Prix du logement : la délégation aux collectivités du Sénat invite les communes à faire preuve d'inventivité
Dans un rapport sur les communes face à l'inflation des prix de l'immobilier qu'il vient de remettre, Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, insiste sur les "modestes moyens" dont disposent les communes face à ce phénomène. Pour autant, il préconise d'agir sur l'offre en augmentant la taille du parc de logements disponibles et, au niveau national, de mener un aménagement du territoire "davantage réfléchi avec une meilleure répartition de la population entre zones tendues ou non". Du côté de la demande, le rapport évoque aussi des pistes pour renforcer les contraintes pesant sur le marché.
Président de la délégation aux collectivités territoriales, Jean-Marie Bockel, sénateur (Union centriste) du Haut-Rhin, a remis son rapport d'information sur "les communes face à l'inflation des prix de l'immobilier : quels moyens d'action pour réguler le marché ?". Ce travail s'appuie notamment sur les résultats d'une table ronde sur le sujet, organisée par la délégation le 5 mars dernier. Il part du constat que "ces dix dernières années, une partie de nos concitoyens a dû faire face à une augmentation inédite des prix de l'immobilier" : +61% à Paris depuis dix ans, +62% à Lyon, +79% à Bordeaux, mais aussi des hausses importantes dans des villes moyennes. Le rapport entend donc aider les maires "à faire preuve d'inventivité et à se saisir des modestes moyens à leur disposition pour tenter de réguler, au niveau de leur commune, les prix de l'immobilier".
Malgré la crise sanitaire, le marché reste soutenu par deux "piliers structurels"
Sur le constat, le rapport avance des éléments et des explications déjà bien documentés. Il souligne ainsi l'importance des écarts territoriaux : hausse des prix de 79% depuis dix ans à Bordeaux, mais baisse de 27% à Saint-Etienne sur la même période. Dans certaines villes, la hausse s'est même fortement accélérée entre 2017 et 2019. Certes, "la crise sanitaire a eu pour effet de plonger le secteur immobilier dans une paralysie historique", mais le rapport estime que "malgré cette crise sanitaire inédite, le marché pourrait être soutenu par deux piliers structurels qui alimentent toujours la hausse des prix : une demande qui excède le stock d'offre [...] et des investisseurs qui s'orientent vers des biens considérés comme une valeur refuge, a fortiori dans un contexte d'incertitude boursière, en temps de crise économique." Pour les élus, le principal risque de cette évolution est d'aboutir, à long terme, à une redistribution territoriale inégalitaire entre groupes sociaux – avec un éloignement croissant des ménages vers les zones périurbaines –, au risque de conséquences négatives sur l'emploi et le commerce.
Le rapport pointe différentes causes de cette inflation des prix du logement : desserrement des contraintes sur le crédit bancaire, impact "difficilement mesurable" des plateformes de location touristique, évolutions sociétales (avec la concentration de cadres dans les métropoles), effets des politiques publiques du logement…
Des maires tributaires de "nombreuses interventions extérieures"
Face à ces constats, le rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ne peut évidemment pas faire de miracles, d'où l'insistance sur les "modestes moyens" dont disposent les communes. Le rapport ne manque d'ailleurs pas de rappeler que "c'est l'État qui a la responsabilité d'assurer l'effectivité du droit au logement et de soutenir le secteur du bâtiment à travers des aides directes et indirectes". S'y ajoutent les compétences des collectivités hors communes : financement des politiques de logement et des politiques d'efficacité énergétique (régions), logement des personnes vulnérables (départements), mise en œuvre du programme local de l'habitat (EPCI), délégation des aides à la pierre et de la mise en œuvre du droit au logement opposable (EPCI et métropoles volontaires).
Dans ces conditions, "les maires se retrouvent tributaires de nombreuses interventions 'extérieures' qui peuvent limiter leur action", sachant en outre que "sur ce marché de l'immobilier, les actions des personnes privées (promoteurs, acheteurs, banques, entreprises de tourisme etc.) ne sont pas toujours maîtrisables".
La réponse de base : agir sur l'offre en créant du logement
Dans ce contexte, la première solution est, bien sûr, d'agir sur l'offre en augmentant la taille du parc de logements disponibles. Mais il faut, pour cela, être en capacité d'assumer les frais d'infrastructures accompagnant la hausse de la population, voire d'affronter les critiques sur les "maires bétonneurs", qui ont tendance à fuser de plus en plus rapidement. Un autre levier, mais de niveau national, réside dans un aménagement du territoire "davantage réfléchi avec une meilleure répartition de la population entre zones tendues ou non".
Au niveau local, il est cependant possible d'agir en remettant des logements sur le marché de l'immobilier grâce à divers outils, comme la lutte contre les logements vacants (avec en particulier le dispositif "Louer abordable" ou le mécanisme du nouveau bail mobilité) ou encore la réhabilitation des logements anciens dégradés.
Agir sur la demande : oui, mais avec les bons leviers
Un autre moyen pour limiter la hausse des prix du logement consiste à agir sur la demande, en renforçant les contraintes pesant sur le marché. À ce titre, le rapport évoque deux pistes, qui relèvent toutefois davantage du niveau national que de l'échelon local. La première résiderait dans une plus forte régulation des plateformes de location touristique. Constatant que l'arsenal juridique de la régulation de ces plateformes s'est "considérablement renforcé", et à plusieurs reprises, ces dernières années – plus précisément depuis la loi Alur du 24 mars 2014 –, le rapport estime que "le cadre légal parait suffisant, alors qu'un nouveau durcissement n'aurait pas forcément d'effet sur les prix de l'immobilier à l'achat, et, pire, risquerait de priver de revenus complémentaires de nombreux propriétaires de leur résidence principale".
Une autre action sur la demande consisterait à rendre les actifs immobiliers moins compétitifs, en pénalisant leur rendement. Plusieurs pistes sont envisageables à ce titre. La première est bien sûr le développement de l'encadrement des loyers, mais celui-ci "n'apparaît pas comme une solution miracle pour limiter l'inflation des prix, a fortiori s'agissant de l'achat immobilier, qui reste peu tributaire de cette variable, sauf à considérer que la baisse du rendement locatif décourage massivement les investisseurs [...]".
Seconde piste envisageable : continuer à augmenter la fiscalité sur les actifs immobiliers. Pour la délégation aux collectivités territoriales, "si cette solution semble séduisante en théorie, elle n'a en revanche jamais été démontrée empiriquement. Pire, c'est même l'inverse qui s'est produit dans les métropoles ces dix dernières années". Ceci n'a toutefois pas empêché la hausse des prélèvements sociaux sur les loyers au 1er janvier 2018 (+1,7 point), ni la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI),
Enfin, une troisième possibilité consisterait à supprimer ou à limiter les dispositifs de défiscalisation. Sur ce point, la position de la délégation semble plus favorable. Face aux dépenses fiscales considérables engagées depuis trente ans pour "rendre l'investissement locatif extrêmement rentable comparé aux investissements financiers", le rapport estime en effet que "la limitation de ces dispositifs de défiscalisation doit être envisagée pour freiner la spéculation sur le foncier. Surtout, la manne financière des dépenses fiscales doit être réorientée vers le logement social et intermédiaire, et non plus vers des produits de marché qui favorisent essentiellement les propriétaires investisseurs".
Références : rapport d'information n° 475 (2019-2020) de Jean-Marie Bockel, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, "Les communes face à l'inflation des prix de l'immobilier : Quels moyens d'action pour réguler le marché ?". |