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Le rapport Lagleize sur le foncier propose de révolutionner le droit de propriété

Le député Jean-Luc Lagleize a remis à Édouard Philippe son rapport sur "La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction". La très grande majorité des cinquante préconisations du rapport intéresse très directement les collectivités territoriales.

Jean-Luc Lagleize, député (Modem) de Haute-Garonne – et orateur principal de son groupe lors de la discussion de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) – a remis à Édouard Philippe son rapport sur "La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction". Le Premier ministre l'avait en effet chargé d'une mission temporaire sur le sujet en avril dernier (voir notre article ci-dessous du 10 avril 2019). Il s'agissait notamment d'étudier "les prérogatives mises à la disposition des collectivités locales pour mettre en œuvre leur stratégie d'intervention foncière, comme les secteurs de mixité sociale, les zones d'aménagement différé, le droit de priorité et le droit de préemption". La très grande majorité des préconisations du rapport intéresse donc très directement les collectivités territoriales.

Des PLU avec prix plafonds et une interdiction des ventes aux enchères du foncier public

De façon inhabituelle – et malgré ses 230 pages –, le rapport ne propose pas véritablement de constat pour passer immédiatement aux préconisations. Il est vrai que le constat est parfaitement connu et documenté depuis longtemps : la rareté du foncier disponible freine la production de logements et son coût croissant est – avec l'accumulation des normes – le principal facteur explicatif de la progression du prix des logements, au point de dépasser le coût de la construction proprement dite dans les centres-villes des grandes agglomérations.

Les cinquante propositions du rapport sont organisées autour de cinq grands enjeux : casser l'engrenage infernal de la hausse des coûts du foncier, libérer le foncier et améliorer la constructibilité, optimiser le foncier disponible, attirer les investisseurs dans le logement locatif et, enfin, stopper définitivement la spéculation foncière.

Sur le premier enjeu, le rapport entend "améliorer l'évaluation foncière au service des élus", en les autorisant à recourir à une expertise privée et en renforçant "la professionnalisation des évaluations de la direction de l'immobilier de l'État (DIE)" et en clarifiant le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Sur ce même enjeu, un ensemble de propositions vise à instaurer la transparence sur le foncier privé, notamment avec la création obligatoire d'observatoires du foncier dans les zones tendues (et facultative ailleurs) et leur regroupement en un réseau national. Le rapport préconise aussi d'autoriser l'inscription en annexe du plan local d'urbanisme (PLU) d'un prix de vente maximum des logements neufs à construire par quartiers géographiquement délimités et par typologie de logements, mais aussi d'aider les élus locaux à bâtir des documents d'urbanisme "efficaces et cohérents" en renforçant la dématérialisation et la transparence des données.

Enfin, Jean-Luc Lagleize recommande de supprimer les ventes aux enchères lors de cessions de foncier public par l'État, les collectivités territoriales ou les établissements publics, au profit des concours à prix fixe et des cessions de gré à gré.

Pour une "loi SRU" du foncier

Sur le second enjeu – libérer le foncier et améliorer la constructibilité – le rapport entend supprimer les incitations à la rétention du foncier. Ceci passerait en particulier par une transformation en profondeur de l'imposition des plus-values immobilières (PVI), la création d'une exonération d'impôt sur les PVI pour les cessions de biens aux collectivités territoriales ou à leurs établissements dans le cadre d'une ZAC ou d'une ZAD. Cette création de valeur serait rendue aux collectivités, en reversant l'intégralité du produit du PVI aux communes et, éventuellement, en le répartissant entre communes et EPCI en cas de PLUi-H (PLU intercommunal et d'habitat).

Sur ce même enjeu, un groupe d'une quinzaine de propositions est consacré à l'accompagnement des élus dans leur politique du logement et d'aménagement du territoire. Parmi les mesures préconisées à cette fin figurent, entre autres, l'instauration d'un "constat de carence en construction en cas d'écart significatif et prolongé entre les besoins en logement et le nombre de logements construits" (sur le modèle de la loi SRU), le renforcement du rôle et l'amélioration du fonctionnement des établissements publics fonciers, la facilitation du recours à la déclaration d'utilité publique (DUP) et au droit de préemption urbain (DPU), ou encore la diminution du coût des préemptions pour les collectivités en cas de vente aux enchères de biens privés.

Surélévation des bâtiments et réhabilitation des friches

Sur le troisième enjeu consistant à "optimiser le foncier disponible", la dizaine de préconisations avancées portent toutes sur les incitations à la surélévation des bâtiments et sur la réhabilitation et la valorisation des friches. Le premier point suppose au préalable de recenser le potentiel de projets de surélévation au sein de chaque observatoire du foncier (y compris pour les logements sociaux), mais aussi d'exonérer les projets de surélévation des obligations relatives à la densité et aux obligations en matière de création d'aires de stationnement. De même, dans une copropriété, le seuil de décision pour autoriser une surélévation devrait être ramené à la majorité simple des voix de tous les copropriétaires.

Sur la valorisation des friches, le rapport préconise notamment de créer une agence de valorisation du patrimoine vacant de l'État et, dans le privé, de permettre aux propriétaires de friches de rentrer au capital des offices fonciers.

Encore les locations meublées !...

Le quatrième enjeu – "Attirer les investisseurs dans le logement locatif" – déborde quelque peu la seule question du foncier. Il propose en effet de réviser le dispositif Pinel d'aide à l'investissement locatif et d'exclure l'immobilier proposé à la location pour résidence principale de l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Sans oublier bien sûr de "renforcer la régulation de la location touristique meublée de courte durée issue des plateformes numériques" (abaissement du nombre de jours autorisés et durcissement des sanctions).

Vis-à-vis des personnes morales, l'idée est plutôt d'encourager l'investissement institutionnel dans le résidentiel locatif, à travers la fiscalité attachée à ces investissements.

Contre la "cupidité humaine", un nouveau droit de la propriété

Enfin, le dernier enjeu est ambitieux, puisqu'il prévoit rien moins que de "stopper définitivement la spéculation foncière". À côté de propositions techniques sur la simplification des règles applicables aux offices fonciers solidaires (OFS) et sur la fusion du régime des baux (emphytéotique, réels solidaires, à construction) en un statut unique de bail réel immobilier, cette partie contient la proposition la plus révolutionnaire du rapport. Elle consisterait en effet à "créer un nouveau droit de propriété fondé sur la dissociation entre le foncier et le bâti. Le foncier serait détenu par une société foncière, à capitaux publics et/ou privés, mais à majorité publique, et dénommée l'office foncier". Les intérêts privés pourraient être admis au capital, mais sous réserve de "l'absence manifeste de recherche de profit" (ce qui semble un peu contradictoire avec la notion même de capital).

Cet office foncier consentirait à un constructeur (promoteur, aménageur, bailleur social...) un bail emphytéotique à durée limitée mais contractuellement rechargeable et un droit à construire un programme particulier (logements, commerces, activités, équipements publics...). Le propriétaire final de l'équipement construit deviendrait titulaire de droits réels sur ce bâti et verserait une redevance mensuelle à l'office foncier. Comme l'explique le rapport, "le foncier n'étant désormais plus jamais en vente, il ne pourrait plus faire l'objet de spéculation", tout en reconnaissant qu'il pourrait exister des obstacles d'ordre constitutionnel à une telle modification du droit de propriété.

Mais, pour Jean-Luc Lagleize en conclusion de son rapport, "il paraît clair que nous ne devons plus laisser la seule loi de l'offre et de la demande, conjuguée à la cupidité humaine traditionnelle, créer une bulle d'enrichissement de quelques-uns, au détriment de notre cohésion sociale et de notre unité nationale".

À noter : sans attendre le dépôt du rapport et la réaction du gouvernement, Jean-Luc Lagleize et les député du Modem ont déposé, le 16 octobre, une proposition de loi "visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français". Très argumentée, cette proposition de loi reprend certaines des propositions du rapport (mais pas celle sur la propriété du foncier). Le texte doit être examiné le 20 novembre en commission des affaires économiques de l'Assemblée.

 

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