGPP : faut-il une pause ?

Fermeture de casernes, fermeture de classes, avenir des sous-préfectures, retrait de l'ingénierie publique... Si la RGPP est d'abord une réforme interne aux services de l'Etat, elle a des conséquences directes sur la vie quotidienne des collectivités... et accessoirement de leurs habitants. Une quinzaine de sénateurs viennent de rendre un rapport sur le sujet.

Les sénateurs ne sont pas parvenus à un accord sur la révision générale des politiques publiques (RGPP). On pourrait s'en tenir là et considérer que la mission sénatoriale créée en février dernier à l'initiative du groupe socialiste du Sénat et dont Localtis a suivi avec attention les travaux (voir nos articles ci-contre) se solde par un échec. En effet, le 23 juin lors de la dernière séance de la mission, son président, François Patriat (PS, Côte-d'Or), n'a pas réussi à faire adopter une position commune. La gauche a demandé une "pause" parfois un "moratoire" dans les réformes, la droite a parlé "d'inflexion" ou de "concertation". Bref, élus de gauche et élus de droite s'opposent sur la RGPP. Mais cela, sauf à vivre sur la planète Mars, on le savait dès l'origine. Et ce serait une erreur, de résumer ces travaux à ce désaccord, finalement de nature, entre les deux parties. Car le produit de cette mission, c'est surtout un rapport très riche sur les réformes en cours dans les administrations de l'Etat. Plus de 200 pages de constats et 50 propositions sur lesquelles, globalement - si l'on met de côté les postures politiciennes - les parlementaires se sont entendus. Ce rapport, porté par Dominique de Legge, sénateur UMP d'Ille-et-Vilaine, a été rendu public le 28 juin.

Manque de concertation, de coordination, de transparence

A la suite de ses collègues et de tous les élus et responsables syndicaux auditionnés par la mission, le sénateur dénonce d'abord une méthode défaillante. Les collectivités et les agents de l'Etat "n'ont pas été consultés", les décisions ont été prises uniquement au niveau gouvernemental. De plus, les réformes ont été menées par "tuyau d'orgue", c'est-à-dire que chaque ministère a agi sur son propre domaine, sans coordination interministérielle. Les fermetures de casernes, d'hôpitaux, de tribunaux n'ont pas été intégrées dans une politique d'aménagement du territoire réfléchie.
Dominique de Legge s'attaque également à l'information très insuffisante du Parlement : la mission n'a pas réussi à obtenir des éléments chiffrés sérieux sur les économies réalisées grâce à la RGPP. Le rapport dénonce le "flou artistique" des documents fournis par l'exécutif, qui comportent des "additions de choux de Bruxelles, de carottes et de voitures". Or, "l'absence de chiffrage précis et transparent des économies réalisées tend à laisser la porte ouverte à toutes les interrogations possibles et à alimenter les doutes sur l'efficacité des mesures prises".

"On est à l'os"

Sur le fond ensuite, la RGPP avait à l'origine trois objectifs : réorganiser et améliorer le fonctionnement de l'Etat, simplifier les démarches des usagers et réduire la dépense publique. Pour les sénateurs, "la crise a eu pour conséquence de privilégier la maîtrise des dépenses publiques", et donc principalement la réduction des effectifs. La politique du non-remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux, n'est pas en soi condamnable, selon la mission. Mais à plusieurs conditions. Premièrement, les réductions d'effectifs doivent être adaptées aux territoires : "Ce n'est pas la même chose d'aller à une école distante de 20 km en zone de montagne ou à trois stations de métro à Paris", résume Dominique de Legge. Deuxième condition : que les ministères prennent leur part à l'effort. Les sénateurs ont "le sentiment" (à défaut d'avoir des chiffres) que les réductions de postes se sont faites surtout au niveau départemental, peu au niveau régional et pas du tout au niveau ministériel.
Troisième condition : les parlementaires demandent de la transparence sur les suppressions de services et de missions. Ils veulent que le gouvernement se prononce clairement sur les missions qu'il abandonne. Enfin, la dématérialisation permet certes de réduire le nombre d'agents de catégorie C, explique Dominique de Legge, mais l'Etat a besoin souvent de cadres (catégorie A) pour mettre en œuvre les politiques publiques. Il faut donc "sortir du principe aveugle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux".
Mais surtout, sur ces questions de personnel, le rapporteur s'inquiète des conséquences : "Sans nier que des gains de productivité étaient et demeurent peut-être possibles, la diminution du nombre d'agents ne peut pas ne pas avoir, dès à présent et demain, d'impact sur le niveau et la quantité des services." Traduction de François Patriat : "On est à l'os ! Si les services de guichet sont encore à peu près tenus, le back office ne suit plus."

La priorité : penser l'Etat

Si les sénateurs estiment que "la réforme de l'Etat est une conséquence inéluctable de la décentralisation", ils demandent "une définition claire des missions" de chacun, afin de pouvoir adapter les moyens aux missions. Ils prennent acte de certaines réformes comme la disparition de l'ingénierie publique en direction départementale des territoires (DDT) ou la centralisation du contrôle de légalité en préfecture et proposent des mesures en conséquence. Ainsi, sur l'ingénierie publique, l'Etat doit "encourager les initiatives départementales et intercommunales", c'est-à-dire en fait le transfert de missions des DDT vers les collectivités (proposition 35)… et ne pas oublier de "favoriser la mobilité des ingénieurs de l'Etat vers la fonction publique territoriale" (proposition 37). Les sénateurs veulent aussi conforter le sous-préfet "comme représentant interministériel, interlocuteur de proximité, conseil en ingénierie" (propositions 11 et suivantes).
Sur l'équilibre entre l'échelon départemental et régional, les parlementaires ne remettent pas en cause le pouvoir du préfet de région sur le préfet de département.  Ils envisagent au contraire une forte inflexion de l'esprit de la Lolf pour donner du pouvoir au niveau régional : un programme, c'est-à-dire une part du budget de l'Etat, pourrait être affecté directement aux préfets de région, sans fléchage thématique (voir rapport, tome 1,  p.99).
Alors, pause, stop ou encore ? Les débats de la mission se sont conclus sur cet échange entre deux sénatrices : la première, Jacqueline Gourault, centriste : "Pour ma part, une pause et une concertation, cela me va. Ce n'est pas une révolution!" La seconde, Catherine Deroche, UMP : "Je ne suis pas d'accord pour une pause. La chose est subtile... Faire une pause signifie arrêter : comment faire une pause sans s'arrêter?" Ce sera la question philosophique du jour.

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis