Fonction publique - Quand les agents publics travaillent dans le privé

Magiciens, agriculteurs, cuisiniers, éleveurs de chiens, consultants, psys, ambulanciers... Quand ils travaillent dans le privé, les agents publics exercent toutes sortes d'activités. Mais attention, il y a des règles à respecter. Voici quelques pistes sur ce qu'il est possible de faire suite à la publication du rapport 2009 de la commission de déontologie.

A la lecture de son rapport d'activité 2009, un constat s'impose : la commission de déontologie a de plus en plus de travail ! Depuis la loi du 2 février 2007, cette commission, compétente pour l'ensemble des agents publics (fonctionnaires, contractuels, membres de cabinet), donne un avis sur la situation des agents qui quittent le secteur public de manière temporaire ou définitive pour exercer une activité privée lucrative, ainsi que sur les cas de cumul pour création ou reprise d'entreprise. Sauf exceptions, cette commission n'est pas décisionnaire : c'est à l'administration de l'agent d'autoriser ou non un cumul, d'accepter ou non un départ vers le privé.

La commission a rendu en 2009 plus de 2.500 avis, dont 1.100 concernent des agents territoriaux. Dans 70% des cas, les territoriaux ont saisi la commission pour des demandes de cumul pour création ou reprise d'entreprise : la majeure partie de ces demandes est le fait d'agents de catégorie C, qui travaillent soit à temps plein, soit à 80%. Depuis août 2009, cette saisine est souvent liée à des projets de création d'auto-entreprise. Dans les trois fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière), la commission a constaté une forte hausse des demandes de cumul et, parallèlement, une certaine baisse des demandes de départ vers le privé sous la forme de disponibilité.

Départ dans le privé : prévenir les conflits d'intérêts

Dans 80% des cas, la commission donne un avis favorable, parfois avec des "réserves" : elle conseille alors par exemple à l'administration de l'agent de lui interdire l'exercice de la profession sur la commune ou dans le département où il exerce ses fonctions publiques. L'objectif est d'éviter les conflits entre les intérêts privés de l'agent et l'intérêt public.

Dans ce cas, l'agent est généralement placé en disponibilité, puis le décret du 26 avril 2007 s'applique. Pour rendre son avis, la commission cherche à savoir si l'activité privée envisagée est compatible avec les fonctions exercées par l'agent au cours des trois dernières années. Elle ne se prononce que s'il s'agit d'un départ vers une entreprise privée, et non vers une association ou vers une entreprise publique. Ainsi, pour un départ vers une société d'économie mixte (Sem) contrôlée à 80% par une commune, elle n'a pas à être saisie (rapport, p.26). L'essentiel est surtout de ne pas avoir exercé auparavant la surveillance ou le contrôle de l'entreprise dans laquelle l'agent souhaite partir. La commission veille également à ce que l'agent n'ait pas conclu des contrats avec ladite entreprise, afin d'éviter le délit de prise illégale d'intérêt.

Mais au-delà de l'aspect pénal, la commission soumet également la demande au respect de critères déontologiques : le 8 juillet 2009, elle a par exemple estimé qu'un gardien de la paix souhaitant être placé en disponibilité pour pratiquer l'hypnose éricksonienne pouvait le faire sans porter atteinte à la dignité des fonctions exercées. Cependant, tout le monde n'ayant pas des qualités d'hypnotiseur, les dossiers les plus fréquents concernent des policiers souhaitant devenir, après cessation de fonction, "agent privé de recherche" (c'est-à-dire détective ou enquêteur), et des agents de DDE partant faire du conseil en bureau d'études.

Cumuls : il n'est pas toujours utile de consulter la commission de déontologie

Au XIXe siècle, de très nombreux agents publics passaient leurs matinées dans leur administration et leurs après-midis dans une entreprise. En raison de la faiblesse des salaires des agents de base, cette double carrière leur permettait de s'assurer un niveau de vie décent. Cette situation a pris fin au milieu du XXe siècle avec l'adoption en 1936 d'un décret-loi, puis celle, en 1945, du statut général qui interdit aux fonctionnaires d'exercer une activité privée.

Cette règle qui vise à s'assurer que le fonctionnaire ne fait pas passer son intérêt personnel privé avant l'intérêt général est toujours d'actualité : l'article 25-1 du statut général de la fonction publique (loi 83-634 du 13 juillet 1983) dispose que "les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit". Le cumul est donc toujours une exception à ce principe. Quelle que soit l'activité complémentaire qu'il souhaite exercer, l'agent doit demander préalablement l'autorisation de pratiquer ce cumul à son administration sauf si l'activité est bénévole.

Cependant, le statut général prévoit des exceptions à la règle de non-cumul (articles 25-1 à 4) : il est possible de toucher des droits d'auteur suite à la production d'oeuvres de l'esprit (littéraires, scientifiques ou artistiques) ; de faire du conseil ou de l'enseignement dans un domaine "ressortant de sa compétence" (c'est-à-dire qu'un policier ne peut pas enseigner le ski, arrêt du Conseil d'Etat, 4 mai 1994) ; d'exercer une profession libérale découlant de l'exercice de la fonction publique (situation du professeur de droit qui est également avocat). Les agents à temps non complet ou incomplet sont soumis à des règles particulières précisées dans le décret n°2003-22 du janvier 2003. Les fonctionnaires peuvent également gérer librement leur patrimoine personnel et familial et en tirer des revenus.

Dans tous ces cas de cumuls autorisés par la loi, la commission de déontologie n'a pas à être saisie : ainsi, le 10 juin 2009, elle a jugé qu'un agent souhaitant "créer une activité indépendante de spectacles de magie" n'avait pas à la consulter. En effet, un spectacle de magie est une "oeuvre de l'esprit". De même pour un agent souhaitant créer une entreprise de production photovoltaïque d'électricité pour répondre à ses besoins domestiques : il gère son patrimoine personnel. Attention tout de même : pour les activités qui ne rentrent pas de manière évidente dans les catégories fixées par l'article 25-1, c'est à la jurisprudence administrative (principalement du Conseil d'Etat que l'on trouve en première approche dans un manuel de droit de la fonction publique) qu'il faut se référer, non à celle de la commission de déontologie.

Pratiquer des activités "accessoires", par exemple psy pour chiens…

Il est également possible de déroger à la règle de non-cumul en exerçant des "activités accessoires" (article 25-1-6 du statut général). La liste de ces activités accessoires est fixée par le décret du 2 mai 2007. On y trouve par exemple les activités agricoles, les travaux de faible importance réalisés chez les particuliers, l'aide à domicile à un proche ou encore une activité de conjoint collaborateur. Rentrent également dans ce cadre les activités de conseil et formation en informatique, de restauration à domicile chez des particuliers, de coaching, de conducteur de machines agricoles ou même de consultant en comportement animalier (rapport, p.55) ! Ces activités peuvent être exercées après autorisation de l'administration, sans que l'avis de la commission de déontologie ne soit requis, même si l'agent crée pour les exercer une entreprise individuelle. Ces activités doivent rester "accessoires" par rapport à l'activité publique principale. Leur exercice n'est pas limité dans le temps.

Créer ou reprendre une entreprise…. mais éviter la "lingerie dite fine" 

Enfin, dernière possibilité de déroger au principe de non-cumul : créer ou reprendre une entreprise. Dans ce cas, s'appliquent l'article 25-2-1 du statut et le décret du 2 mai 2007 : les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public, à temps complet ou partiel, peuvent cumuler leur activité administrative avec la création ou la reprise d'une entreprise. Depuis la loi du 3 août 2009, la durée maximale de ce cumul est fixée à deux ans (avec un éventuel report supplémentaire d'un an). Pour bénéficier de ce dispositif, l'agent concerné doit avoir la qualité de gérant ou de cogérant de l'entreprise et non de simple salarié : être recruté par une agence d'intérim pour gérer la buvette d'un stade municipal ne rentre donc pas dans ce cadre (rapport, p.48). Dans ce cadre (et en dehors des activités qui rentrent dans la liste des "activités accessoires"), la commission de déontologie est systématiquement saisie pour avis. Elle évalue alors les risques de prise illégale d'intérêt, mais s'assure aussi que le cumul ne porte pas atteinte à la dignité des fonctions administratives exercées. Ainsi, il y a incompatibilité entre "une activité d'achat et de revente, notamment, de lingerie dite fine et autres produits à connotation marquée, et les fonctions, exercées concomitamment, de gardien de la paix". Pas question non plus pour un agent du Sdis de créer une "auto-entreprise d'échanges à caractère sexuel sur internet". Les politiques de développement de l'auto-entreprise ont des limites.

A noter : certaines de ces règles pourraient prochainement évoluer, la publication d'un décret sur ce sujet est attendu (voir nos articles ci-contre).

 

Hélène Lemesle