Sport - La difficile marche des clubs vers la politique de la ville
"Globalement, les clubs sportifs ont du mal à se mettre dans une démarche d'innovation sociale. Mais quand ça marche, on a des résultats assez exceptionnels", résume Gilles Vieille Marchiset, maître de conférence en sociologie à l'université de Franche-Comté, à propos de l'expérimentation "Les ressorts des innovations sociales dans les clubs sportifs en zones urbaines sensibles [ZUS]", menée par l'Agence pour l'éducation par le sport (Apels) avec le soutien du secrétariat général du Comité interministériel des villes. Une expérimentation dont la restitution avait lieu jeudi 3 février au Sénat.
Les clubs sportifs sont-ils des lieux d'intégration et d'éducation dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Telle était la question centrale de cette expérimentation. Pour le savoir, sociologues, anthropologues, économistes, psychologues et politologues issus de six laboratoires de recherche se sont immergés pendant trois ans (2007-2010) dans la vie de vingt-quatre clubs implantés dans douze ZUS de six régions françaises. Gilles Vieille Marchiset, qui a été le coordinateur scientifique de l'étude, a posé, lors de cette restitution, cinq conditions à la réussite des projets sociaux des clubs sportifs en ZUS.
Dimension territoriale
Tout d'abord, il convient de mettre à distance les croyances dans les vertus positives, magiques du sport en termes d'intégration. "Les clubs qui réussissent sont ceux qui font le deuil de cette idéologie. Même les clubs les plus compétitifs se rendent compte qu'ils doivent faire autrement vis-à-vis des territoires prioritaires, laisser de côté le culte du champion et de la performance", reconnaît Gilles Vieille Marchiset.
La dimension territoriale intervient en second lieu. "Les clubs qui réussissent à innover socialement sont des clubs reconnus par le territoire, les habitants, qui arrivent à s'ouvrir aux collectivités, aux autres associations", note le chercheur, qui déplore toutefois que, le plus souvent, il existe un "manque de reconnaissance de la part des pouvoirs publics".
La troisième dimension revient à prendre en compte les adhérents des clubs dans leur globalité. "Souvent, constate Gilles Vieille Marchiset, les clubs ne considèrent l'individu que comme un sportif, et non pas comme une personne avec des problèmes, notamment dans les quartiers où l'on rencontre des problèmes sociaux, familiaux, scolaires, identitaires. Ceux qui arrivent à innover sont ceux qui prennent en compte la personne telle qu'elle est et essaient de la faire évoluer avec ses atouts et ses limites."
Paradoxalement, la plupart des clubs sur lesquels l'expérimentation a porté comptent de nombreux licenciés en dehors des ZUS. "Même en ciblant les gamins des ZUS les plus en difficulté, les clubs n'arrivent pas à les atteindre. Les plus en difficulté sont ailleurs", regrette Gilles Vieille Marchiset. Cette limite est d'autant plus importante qu'à un certain niveau de difficulté, les procédures en termes éducatifs deviennent complexes et les clubs ne les maîtrisent pas. Natacha Bouchart, maire de Calais, a apporté son témoignage sur cet aspect en précisant que dans sa ville, "on allait chercher les jeunes au pied des immeubles". Un travail de fourmi qui a déjà permis de toucher quelque 200 personnes depuis décembre 2010.
Réseau et expertise
Les quatrième et cinquième points-clés de la réussite de l'innovation sociale des clubs sportifs relèvent tout deux de la notion de réseau. Les clubs qui fonctionnent en matière d'innovation sociale travaillent avec des "acteurs de l'entre-deux" – selon l'expression de Gilles Vieille Marchiset – possédant plusieurs casquettes : ils connaissent bien le territoire, mais aussi le sport, ou le monde scolaire et le sport, les collectivités et le sport, l'entreprise et le sport, etc. "Pour faire vivre l'innovation sociale dans le sport, il faut une expertise, pouvoir mettre en lien différents mondes. Ce genre de profils fait réussir les clubs. Sans eux, les clubs tâtonnent, restent centrés sur eux-mêmes", précise le sociologue.
Conséquence logique et dernier ressort de la réussite : les clubs qui innovent sont ceux qui fonctionnent par réseau, qui créent des partenariats avec les collectivités ou d'autres associations. "On ne peut pas travailler seul. La première chose qu'on a faite lorsque le club a déménagé à Vaulx-en-Velin en 1990 a été de contacter la mairie pour mettre en place un réseau de partenaires. La municipalité a reconnu notre travail et a mis trois personnes à notre disposition", a témoigné Evelyne Beccia, présidente de l'Association universitaire lyonnaise de handball. Gilles Vieille Marchiset a enfin insisté sur l'importance de la dimension relationnelle entre les clubs et leurs partenaires : "Les acteurs sportifs ont besoin de rapports humains, notamment avec les collectivités. Au-delà des subventions, ils ont besoin de rencontrer quelqu'un qui va les conseiller, les orienter, les soutenir. Pour les clubs, le travail social change beaucoup de choses par rapport au produit sportif, aux matchs, à la compétition, qu'ils maîtrisent. Dès qu'ils sont face à des populations vulnérables, à la marge, cela les bouleverse."
Pacte civique du sport
Pour aller plus loin, l'Apels entend maintenant mettre en place un pacte civique du sport à travers un dispositif intitulé "expérimentation ville". Il s'agit d'une charte territoriale qui vise à engager tous les acteurs du territoire pour donner au sport sa véritable dimension éducative et mettre à distance toutes ses dérives. La méthode s'appuiera sur des dispositifs très localisés, au niveau d'un territoire communal ou intercommunal. Pour ses initiateurs, ce pacte doit avoir pour fonction de valoriser le travail de fond en tentant de donner du sens aux politiques sportives. Un tel espace de réflexion répondrait aux attentes des élus. "Sur le sport et la politique de la ville, les élus sont souvent pragmatiques. Mais ce sont des sujets sur lesquels on manque de philosophie", a conclu Stéphane Beaudet, maire de Courcouronnes (Essonne).
Huit collectivités honorées par l'Apels
La restitution de l'expérimentation "Les ressorts des innovations sociales dans les clubs sportifs en zones urbaines sensibles", le 3 février au Sénat, s'est achevée par la remise des quatrièmes Trophées des collectivités. Ces prix, créés par l'Agence pour l'éducation par le sport, récompensent l'implication des collectivités dans les actions sportives et éducatives innovantes. 80 candidatures ont été recueillies au titre de l'année écoulée.
Dans la catégorie des collectivités de 20.000 habitants, les lauréats sont les communes de Firminy (Loire), pour une action sport et santé, et de Vauvert (Gard), pour "foot au féminin".
Dans la catégorie des collectivités de 20.000 à 50.000 habitants, les lauréats sont les communes de Compiègne (Oise), pour ses actions de prévention par le sport, et de Douai (Nord), pour une action d'intégration sociale.
Dans la catégorie des collectivités de 50.000 à 100.000 habitants, les lauréats sont les communes d'Evreux (Eure), pour une action de découverte de la faune et de la flore à travers le kayak, et de Villeurbanne (Rhône), pour une découverte de différents sports à destination des jeunes de quartiers prioritaires.
Dans la catégorie des collectivités de plus de 100.000 habitants, les lauréats sont la commune de Saint-Etienne (Loire), pour des activités adaptées aux seniors, et le conseil général de Dordogne, pour des activités physiques de pleine nature à destination de personnes handicapées.