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Sport - Pratiques sportives : où sont les femmes ?

Le sport féminin ne se porte pas au mieux. Plusieurs initiatives et travaux récents pointent cette réalité. Ainsi, un groupe "femmes et sport" a été mis en place par le ministère. Et la délégation aux droits des femmes du Sénat formule des propositions, dont certaines s'adressent directement aux municipalités.

Mercredi 13 juillet, le match de football féminin entre la France et les Etats-Unis a réuni plus de trois millions de téléspectateurs sur une chaîne de la TNT. Un record historique pour une discipline qui ne vivait jusqu'à présent qu'à travers sa version masculine. Ce succès est pourtant trompeur. A l'image du Tour de France cycliste féminin, annulé cette année pour des raisons économiques, le sport féminin ne se porte pas au mieux en France. Plusieurs initiatives et travaux récents pointent cette réalité. Un groupe de réflexion baptisé "femmes et sport" a été mis en place par le ministère des Sports, preuve que des questions se posent. Le sociologue et géographe Yves Raibaud, du laboratoire aménagement, développement, environnement, santé et sociétés du CNRS, a rendu publique en juin une enquête intitulée "L'image de la ville par le genre", menée sur l'agglomération de Bordeaux. Un travail qui indique que deux fois plus de garçons que de filles profitent des équipements publics sportifs, culturels ou de loisirs destinés aux jeunes (voir le lien Journal du CNRS, ci-contre). Le 21 juin dernier, c'était au tour de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat de déposer son rapport annuel dont le thème central portait lui aussi sur "sports et femmes". La première partie de ce texte, consacrée à "la pratique sportives des Françaises" note d'entrée que le sport constitue "le miroir grossissant des inégalités auxquelles sont confrontées les femmes en France et dans le monde".

"Représentations stéréotypées"

Le rapport s'ouvre pourtant sur une note optimiste : les femmes "sont 65% à déclarer pratiquer régulièrement une activité physique et sportive", ou encore : "Des sportives de haut niveau participent à des compétitions dans la quasi-totalité des disciplines olympiques, et quelques-unes d'entre elles ont acquis une notoriété médiatique comparable à celle de leurs homologues masculins." Sur la foi d'auditions menées de novembre 2010 à mai 2011, les sénatrices et sénateurs membres de la délégation estiment toutefois que "si la pratique féminine sportive a beaucoup progressé, elle reste cependant marquée par un certain nombre de spécificités qui montrent le chemin qui reste à parcourir pour parvenir à une véritable égalité avec la pratique masculine". Ainsi, "les femmes tendent […] à se concentrer sur quelques disciplines sportives considérées a priori comme plus 'féminines'." Concrètement, dix-huit fédérations comptent moins de 10% de licenciées, dont le football (2,7%), le rugby (4,1%), le motocyclisme (5,4%) ou le hockey sur glace (9,3%). Une différence qui ne traduirait pas nécessairement la persistance des discriminations à l'encontre des femmes, mais relèverait plutôt de l'autoexclusion en raison de "représentations stéréotypées" et du "poids des normes religieuses".

Facteurs culturels et inégalités sociales

Selon le rapport de la délégation aux droits des femmes, la pratique sportive féminine est ainsi affectée par les inégalités sociales. Le document note que, lorsque le revenu familial est inférieur à 1.830 euros, seules 45% des filles pratiquent une activité sportive, contre les 75% des garçons. Et seulement 32% des filles en zone d'éducation prioritaire (ZEP) pratiquent un sport en club, contre 80% dans les classes moyennes et supérieures. Pour expliquer ces résultats, les rapporteurs mettent souvent en avant des "facteurs culturels" ainsi que "l'effet des politiques volontaristes menées dans les années 1990" pour "redynamiser et pacifier les banlieues". Des actions qui "ont eu pour effet involontaire d'exclure les filles, les garçons se réservant le football de rue et l'usage des 'playgrounds'". Un constat qui rejoint les conclusions d'Yves Raibaud sur l'agglomération bordelaise. Dans les ZEP, le poids de la culture chez certaines populations va même jusqu'à provoquer des pratiques traditionnellement écartées pour en éviter d'autres : "Un nombre croissant de filles d'origine maghrébine pratique le football […]. En revanche, plus la pratique est esthétisée, érotisée (par exemple dans le cas de la gymnastique ou de la natation), plus les filles sont rares", a témoigné la doctorante Charlotte Parmentier devant la délégation.
D'autres facteurs affectent encore la participation des filles aux activités physiques et sportives. D'une part un encadrement très souvent assuré par des personnes retraitées, plus disponibles pour des raisons de temps. Or, pour la délégation, ces personnes "ne peuvent entièrement s'abstraire des conceptions de leur génération" et ne sont pas "portées à remettre en question des stéréotypes sexués qui écartent les jeunes filles de la pratique de certains sports". Elle considère donc que la mixité des encadrants "constitue un enjeu essentiel pour l'avenir de la pratique féminine". D'autre part, le rapport déplore l'existence d'équipements sportifs parfois inadaptés à la pratique sportive féminine. D'abord parce que, souvent anciens, ils sont destinés à des sports traditionnels, intéressant plutôt un public masculin. Ensuite parce que, souvent saturés en termes de fréquentation, leurs meilleurs créneaux horaires sont très largement occupés par les équipes masculines dont les performances sont plus valorisées.

Féminiser la politique de la ville ?

Pour la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, l'amélioration de la pratique sportive féminine "nécessite une politique volontaire" et "passe par une action conjointe des principaux acteurs du sport en France : administration, mouvement sportif et collectivités territoriales". Le problème des "filles des banlieues" débordant même, selon elle, du cadre strictement sportif pour questionner "la féminisation de la politique de la ville".
La délégation énonce enfin une série de recommandations : "encourager et élargir la pratique sportive féminine", en tenant notamment compte les attentes spécifiques des femmes dans ce domaine ; "tirer pleinement parti du rôle positif du sport à l'école", par exemple en labellisant les clubs sportifs qui s'impliquent dans le sport féminin ; "encourager les fédérations à davantage de mixité", à l'image de la Fédération française de football qui a décrété une obligation de créer des clubs féminins assortie, le cas échéant, de sanctions ; ou encore, "sensibiliser les municipalités à l'exigence de mixité et d'égalité", par exemple en prenant en compte l'égal accès des femmes et des hommes dans le cahier des charges des projets de nouveaux équipements. La délégation suggère enfin la création, sous l'autorité du ministère des Sports, éventuellement dans le cadre de la nouvelle Assemblée du sport, d'un Observatoire national de l'égalité dans le sport. Ce dernier traiterait à la fois "des inégalités de genre mais aussi de l'égalité entre sport et handisport et de l'accès au sport des seniors". L'éventuelle mise en oeuvre de ces recommandations pourra s'appuyer sur les travaux d'Yves Raibaud qui, après avoir travaillé sur l'agglomération bordelaise, a lancé une étude similaire à Toulouse et Ramonville (Haute-Garonne) dont la méthodologie pourrait déboucher sur une offre de diagnostic territorial.

 

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