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Réforme de l'Etat - RGPP : faut-il plus ou moins d'Etat ?

Pour les élus locaux, il fallait bien une réforme de l'Etat, mais pas celle-là. Sur ce point, les collectivités sont d'accord. Mais quand on les interroge plus avant sur leur perception de la RGPP, l'unanimité disparaît pour laisser place à une certaine polyphonie. Les sénateurs qui se sont lancés dans l'aventure, pourraient avoir quelques difficultés à aboutir à une synthèse.

Voilà deux mois que les sénateurs travaillent sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur les collectivités. La mission d'information sur le sujet, présidée par François Patriat (PS, Côte d'Or), avait commencé ses travaux début février en entendant les représentants des départements et des villes moyennes (voir notre article ci-contre du 11 février). Rendant compte de ces auditions, Localtis avait alors souligné la difficulté qu'avaient les sénateurs - comme d'ailleurs leurs interlocuteurs - à définir le champ de l'enquête : outre le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, qu'entendre précisément par RGPP ? Deux mois plus tard, la question se pose différemment. François Patriat distingue désormais l'application de la RGPP dans les services de l'Etat stricto sensu (préfectures, sous-préfectures, directions départementales interministérielles)  d'une part et l'impact des différentes cartes administratives (judiciaire, pénitentiaire, hospitalière, militaire et scolaire) sur les territoires, d'autre part.
Après une dizaine de séances de travail, trois thèmes s'imposent dans les débats : la question des sous-préfectures, la disparition de l'assistance à maîtrise d'ouvrage et le renforcement du niveau régional au détriment du département ou de l'arrondissement. Se dégage également un constat d'évidence : tous les territoires et tous les niveaux de collectivités ne sont pas touchés de la même manière. Ces différences sont très sensibles lorsqu'on suit les auditions des responsables d'associations d'élus. Florilèges des propos tenus ces dernières semaines par les représentants de l'Association des maires de France (AMF, Jacques Pélissard), l'Association des maires ruraux (AMRF, Vanik Berberian), l'Assemblée des communautés de France (ADCF, Daniel Delaveau), l'Association des régions de France (ARF, Alain Rousset), l'Association nationale des élus de montagne (Anem, Vincent Descoeur). Le texte intégral des auditions est disponible en lien ci-contre.

AMF : plus les casernes que les maternités

En ouverture de son audition du 23 mars, Jacques Pélissard a prévenu : "La RGPP est une politique d'Etat sur laquelle nous ne portons pas de jugement d'opportunité." Mais, immédiatement après cette déclaration, le président de l'AMF enchaîne en opposant les grosses villes, moins touchées, et les villes moyennes où les baisses d'effectifs dans les préfectures et sous-préfectures ont "des incidences notables sur l'activité". Les zones rurales sont en première ligne : "L'ingénierie publique, assurée naguère par les directions départementales de l'Equipement (DDE) ou de l'agriculture (DDA), a purement et simplement disparu ! Or, ces administrations fournissaient une assistance efficace et fiable." Ces décisions ont des conséquences financières pour les collectivités : elles créent des agences départementales ou des bureaux intercommunaux pour combler le vide laissé par l'Etat. Pour l'AMF, "l'Etat allège son dispositif sur le terrain, tant mieux pour les finances de l'Etat... mais les finances locales supportent un poids nouveau".
Concernant la révision des cartes militaire, judiciaire, sanitaire et scolaire, l'AMF "s'est beaucoup mobilisée lors de la révision de la carte militaire car les conséquences étaient dramatiques pour les petites communes qui voyaient leur régiment s'en aller". En revanche, elle a "peu agi" lors de la révision des cartes judiciaire et hospitalière. Elle estime par exemple que pour les maternités "on ne peut aujourd'hui pour des raisons de démographie médicale et d'impératifs de santé publique, maintenir un morcellement des lieux de soin". Un point de vue que ne partage pas du tout l'Association des élus de montagne : "On accouche de plus en plus souvent dans les ambulances", dénonce Chantal Robin Rodrigo. Dans les zones de montagne, "il faut tenir compte non seulement des distances mais aussi des temps de déplacement".
Certaines réorganisations n'ont cependant pas posé de problème note Jacques Pélissard. Il en va ainsi de la fusion des administrations du Trésor et des Impôts : "Les maires ont toujours besoin d'aide dans la construction de leurs budgets. Le trésorier principal n'était pas toujours 'au top'. Je préfère un responsable hautement compétent qui se déplace à un maillage trop serré sans compétences pointues." Sur les sous-préfectures, au contraire, le président de l'AMF considère comme "essentiel de maintenir un bon maillage car la gestion de proximité et le conseil sont des points importants". Les élus de montagne ajoutent qu'il faut que les sous-préfets aient "des collaborateurs plus spécialisés".

Les fonctionnaires sont-ils désabusés, résistants ou légalistes ?

Car la question du nombre mais surtout de la compétence des personnels est au cœur de toutes les auditions. Le 28 mars, le président de l'AdCF pointe le "dépit des fonctionnaires (d'Etat), qui disent ne plus avoir suffisamment de moyens pour remplir leurs missions et leur frustration de ne plus être considérés pour leurs compétences". Une position partagée par les maires ruraux. "Tout dépend du tempérament du fonctionnaire, explique Vanik Berbérian. Les plus anciens sont souvent désabusés. On leur impose un cadre auquel ils ne croient pas, qui ne répond pas aux idéaux qui les avaient poussés dans la carrière. Ils sont, en esprit, entrés en résistance et continuent de donner un coup de main (aux communes rurales, ndlr). Il en est d'autres, en revanche, qui se retranchent derrière les règles, on finit par tout faire pour se passer d'eux." Au total, les maires ruraux "ont de plus en plus de mal à trouver un interlocuteur compétent, voire un interlocuteur tout court".
Pour la maîtrise d'ouvrage cependant, l'important n'est pas nécessairement d'avoir des agents au sein des services de l'Etat : "L'Etat doit financer l'assistance à maîtrise d'ouvrage, mais pas nécessairement la gérer lui-même", explique Vanik Berberian. Quant au contrôle de légalité, "on sait qu'il est désormais aléatoire, d'où un sentiment d'insécurité... même si certains se réjouissent de passer entre les gouttes. (...) Longtemps les sous-préfectures ont incarné, pour les communes, la règle et la compétence. Aujourd'hui l'une et l'autre sont perdues".
Un désengagement qui, tel Janus, est à  double face pour les communautés de France. "Le désengagement de l'Etat et la baisse considérable de ses moyens d'expertise s'accompagnent paradoxalement d'une volonté de contrôle accru." Daniel Delaveau estime donc que "l'Etat doit s'en tenir à exercer ses missions régaliennes et à contrôler la légalité" des actions des collectivités. Ce qui gène d'abord les collectivités ce sont "l'enchevêtrement des procédures" et "des interprétations différentes des règles d'un service à l'autre".

Les collectivités ne sont plus des enfants !

Un point de vue largement partagé, mais de manière beaucoup plus radicale, par Alain Rousset au nom de l'Association des régions de France. "Aujourd'hui on est face à des services de l'Etat qui ont perdu leur ingénierie et leurs moyens financiers, et qui, dans le même temps, souhaitent continuer à commander (…). Les régions ne souhaitent pas que des services déconcentrés quasi inexistants viennent leur donner des leçons sur l'application de leurs politiques publiques locales. En revanche, dans les domaines où les services de l'Etat sont nécessaires – les compétences régaliennes – ils ont disparu. Les sous-préfets (…) sont le reflet d'une protection paternaliste envers les collectivités à laquelle il faut mettre fin."
Concernant l'attachement des collectivités à leurs préfets et sous-préfets, le président de l'ARF évoque même un "syndrome de Stockholm". "Leur présence maintient les petites communes dans l'irresponsabilité et la tutelle." L'attachement par exemple à l'assistance à maîtrise d'ouvrage témoigne "d'un asservissement à la fois intellectuel, financier et politique de notre décentralisation à l'égard du monde administratif. C'est en quelque sorte 'Tanguy' qui est resté chez ses parents". Et d'ailleurs, les régions "s'interrogent sur les compétences particulières des sous-préfets en matière d'urbanisme". Bref, résume Alain Rousset : "Est-il plus important de conserver un sous-préfet sans moyen ou un service public essentiel à la population ?" Une question laissée en suspens à l'issue de cette série d'auditions.   
 

 

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