Réduction de 10% des prélèvements en eau : pour Martial Saddier, "le pas est énorme !"

Le plan Eau présenté par le président de la République prévoit que chaque grand bassin versant doit se doter d’un plan d’adaptation au changement climatique précisant la trajectoire de réduction des prélèvements. Le comité de bassin Rhône-Méditerranée, le premier à s’être doté d’un tel outil dès 2014, votera en décembre sa nouvelle version. Martial Saddier, qui préside ce comité, précise les changements opérés, et revient par ailleurs sur les mesures sur l'eau contenues dans le projet de loi de finances pour 2024.

Localtis - Votre comité de bassin a été le premier, dès 2014, à adopter un plan d’adaptation au changement climatique. Une nouvelle version doit être soumise au vote définitif du comité en décembre prochain. Quels sont les principaux changements ?

Martial Saddier - L’objectif de ce nouveau plan est de tenir compte des conséquences de l’accélération des changements climatiques, et singulièrement de préciser la trajectoire de réduction des 10% des prélèvements demandée par le président de la République d’ici 2030. Soyez en conscients, le pas est énorme ! D’autant plus que nous n’avons pas ménagé nos efforts jusqu’ici. Depuis 2019, nous avons réussi à économiser environ 100 millions de m3 d’eau. Le nouveau plan tient par ailleurs compte de l’augmentation budgétaire promise par le président de la République et qui bénéficiera aux mesures du 12e programme Rhône-Méditerranée que nous finirons d’élaborer l’an prochain.

Comment se répartit cet effort ? 

Tous les secteurs d’activité, toutes les zones géographiques seront mises à contribution. Pour autant, le plan ne prévoit pas une baisse des prélèvements identique pour tout le monde, une déclinaison mécanique des 10% demandés. Il faut tenir compte de ceux qui ont déjà fait des efforts énormes de sobriété. Il faut également tenir compte de la faisabilité de la réduction – c’est par construction impossible là où il n’y a déjà plus d’eau ! – ou encore du délai de mise en œuvre. Le tout en se gardant des idées toutes faites. Un exemple : nous comptons trois centrales atomiques avec refroidissement au fil de l’eau, qui ont pour avantage de ne pas consommer d’eau, mais pour inconvénient de rejeter de l’eau chaude. Si nous décidions dès aujourd’hui de mettre en place des tours aéro-réfrigérées pour y remédier, le temps de conduire les différentes études, les travaux ne pourraient pas démarrer avant 2030 ! Et encore faudrait-il réussir à convaincre les riverains d’accepter de se retrouver avec un grand panache blanc, quand bien même ne serait-il composé que de vapeur d’eau. Sans compter que cela coûterait un milliard d’euros pour équiper seulement deux des trois centrales. Ou que ces tours présentent l’inconvénient de prélever de l’eau pour l’évaporer, engendrant un prélèvement d’1 m3/seconde dans le Rhône. Mais le sujet est complexe. Des études montrent en effet que ces tours emporteraient in fine moins de dégâts que ceux engendrés par le réchauffement de l’eau. On pense d’ailleurs – on ignore encore à quelle échéance – qu’on ne sera à l’avenir plus en mesure de faire fonctionner les centrales l’été parce que l’eau sera trop chaude. C’est notamment ce qui m’a conduit, après avoir lancé une grande étude sur le débit du Rhône, au lancement d’une nouvelle étude thermique. On le voit, il n’y a pas de décision facile. 

La Cour des comptes déplorait dans un récent rapport le fait que les documents de la politique de l’eau soient "longs, techniques, et souvent sans objectifs mesurables". Comment ce plan répond-il à la critique ?

Que ces documents soient complexes, on ne peut le nier. Mais je ne suis pas certain qu’il faille le déplorer. Oui, ces documents sont complexes, car oui, la gestion de l’eau est complexe, comme je viens de le montrer. Nous avons en France – c’est ce qui fait sa force – des agences spécialisées, les meilleurs experts, qui conduisent des travaux hyper techniques, des discussions très pointues, et cela ne me choque nullement. Je trouve également la Cour des comptes particulièrement sévère sur l’absence supposée d’indicateurs. Tout est quantifié et par ailleurs très contrôlé. 

En plaidant pour la suppression du plafonnement des recettes des agences de l’eau, la création d’une nouvelle ressource sur les atteintes à la nature et la biodiversité, la mise en place de taux de redevances planchers ou encore pour donner une plus grande responsabilité aux comités de bassin dans l’équilibre d’ensemble de la fiscalité affectée à la politique de l’eau, la Cour n’a-t-elle pas aussi apporté de l’eau à votre moulin ?

Indéniablement, même si plusieurs de ces mesures venaient préalablement d’être actées par le plan Eau. Ainsi de la suppression du plafonnement des recettes, prévue en 2025. Comme la suppression du plafonnement des dépenses, qui interviendra avec le prochain programme d’intervention, dans le PLF 2025. Le PLF 2024 prévoit bien par ailleurs la mise en œuvre des taux planchers, qui je l’espère sera validée. Nous voulons bien prendre notre part, mais il faut que le Parlement nous aide aussi ! Certains comités de bassin ont des taux extrêmement bas. Ils sont prêts à assumer le rééquilibrage de l’effort d’un certain nombre d’acteurs, mais la fixation de ces taux les aiderait grandement. 

La création d’un fonds hydraulique, alimenté par un prélèvement sur l’ensemble des agences, est également un motif de satisfaction. À la condition qu’il soit à la main des agences et des comités, et non du ministère de l’Agriculture ! Il faut saluer ici l’intervention de Christophe Béchu à nos côtés, qui s’est opposé à cette tentative d’appropriation. 

En présentant le plan Eau, le chef de l’État a promis une augmentation du budget des agences de l’eau de 475 millions d’euros. Le PLF 2024 n’en prévoit toutefois qu’une partie. Avez-vous des craintes pour 2025 ?

Les 475 millions d’euros sont bien prévus sur deux exercices : 150 millions avec le PLF 2024, crédits qui nous permettront de finir d’élaborer notre 12e plan, et 325 millions avec le PLF 2025. En théorie, il y a toujours un risque. Mais je suis confiant. C’est un engagement solennel du président de la République, pris dans le cadre du plan Eau qui est la conclusion de plus de deux années de négociations. Je n’ai aucune raison de le mettre en doute. En outre, avec l’accélération du changement climatique que nous constatons quotidiennement, j’avoue que je ne vois pas comment le Parlement pourrait ne pas voter ces crédits l’an prochain.

Finalement, ces 475 millions ne reviennent-ils pas peu ou prou à rétablir la situation qui présidait avant la ponction annuelle de 400 millions d’euros opérée depuis 2018 sur le budget des agences de l’eau en faveur de l’Office français de la biodiversité ? Ce retour à cette situation ex ante est-il suffisant, alors que – vous le releviez – la situation s’est considérablement dégradée ces dernières années ?

On peut voir la bouteille à moitié vide en considérant que l’on ne fait effectivement que retrouver le niveau de 2017, ces 475 millions correspondant grosso modo aux 400 millions qui font chaque année défaut aux agences depuis 2018 pour alimenter un Office français de la biodiversité qui initialement devait tout englober. On peut aussi la voir à moitié pleine, en relevant que ce retour aux sources replace les agences de l’eau au cœur du combat de l’eau et les conforte, après des années d’errements. Une chose est sûre : si j’ai conduit d’emblée le combat pour que les agences retrouvent leurs moyens d’action, je n’y serai sans doute pas parvenu sans les incendies dévastateurs de l’an dernier, sans les communes qui ont manqué d’eau, sans les nappes qui ne se remplissent plus. Cette situation catastrophique aura au moins permis de replacer le dossier de l’eau, pour lequel je me bats depuis 30 ans, sur le haut de la pile du chef de l’État. Et cet automne de dingue que nous connaissons devrait, si besoin était, conforter la décision. À quelque chose, malheur est bon !

Lors d’une réunion des comités de bassin tenue en novembre dernier (voir notre article du 9 novembre 2022), vous aviez demandé un renforcement de l’ingénierie. Le PLF y répond-il ?

Le PLF prévoit effectivement la création de 65 postes pour la totalité des agences de l’eau. C’est un autre motif de satisfaction, alors que le ministère de l’Environnement est celui qui a rendu le plus de postes ces 20 dernières années. Or cet effort a lourdement pesé sur les agences de l’État, et principalement sur les agences de l’eau.

Vous évoquiez les velléités du ministère de l’Agriculture de prendre le contrôle du fonds hydraulique. De manière générale, l’agriculture est régulièrement montrée du doigt. D’aucuns ont considéré que le plan Eau ne la mettait pas suffisamment à contribution. Qu’en pensez-vous ?

Je trouve que c’est plutôt injuste. Rappelons d’abord que l’agriculture est l’activité la plus impactée par le changement climatique. Les agriculteurs, qui travaillent tous les jours en plein air, sont les premiers à subir au quotidien les affres de ce changement. C’est un métier ingrat, et je trouve que cela n’est pas suffisamment pris en considération. Ensuite, le monde agricole est celui qui a effectué en proportion les plus grandes économies d’eau sur les dix dernières années : 350 millions de m3. C’est considérable. Enfin, il faut insister sur l’importance de la souveraineté alimentaire de la France. Je doute que produire ailleurs soit une solution préférable.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis