Social - Quand un vent du Nord souffle sur la crise du RSA...

Une semaine avant la réunion conclusive des négociations entre l'Assemblée des départements de France (ADF) et le gouvernement sur la recentralisation du financement du RSA - avec, à la clef, l'attente d'arbitrages de la part de Manuel Valls -, Dominique Bussereau, le président de l'ADF, n'avait pas choisi au hasard la destination de son premier déplacement de terrain. Direction le département du Nord, l'un des plus fragilisés par le gouffre financier du RSA. Son président, Jean-René Lecerf, en parle haut et fort depuis son élection il y a un peu moins d'un an. Et a lancé un vaste programme de "remise à l'emploi" des allocataires du RSA.

Ce jeudi 25 février, les représentants des conseils départementaux ont rendez-vous avec Manuel Valls à Matignon. En jeu : conclure les négociations réengagées en octobre dernier avec l'Assemblée des départements de France (ADF) sur le financement du RSA. Et, plus précisément, sur les modalités d'une recentralisation du financement du RSA.
En janvier, à l'issue d'une réunion intermédiaire avec le cabinet du Premier ministre, Dominique Bussereau, le président de l'ADF, faisait savoir que les négociations étaient "rompues". Elus et représentants du gouvernement s'étaient en effet opposés sur à peu près tous les points. Le calendrier d'abord : alors que l'ADF demandait des décisions applicables dès cette année et calées avant le vote des budgets départementaux fin mars, les conseillers de Manuel Valls évoquaient la loi de finances pour 2017... L'année de référence ensuite : les uns s'étaient mis d'accord pour que 2014 soit le point de repère à la détermination du niveau des dépenses et des ressources à transférer des départements vers l'Etat (2014 correspondant à l'année du "décrochage" en matière de dérive du reste à charge), tandis que les autres évoquaient 2015 voire 2016. La nature de ces ressources enfin, les départements – déjà échaudés par le fait que l'on leur ait "volé nuitamment une part de CVAE pour la donner aux régions" dans le cadre de la loi Notr, selon les termes de Dominique Bussereau - refusant notamment que l'on touche aux DMTO.

"Des piécettes pour le Nord"

Pas question non plus d'accepter des mesures de "replâtrage" telles que les 50 millions répartis par la loi de finances pour 2016 entre les dix départements jugés les plus en difficulté. Premier département bénéficiaire de ce fonds, le Nord a touché 11 millions d'euros. Mais "11 millions, cela ne couvre même pas 5 jours de RSA", tranche-t-on dans ce département qui compte 102.000 allocataires du RSA socle, pour un coût total de 661 millions d'euros, dont 288 millions de reste à charge pour le département. Ce fut "des piécettes pour le Nord", commente Dominique Bussereau.
C'est donc dans ce contexte que les arbitrages du chef du gouvernement sont attendus jeudi. Après des séances de travail "avec une armée d'énarques sans marge de négociation", c'est "la réunion de la dernière chance", prévient le président du Nord, Jean-René Lecerf (LR). Ensuite, le 1er mars, les présidents de département se réuniront en assemblée générale extraordinaire pour décider des suites à donner. Dominique Bussereau a déjà eu l'occasion d'évoquer les mesures qui pourraient être envisagées "si Manuel Valls n'annonce rien" - "des choses très désagréables" : faire inscrire tous les allocataires du RSA à Pôle emploi ce qui ferait exploser les chiffres des demandeurs d'emploi, "ne plus participer aux financements que les départements assurent pour le compte de l'Etat" (participation aux contrats de plan, gendarmeries...), organiser des journées "départements morts" avec arrêt de la restauration scolaire ou de l'accueil par les assistantes sociales, des interventions sur les routes... "Mais je n'en ai pas envie", assure le président de l'ADF.

De l'insincérité des budgets

Une semaine avant ce rendez-vous, c'est précisément dans le Nord que Dominique Bussereau avait choisi d'effectuer son premier déplacement en tant que président de l'ADF. Le premier d'une série de rencontres sur le terrain avec ses homologues présidents de département qui devraient avoir lieu une fois par mois, à chaque fois centrées non seulement sur un territoire mais aussi sur une thématique.
Ce 18 février, priorité au RSA donc. Parce que le Nord - le plus grand de France - est le département comptant le plus grand nombre d'allocataires. Aussi parce que Jean-René Lecerf, s'est largement fait entendre sur le sujet depuis son élection en avril dernier. Y compris d'ailleurs en tant que président de la commission Finances de l'ADF. Il a notamment très vite fait savoir que son département n'avait budgété que onze mois de RSA sur douze, le différentiel devant du coup faire l'objet d'avances par la CAF.
Le jour de la venue de Dominique Bussereau, Jean-René Lecerf a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme quant à l'équilibre budgétaire du département qui "n'est plus assuré"  : "Je suis incapable de faire face aux engagements pris par mes prédécesseurs." Et, rappelle-t-il, le phénomène n'est pas marginal. Selon l'ADF, "30 à 40 départements seront en grande difficulté à la fin de l'année" et si rien n'est fait, ils seront 70 à 80 fin 2017.
"2017 sera peut-être une année de demandes en kyrielle de mise sous tutelle des départements" de la part des exécutifs eux-mêmes, lance le président du Nord rappelant que la motion adoptée lors du congrès de Troyes invitait les assemblées départementales à voter des budgets 2016 "insincères" en "sous-programmant" leurs dépenses de RSA (plus précisément en inscrivant le même montant qu'en 2015 sans tenir compte de la hausse prévisible des besoins). Une quarantaine de départements auraient suivi – ou prévu de suivre - cette voie. En ce sens, il s'agissait d'une "motion de désobéissance civile", juge Jean-René Lecerf. Lui-même fera voter son budget les 12 et 13 avril. "Les préfets nous demandent de ne pas solliciter cette mise sous tutelle", assure-t-il. Ce que l'on peut probablement traduire en réalité par : les préfets pourraient ne pas constater l'insincérité des budgets.

Remise à l'emploi

La visite de Dominique Bussereau dans le Nord était également liée à l'approche d'une autre date : ce mardi 23 février, le département et Pôle emploi vont signer une convention visant à "mieux articuler leurs interventions respectives" en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. Il s'agit de la déclinaison départementale d'un protocole signé il y a un peu moins de deux ans entre Pôle emploi et l'ADF (voir ci-contre nos articles du 2 avril 2014 et du 19 juin 2015) et déjà mis en œuvre dans de nombreux départements. Il s'agit aussi de l'un des volets d'une délibération-cadre plus large adoptée par l'assemblée départementale en décembre dernier, "Accès à l'emploi des allocataires du RSA". Cette délibération prévoit en effet entre autres un partenariat renforcé entre les services du département et Pôle emploi mais aussi la région, la CAF, les CCAS, les Plie, etc. Ainsi qu'avec les réseaux d'acteurs économiques du territoire (réseaux consulaires, structures d'IAE...). La visite de Dominique Busserau du 18 février comprenait d'ailleurs un déjeuner de travail des deux présidents avec les têtes de réseaux économiques du Nord pour se pencher sur de nouvelles "pistes de travail en matière de remise à l'emploi" des allocataires.
Egalement au programme de la journée pour les journalistes présents, la visite de l'une des 44 unités territoriales de prévention et d'action sociale (Utpas), qui représentent les "circonscriptions" de proximité de l'action sociale et médicosociale du département et regroupent à ce titre les services sociaux, l'ASE et la PMI. En l'occurrence l'Utpas de Villeneuve-d'Ascq.

Un "virage très fort"

Ici, les travailleurs sociaux ont déjà commencé à mettre en œuvre les nouvelles orientations du département. Et reconnaissent qu'il s'agit d'un "virage très fort". Jusqu'ici, parmi les allocataires du RSA, ils suivaient avant tout les publics les plus éloignés de l'emploi (environ 30% des allocataires ne sont pas inscrits à Pôle emploi), centrant leur intervention sur l'accompagnement social. Le nouveau mot d'ordre : "l'accompagnement global". Et désormais, ils sont invités à aider également les allocataires les plus proches de l'emploi, inscrits à Pôle emploi ("perdus à Pôle emploi") mais inconnus des services sociaux, afin de "lever les freins" d'un retour dans le monde du travail, qu'il s'agisse par exemple de problèmes de logement ou de garde d'enfants. Croisement des fichiers d'allocataires et de demandeurs d'emploi, opérations "vis ma vie" entre agents de Pôle emploi et agents des Utpas... plusieurs outils ont été prévus. Et, surtout, la création de huit "plateformes de l'emploi et de l'insertion" au sein des services départementaux pour rapprocher les offres d'emploi du territoire, les allocataires prêts à être embauchés, les besoins en vue localement, les formations à prévoir... sans oublier des actions de lutte contre la fraude.
"Si ainsi un tiers des allocataires du RSA du département retrouvait un emploi (à savoir le tiers déjà le plus proche de l'emploi, NDLR), l'économie pour le département serait de 220 millions d'euros, soit pratiquement le niveau du reste à charge actuel", résume un collaborateur de Jean-René Lecerf.

Claire Mallet

Et pendant ce temps, côté investissement...
Jeudi 18 février, le déplacement de Dominique Bussereau dans le Nord commence effectivement sur le terrain. Direction Halluin, à 20 kilomètres au nord de Lille, pour la visite du collège Robert-Schuman, qui fait partie des cinq collèges que le département ambitionne de démolir et reconstruire au cours du mandat, à raison de un par an. Celui-ci se place en deuxième position sur la liste... La décision est toute récente. Et était attendue de longue date à Halluin. La visite est certes symbolique : les enfants sont en vacances, le collège est vide. De toute façon, les salles de classe que Jean-René Lecerf montre en priorité au président de l'ADF, ce sont des salles inutilisables, dont les fondations sont soutenues par des étais. L'état de délabrement est palpable. Il s'agit de montrer que l'on est "à l'os". De dire qu'avec un calendrier d'investissement bousculé par la hausse des dépenses de RSA et par la baisse des dotations, il va falloir gérer les priorités. Ici, c'est une question de sécurité. "En 2015, nous avons dû passer de 500 millions à 150 millions d'euros d'investissement. Ce sera presque uniquement de l'entretien", dit Jean-René Lecerf, dont le département compte 202 collèges.

C.M.

 

 

 

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