Dans la foulée du rapport Lagleize, l'Assemblée vote la création des "offices fonciers libres"
La proposition de loi de Jean-Luc Lagleize, directement issue de son récent rapport, qui vise notamment à limiter l'augmentation des prix du foncier et donc du logement, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée Les offices fonciers solidaires étendraient théoriquement le principe des offices de foncier solidaire à l'ensemble du foncier. Adopté sans vote contre, mais amendé au passage par le gouvernement, ce texte comprend d'autres mesures intéressant les collectivités.
Le 28 novembre, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français", déposée par Jean-Luc Lagleize, député de Haute-Garonne, et ses collègues du groupe Modem. L'intéressé avait déposé la proposition de loi dans la foulée de la remise au Premier ministre de son rapport sur "La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction", qui proposait une petite révolution dans le droit du foncier (voir nos articles ci-dessous du 8 novembre et du 10 avril 2019). La proposition de loi est donc adoptée, en première lecture, trois semaines seulement après son dépôt et celui du rapport correspondant.
"Casser l'engrenage de la hausse des prix des logements"
Le texte adopté s'inscrit dans la droite ligne du rapport, même s'il est loin d'en reprendre toutes les préconisations. Selon l'exposé des motifs, "lutter contre la spéculation foncière et renforcer le pouvoir des élus locaux est impératif pour limiter l'augmentation du prix de vente et permettre à chacun de pouvoir se loger librement, tant en location qu'en accession à la propriété, en zones tendues comme en zones détendues". Dans cette optique, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée regroupe plusieurs mesures.
Le titre Ier vise ainsi rien moins que de "casser l'engrenage de la hausse des prix des logements en interdisant la vente aux enchères publiques, en offrant plus de transparence sur la définition des prix et en stoppant la spéculation foncière". Il prévoit ainsi d'interdire la vente aux enchères lors des cessions de foncier concernant le domaine privé de l'État et des collectivités territoriales, "afin d'enrayer la spirale continue d'augmentation des prix", et de passer à des cessions de gré à gré (après consultation d'experts fonciers, comme le service des Domaines) ou sur concours à prix fixe.
Offices fonciers libres : finalement, ce sera une ordonnance
La disposition la plus importante concerne toutefois la création des "offices fonciers libres" (terme utilisé bien qu'il ne figure pas dans le texte de la proposition de loi), calqués sur le modèle des offices fonciers solidaires (OFS, voir notre article ci-dessous du 13 novembre 2019). Cette création va de pair avec celle d'observatoires fonciers locaux destinés à permettre plus de transparence dans les opérations de vente des particuliers, grâce à une analyse des opérations de vente et à des bilans des transactions passées. En mettant toutes ces données à disposition du public, les observatoires doivent contribuer à exercer une pression sur les prix du foncier.
La création des OFL a toutefois été reportée par un amendement du gouvernement, qui substitue à la rédaction initiale, fragile juridiquement, un article habilitant le gouvernement à créer par ordonnance un régime d'organisme foncier libre et un nouveau bail réel, qui permet effectivement, dans la durée, la dissociation de la propriété du foncier par l'organisme de foncier libre et de la propriété du bâti par le preneur à bail. L'ordonnance doit être prise dans le délai d'un an.
En pratique, la création des offices fonciers libres doit permettre de généraliser la dissociation entre le foncier et le bâti, engagée à petite échelle par les OFS pour le logement social. Les collectivités territoriales pourraient créer un OFL, ouvrant ainsi la possibilité de proposer des baux réels libres (BRL) sur les fonciers qu'elles aménagent (domaine privé des collectivités, de l'État ou de ses établissements publics). Ces baux "seraient rechargeables, transmissibles et cessibles et les prix de cession seraient préconisés par l'observatoire du foncier, sur le modèle du dispositif d'encadrement des loyers".
Avec la dissociation du foncier et du bâti, le foncier serait détenu par l'OFL - une société foncière, à capitaux publics et/ou privés -, qui accorderait à un constructeur (promoteur, aménageur, bailleur social), via un bail emphytéotique à durée illimitée, un droit à construire un programme particulier (logements, commerces, équipements publics...). Comme l'explique l'exposé des motifs, "le foncier n'étant désormais plus jamais en vente, il ne peut plus faire l'objet de spéculation". Ce foncier serait néanmoins rapidement valorisé par les redevances mensuelles acquittées par les bénéficiaires des constructions au titre du bail réel conclu avec chacun d'entre eux.
Un fonds pour la dépollution des friches géré par Action Logement ?
Au-delà de cette disposition phare, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture comporte aussi d'autres mesures intéressant directement les collectivités territoriales. C'est le cas de la création d'un fonds pour la dépollution des friches, qui "pourrait être géré par Action Logement" (ce qui a été contesté par plusieurs groupes parlementaires et devrait être modifié lors de la navette) et serait chargé de libérer les friches urbaines et industrielles en les dépolluant et en leur donnant de nouveaux usages.
Une autre mesure fait preuve d'une certaine défiance vis-à-vis de l'administration des Domaines, dont les estimations sont souvent jugées éloignées des prix du marché (en plus ou en moins). Elle donne en effet aux maires la possibilité de faire appel à une expertise menée par un ordre d'experts agréé par l'État, "afin de renforcer l'objectivité et la transparence des données". Un amendement du gouvernement a toutefois maintenu le caractère obligatoire de la consultation des Domaines, les collectivité pouvant aussi demander une estimation par un expert immobilier agréé inscrit sur les listes des experts judiciaires dressées par les cours d'appel, si elles "le jugent opportun",
Enfin, d'autres dispositions concernent les plans locaux d'urbanisme (PLU). Elles prévoient notamment "d'établir un lien direct et mesurable entre le PLU (éventuellement intercommunal), le PLH (Plan local de l'habitat, éventuellement intercommunal) et la délivrance des permis de construire en rendant obligatoire un compte-rendu annuel de la construction de logements en conseil municipal et, s'il y a lieu, en conseil communautaire".
Un "trou dans la raquette"
Lors de l'examen du texte en commission et en séance publique, les députés de la majorité et le gouvernement ont apporté plusieurs aménagements ou précisions. Ils ont ainsi détaillé les missions des observatoires de l'habitat et du foncier, "mis en place au plus tard dans les deux ans après que le programme local de l'habitat a été rendu exécutoire". De même, la suppression de l'adjudication a été cantonnée aux seules zones tendues et, même dans ce cas, uniquement dans les zones urbanisées des communes. La procédure d'adjudication a également été maintenue sur tout le territoire pour les lots de copropriétés. En matière d'expertise domaniale, les députés ont ouvert la possibilité, pour les collectivités, de s'appuyer également sur les experts immobiliers auprès des cours d'appel.
Évoquant des "avancées significatives" à l'occasion de la discussion générale, Julien Denormandie a affirmé que cette proposition de loi "s'inscrit pleinement dans la vision de la politique du logement que nous essayons de mettre en œuvre depuis deux ans et demi". Pour le ministre de la Ville et du Logement, ce texte vient en effet combler "un trou dans la raquette, que nous avions d'ailleurs identifié collectivement lors de l'examen du projet de loi Elan : la question du foncier. [...] Le foncier représente aujourd'hui une part beaucoup trop importante – 20 à 60% – du coût d'une opération, et cela ne peut plus durer".
Au-delà de la majorité parlementaire, le texte a également recueilli le soutien du PS. En revanche, les groupes LR et Libertés et Territoires ont choisi de s'abstenir en regrettant certaines dispositions du texte ainsi que des modifications introduites par les amendements du gouvernement ou de la majorité. C'est aussi le cas de la Gauche démocrate et républicaine, estimant que "les amendements du gouvernement et ceux du groupe majoritaire ont détricoté un texte de loi déjà très modeste au regard des propositions du rapport que M. Lagleize vient de remettre au Premier ministre". Le texte a néanmoins été facilement adopté, en l'absence de tout vote contre. S'il semble assuré de poursuivre son parcours, il devrait néanmoins être amendé de façon significative à l'occasion de la navette.
Références : proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l'offre de logements accessibles aux Français (adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 28 novembre 2018). |