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Sports - Politique sportive : pour la Cour des comptes, l'Etat est à la limite du hors-jeu

Le premier rapport public thématique de la Cour des comptes consacré au sport fera date. Ce n'est en effet rien de moins que le fondement de l'intervention de l'Etat dans le domaine du sport qui se trouve mis en cause dans ce document de quelque 230 pages. Au coeur du débat : l'inefficacité de l'action en faveur du sport pour tous. Et un grand responsable montré du doigt : le Centre national pour le développement du sport, accusé de saupoudrer ses subventions.

Le titre du rapport de la Cour des comptes sur le sport pour tous et le sport de haut niveau parle de lui-même. Il plaide en effet "pour une réorientation de l'action de l'Etat". Ce rapport rendu le 17 janvier, premier du genre dans le domaine sportif, analyse les performances des politiques menées par l'Etat dans le secteur du sport, auquel il consacre 4,3 milliards d'euros par an (dont 3,5 milliards d'euros au sport scolaire et universitaire sous forme de masse salariale) – quand les collectivités territoriales y consacrent 10,8 milliards d'euros . Une action de l'Etat qui se concentre sur deux objectifs : d'une part, faire accéder les citoyens à une large variété de disciplines sportives - ou sport pour tous -, et d'autre part, figurer parmi les nations les plus performantes dans le sport de haut niveau.
En ce qui concerne le sport pour tous, la Cour des comptes note que, "malgré des moyens financiers importants consacrés au développement de la pratique sportive, l'accès au sport se caractérise par de fortes inégalités". Et la Cour d'emboîter le pas aux constats largement partagés depuis des années, y compris par les ministres des Sports successifs : "Le sport, en tant que marqueur de l'intégration, révèle l'exclusion des personnes handicapées et d'une grande partie des habitants des zones urbaines sensibles (ZUS), de même que la place marginale des jeunes filles et des femmes dans les clubs." Rien de neuf donc, mais quelques chiffres. Le taux de licences féminines (19,2%) ou celui des licences en ZUS (11,5%) en 2011 sont ainsi bien inférieurs à la moyenne nationale (27,2%). Pour la Cour des comptes, ces inégalités d'accès au sport recouvrent également des inégalités territoriales en matière d'équipements. Les territoires les moins bien dotés sont ainsi les agglomérations importantes, en particulier la région parisienne (23,7 équipements pour 10.000 habitants contre une moyenne nationale de 40), les ZUS apparaissant également sous-équipées (20 équipements pour 10.000 habitants en moyenne en 2009).

Un effet de levier trop limité

Les raisons d'un tel échec viendraient, pour la Cour, de ce que l'Etat "ne parvient pas à inciter les fédérations et les clubs à développer une offre d'équipements et des conditions d'accueil et d'encadrement adaptées à une demande qui a évolué". Son intervention directe (par les crédits du programme Sport) ou par l'intermédiaire de son opérateur, le Centre national pour le développement du sport (CNDS), se traduit "par un saupoudrage qui risque de perpétuer les inégalités au lieu de les corriger".
Les conventions d'objectifs entre le ministère et les fédérations n'accompagnent pas suffisamment le développement du sport pour tous, note la Cour - les crédits étant insuffisamment orientés vers les publics les plus éloignés de la pratique -, et jouent principalement le rôle de subventions générales de fonctionnement. Quant à la part territoriale du CNDS, qui subventionne les clubs locaux et qui est normalement allouée sur le fondement d'un projet qui doit conduire au développement de la pratique sportive, elle constitue également dans de nombreux cas une subvention de fonctionnement dont, de surcroît, le montant médian relativement faible (1.200 euros) limite les effets de levier.
Quant aux subventions d'équipement du CNDS aux collectivités territoriales et à leurs groupements, leurs "faibles montants" sont pour la Cour "répartis de manière inéquitable". "Des progrès restent à accomplir pour les outils d'aide à la décision et d'analyse des demandes de subvention d'équipement adressées au CNDS", écrit encore la Cour. Et ceci alors qu'un recensement des équipements sportifs existe et que ses données servent en principe à alimenter un schéma de cohérence territoriale et des diagnostics territoriaux approfondis théoriquement mis en place ces deux dernières années. Le problème est donc connu par ceux-là mêmes qui sont censés le résoudre... Et puis, là encore, l'effet de levier est en cause : "Les subventions d'équipement sont attribuées à partir de critères nombreux qui nuisent à la lisibilité de l'action du CNDS. Elles ne sont, en l'état, qu'un complément le plus souvent limité, voire marginal, au tour de table mis en place pour la construction d'équipements, et non un instrument permettant d'orienter celle-ci vers les territoires qui en auraient le plus besoin."

Le fondement de l'intervention de l'Etat mis en cause

Au chapitre des équipements sportifs, l'apport du CNDS ne représente ainsi que 2% des financements des collectivités territoriales qui ont investi, en 2008, de l'ordre de 4,5 milliards d'euros. En définitive, l'intervention du CNDS "dans un champ très largement investi par les collectivités territoriales ne pourrait avoir de sens que dans le cadre d'une démarche d'aménagement du territoire". Or, selon la Cour, cette intervention souffre aujourd'hui de deux écueils : d'une part, certains crédits du centre sont mobilisés pour financer des actions sans lien avec le développement du sport (aides au mouvement olympique, au sport professionnel, fonds de concours versé à l'Etat et réaffecté à hauteur de 138,8 millions d'euros au programme Sport entre 2009 et 2016) ; d'autre part, les subventions de fonctionnement et d'équipement, que l'établissement répartit en faveur du sport pour tous, ne représentent qu'un impact limité par rapport aux subventions des collectivités territoriales.
"Dans ces conditions, conclut la Cour des comptes, le fondement même d'une intervention de l'Etat dans le champ du sport pour tous se trouve mis en question : sa légitimité ne peut être réaffirmée que si son action est résolument réorientée vers les publics les plus éloignés de la pratique sportive et les territoires les moins bien équipés." Et la Cour d'appeler de ses vœux une réforme profonde du CNDS, "indispensable afin d'en faire un véritable instrument de correction des inégalités territoriales dans l'accès aux pratiques sportives".

Le sport à l'école : une coquille vide ?

La Cour des comptes pointe un autre point noir des politiques sportives : le rôle de l'école. "L'essentiel des moyens que l'Etat consacre au sport pour tous correspond à l'enseignement d'éducation physique et sportive (EPS), écrit-elle. Or cet enseignement est déconnecté du mouvement sportif, en partie du fait du rattachement des enseignants de la discipline au ministère de l'Education nationale." Et la Cour d'ajouter que ce dernier enseignement est en outre "dépourvu d'objectifs clairs et évaluables, à l'exception de l'apprentissage de la natation [...]". Autrement dit, il faut donner un contenu digne de ce nom au sport à l'école, car il est pour beaucoup le seul cadre de pratique sportive. Et l'une des pistes est que l'enseignement de l'EPS se rapproche du mouvement sportif. "Une telle évolution requiert notamment de mieux coordonner les ministères des Sports d'une part, de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur d'autre part, qui s'ignorent largement aujourd'hui", écrit la Cour. Ce rapprochement pourrait en outre permettre de créer une réelle culture du sport en France, qui, aux dires de la Cour, n'existe pas actuellement.
Dans l'exercice habituel des préconisations, la Cour des comptes recommande notamment : d'adapter le rôle de régulation de l'Etat, en définissant des priorités resserrées pour ses interventions ; de développer des outils de mesure et d'analyse des dépenses sportives et des effets de la pratique du sport sur la santé, l'employabilité et la cohésion sociale ; de développer une politique efficace de réduction des inégalités dans l'accès au sport, en mettant fin au subventionnement par le CNDS sans lien avec le sport pour tous ; de réformer les instruments d'intervention du CNDS, en procédant à des appels à projets visant à accroître la pratique sportive chez les publics qui en sont le plus éloignés et en ne finançant que des projets qui répondent à des situations de sous-équipement. En d'autres termes, pour l'essentiel, la Cour des comptes voudrait que soient mises en pratique des intentions largement exprimées par tous les acteurs institutionnels du sport mais dont la réalisation a été détournée ces dernières années... Pour preuve, la lettre d'orientation du CNDS pour 2013 vise déjà à "favoriser la pratique du sport par le plus grand nombre, corriger les inégalités d'accès aux pratiques sportives et accompagner les associations sportives sur tous les territoires". 

 

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