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Social - Réforme du droit d'asile : six mois après, ce qui a changé

La crise de l'asile - qui s'est amplifiée cet été et est devenue un enjeu stratégique pour l'Europe comme pour la France - a laissé quelque peu au second plan la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l'asile. Ce texte, longtemps attendu, comporte pourtant un certain nombre de mesures importantes, dont plusieurs intéressent - directement ou indirectement - les collectivités territoriales. Son principal point faible réside dans la situation actuelle. Conçues à un moment où la demande d'asile marquait le pas - voire diminuait légèrement -, les dispositions de la loi risquent de se trouver rapidement dépassées avec l'explosion en cours.

Délais d'enregistrement et d'instruction resserrés

La loi du 29 juillet 2015 transpose notamment en droit français le "paquet asile", autrement dit les directives européennes adoptées en juillet 2013. Elle accélère l'instruction des demandes d'asile, organise les modalités d'accueil à travers des schémas nationaux et régionaux, renforce les garanties des personnes nécessitant une protection internationale, ainsi que les dispositifs d'accompagnement au retour des demandeurs d'asile déboutés.
Le premier volet de la loi, portant sur "les conditions d'octroi de l'asile", a sans doute été le plus discuté. Il réduit notamment à trois jours ouvrés le délai d'enregistrement d'une demande d'asile, à compter "de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation". Ce délai peut toutefois être porté à dix jours "lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément". Une dérogation qui pourrait trouver à s'appliquer rapidement. La loi met aussi en place des guichets uniques, composés de représentants de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et dont l'implantation est calquée sur celle des bornes européennes Eurodac. S'y ajoutent des "plateformes de pré-accueil", réparties dans 63 départements.
Sauf si le demandeur d'asile relève de la procédure Dublin, il se voit remettre une attestation de demande d’asile valant autorisation provisoire de séjour. L'attestation est ensuite renouvelée jusqu'à décision définitive sur la demande d'asile, y compris durant le recours éventuel devant la Commission nationale du droit d'asile (CNDA).

Deux régimes distincts

La loi du 29 juillet instaure aussi deux régimes de procédure d'asile : la procédure normale et la procédure dite accélérée, qui remplace la procédure prioritaire. La procédure accélérée prévoit une décision dans un délai de cinq semaines - au lieu de cinq mois -, ainsi qu'un examen devant la CNDA par un juge unique (au lieu de trois juges). Elle s'applique dans différents cas de figure : demande de réexamen, demandeurs originaires de pays sûrs, présentation de faux documents, refus de prise d'empreinte, non présentation d'une demande d'asile dans le délai de 120 jours après l'entrée en France, menace à l'ordre public...
Outre ces deux procédures, la loi prévoit aussi une possibilité d'examen prioritaire par l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) au bénéfice de demandeurs vulnérables ou présentant des demandes manifestement fondées. La loi officialise aussi la possibilité, pour le demandeur, d'être accompagné par un tiers (avocat ou association habilitée) lors de son entretien.

Un droit à domiciliation

La procédure de clôture d'examen d'une demande est également modifiée. L'Ofpra peut désormais procéder à une clôture dans plusieurs cas de figure : non respect des délais prévus pour la présentation de la demande, refus délibéré et caractérisé de fournir les informations essentielles à l'examen et non information de l'Office sur le lieu de résidence ou l'adresse. La demande peut être rouverte sur simple demande dans un délai de neuf mois à compter de la clôture. Au-delà, la clôture devient définitive et toute nouvelle demande sera considérée comme une demande de réexamen.
Autre changement d'importance : la domiciliation du demandeur d'asile n'est plus exigée pour procéder à l'examen de sa demande. Mais, dans le même temps, la loi du 29 juillet instaure un véritable droit à la domiciliation, avec plusieurs cas de figure. Si le demandeur est orienté vers un Cada (centre d'accueil de demandeurs d'asile) ou une autre forme d'hébergement stable, la domiciliation se fera dans cette structure. S'il ne bénéficie pas d'un hébergement ou si l'hébergement n'est pas considéré comme stable (hôtel), la domiciliation pourra se faire auprès d'une personne morale avec laquelle une convention aura été conclue dans chaque département (les plateformes d'accompagnement des demandeurs d'asile pouvant être conventionnées à ce titre). Par ailleurs, les demandeurs d'asile devront pouvoir bénéficier, dans tous les cas de figure, de la domiciliation de droit commun (notamment auprès des CCAS) pour tous leurs droits non liés à la demande d'asile.

Un schéma national et des schémas régionaux d'accueil

La loi du 29 juillet 2015 comprend également un ensemble de mesures importantes - et très en phase avec les préoccupations actuelles - sur les modalités d'accueil des demandeurs d'asile. Elle prévoit ainsi l'élaboration d'un schéma national d'accueil, arrêté par le ministre de l'Intérieur après avis des ministres des Affaires sociales et du Logement. Son objet est de fixer "la répartition des places d'hébergement destinées aux demandeurs d'asile sur le territoire national".
Il se décline en schémas régionaux, chargés de fixer "les orientations en matière de répartition des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile sur le territoire de la région et [de] présenter le dispositif régional prévu pour l'enregistrement des demandes, ainsi que le suivi et l'accompagnement des demandeurs d'asile". Le schéma régional est élaboré par le préfet de région, après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et prise en compte des plans départementaux d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (auxquels il est annexé).

Un hébergement très encadré

La loi charge l'Ofii de coordonner la gestion de l'hébergement, qu'il s'agisse des Cada ou de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (Huda). L'Ofii peut déléguer certaines de ses missions aux plateformes d'accueil pour demandeurs d'asile (Pada), comme la domiciliation, l'octroi des aides d'urgence, l'aide à la constitution du dossier auprès de l'Ofpra ou l'accompagnement des demandeurs dans leurs démarches.
La loi donne aux demandeurs d'asile un droit à l'hébergement, mais sous réserve qu'ils acceptent l'offre d'orientation. Celle-ci doit à la fois tenir compte de la situation et des besoins du demandeur d'asile et notamment de sa vulnérabilité, mais aussi "des capacités d'hébergement disponibles". Afin d'assurer une meilleure répartition des demandeurs d'asile sur le territoire, la loi se fait en effet très directive, sinon contraignante : si le demandeur refuse l'offre - ou abandonne le lieu d'hébergement vers lequel il a été orienté - il ne peut plus, en principe, bénéficier d'un hébergement en CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale), ni bénéficier du Dalo (droit au logement opposable), ni percevoir l'allocation pour demandeur d'asile (voir ci-après).
Ce mécanisme remet en cause, au moins en théorie, le principe de l'inconditionnalité de l'accueil, qui présidait jusqu'à présent au fonctionnement du 115 et des Siao (services intégrés d'accueil et d'orientation). L'Ofii leur transmettra en effet une liste des demandeurs d'asile ayant refusé une offre d'hébergement. Il ne sera alors possible de leur proposer un hébergement en hôtel qu'en cas de situation de détresse.
De leur côté, les Cada - qui demeurent le mode d'hébergement dédié - bénéficient d'un certain nombre d'aménagements. Leur création n'est notamment plus soumise à la procédure de l'appel à projets, ce qui doit accélérer les créations de places indispensables. Par ailleurs, les décisions d'admission en Cada, de sortie ou de transfert relèvent désormais de l'Ofii et non plus du gestionnaire de la structure, qui est simplement consulté.

L'allocation pour demandeur d'asile remplace l'ATA

La loi du 29 juillet 2015 crée également une nouvelle ressource : l'allocation pour demandeur d'asile (ADA). Celle-ci remplace à la fois l'allocation temporaire d'attente (ATA) et l'allocation de subsistance (versée par les Cada). L'ADA est ouverte à tous les demandeurs d'asile, dès lors qu'ils acceptent - et respectent - l'offre d'hébergement qui leur est faite. Son montant varie en fonction de la composition de la famille, des ressources et du mode d'hébergement. Autre différence notable : l'ADA sera versée directement par l'Ofii et non plus par Pôle emploi (comme dans le cas de l'ATA).
Par ailleurs, la loi confirme le droit au travail - sous conditions - des demandeurs d'asile. Ceux-ci peuvent ainsi être autorisés à rechercher un emploi si l'Ofpra n'a pas statué dans un délai de neuf mois à compter du dépôt de la demande d'asile.

Une convention nationale entre l'Ofii et les collectivités

Pour mettre en œuvre le droit à l'accompagnement pour l'accès au logement et à l'emploi des personnes protégées (ayant obtenu le droit d'asile), la loi prévoit la signature d'une convention nationale entre l'Ofii et les représentants des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale, de Pôle emploi, des bailleurs sociaux, des associations spécialisées...
La loi confirme également le rôle des centres provisoires d'hébergement (CPH), qui doivent préparer et accompagner l'intégration des personnes protégées, et plus précisément "assurer l'accueil, l'hébergement, ainsi que l'accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique des personnes qu'ils hébergent, en vue de leur intégration". L'Ofii sera chargé de l'orientation des intéressés vers les CPH. Diverses mesures facilitent par ailleurs la délivrance des titres de séjour et le regroupement familial des personnes protégées.
Enfin, pour les personnes déboutées de leur demande d'asile et ayant épuisé les différents recours, la loi du 29 juillet rend automatique la délivrance de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF). Elle prévoit aussi la mise en place de centres expérimentaux d'aide au retour.
Le ministre de l'Intérieur avait fait part de son intention de publier rapidement les textes d'application de la loi. La promesse semble en passe d'être tenue. Sur les 42 décrets d'application recensés par Légifrance dans son tableau de mise en oeuvre de la loi, 35 étaient publiés à la date du 26 novembre 2015.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : loi 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile (Journal officiel du 30 juillet 2015).

 

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