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Fracture numérique - Pessac marie solidarité et logiciel libre

La commune de Pessac s’est engagée, depuis plusieurs années, dans une démarche visant à utiliser et promouvoir les logiciels libres (LL) sur son territoire dans le but de réduire la fracture numérique. Jean-Louis Haurie, premier adjoint chargé des ressources humaines et du plan numérique, fait le point sur ses initiatives alors que la ville moyenne (60.000 habitants) de la banlieue de Bordeaux accueille les Rencontres mondiales du logiciel libre (RMLL), du 6 au 11 juillet.

Localtis : Pourquoi distribuez-vous gratuitement des clés USB de LL à vos administrés ?

Jean-Louis Haurie : La commune a fait le choix du libre, pour elle-même, depuis plusieurs années. Le point de départ, c'est donc d'abord de nous appliquer à nous-mêmes cette volonté d'utiliser les ressources du libre et de diffuser sa culture et ses valeurs auprès de nos propres agents et élus pour la gestion des agendas, des messageries, la navigation sur internet, la bureautique, etc. A l'automne dernier, nous avons donc mené une première opération de distribution de clés USB contenant des logiciels utilitaires pour les personnels de la mairie et ceux du centre communal d'action social. Et puis, avec l'élément déclenchant des Rencontres mondiales du logiciel libre, et dans le contexte plus général de réduction de la fracture numérique, nous nous sommes dit que nous pouvions présenter à notre population le gros avantage des logiciels libres qu'est la gratuité. Nous nous sommes alors fixé deux cibles : les élèves avec leurs enseignants et les associations. Nous venons ainsi de distribuer, juste avant les départs en vacances, 1.000 clés USB aux écoliers en CM1 et CM2 ainsi qu'aux instituteurs. Nous l'avons fait en lien avec l'Education nationale, l'Inspecteur du primaire et quelques professeurs des écoles pour déterminer les contenus les mieux adaptés : logiciels d'apprentissage (du solfège, par exemple), jeux (puzzle, Sudoku), dessin, applicatif scientifique, Littré… Nous donnerons aussi, durant l'été, la même clé aux enfants qui fréquenteront nos centres de loisirs. Et puis nous recommencerons l'an prochain avec tous les enfants qui entrent en CM1. Nous avons aussi réuni, la semaine dernière, la quasi totalité des associations pour leur distribuer 600 autres clés qui proposent des outils de traitement de texte, de publipostage, de tableurs, de PAO, de réalisation de diaporama, bref tout ce qui peut être utile dans la vie d'une association. A la médiathèque, il y aura aussi des séances de formation pour les président et trésoriers. En une année, nous aurons ainsi distribué plus de 2.600 clés USB de contenus, logiciels et applicatifs libres. Cela nous coûte 6,60 euros par clé mais c'est une opération très appréciée, notamment par les enseignants, comme j'ai pu m'en rendre compte à l'occasion d'un conseil d'école auquel j'ai assisté la semaine dernière.
Promouvoir les logiciels libres, c'est donc un axe de votre projet politique pour Pessac ?
Politiquement, ce n'est pas à vous que je vais apprendre la philosophie du libre. Il y a d'abord un intérêt économique à diffuser le plus largement possible des outils qui ne coûtent rien à être utilisés. Et puis, et c'est plus complexe, nous voulons résolument appartenir à cette communauté du libre, coopérative, solidaire… qui permet de distribuer gratuitement des logiciels, sans tricher, avec la volonté du partage et non de la propriété. Ce qui nous a d'ailleurs conduit à être adhérent et à participer aux travaux de l'Adullact. En même temps que nous accueillons les RMLL, nous recevons aussi l'Université d'été de la solidarité internationale. Ces deux dimensions, économique et solidaire, sont les bases du programme que nous sommes en train de construire à Pessac.

La solidarité n'est-elle pas aussi une des priorités de votre plan numérique ?

Nous voulons résorber les zones grises ADSL en essayant de voir si nous pouvons développer un projet en direction de l'habitat social avec Numericable mais aussi en mobilisant l'ensemble des opérateurs présents. Ensuite, dans le cadre de notre projet solidarité pessacais nous voulons développer la culture numérique en déployant des points d'accès publics à internet dans les 3 centres sociaux, les 17 maisons de quartier dont nous renforçons l'équipement pour être au plus près des habitants. Nous dotons évidemment les écoles progressivement en ordinateurs et en tableaux blancs interactifs (un pour le moment), en jouant avec les instituteurs sur l'exemplarité pour donner aux autres envie de suivre. La médiathèque, gratuite depuis cette année, propose aussi des ateliers de formation aux logiciels tous les samedis matin. Et puis, nous travaillons depuis 15 mois sur notre portail citoyen qui devrait ouvrir en 2011 avec des services pour les familles : petite enfance, inscription en crèche, télépaiement de la cantine, etc. La ville a retenu le prestataire Zenexity pour la mise en oeuvre et l'hébergement de la plateforme de téléservice CapDémat, disponible en "Général Public License". Cette plateforme a été développée par et pour le conseil général du Val-d'Oise. Parallèlement, la ville a lancé plusieurs consultations pour changer les applicatifs métiers (social, famille). Dans chaque cahier des charges, il est demandé aux éditeurs de s'intégrer et de s'interfacer avec cette plateforme libre.

Est-ce simple de faire évoluer l'informatique d'une collectivité de taille moyenne ?

Nous avons engagé une démarche méthodique en plusieurs étapes. D'abord, nous avons fait réaliser un diagnostic et un audit par deux cabinets externes, fin 2008 et début 2009. A partir de cet état des lieux, notre schéma vise à rapprocher la téléphonie et l'informatique. Nos choix faits en terme de logiciels libres étaient les bons, mais nous devions nous renforcer dans le domaine de l'administration électronique. Ensuite, qui dit schéma directeur informatique dit structuration des projets. Nous en avons lancé une trentaine autour des équipements, de la sécurité, de l'organisation dans une logique de services. Il nous fallait aussi nous doter des différentes briques pour mettre en œuvre notre futur portail citoyen : coffre fort famille, petite enfance, … Nous avons aussi fait évoluer notre intranet, mis en place la dématérialisation des délibérations et le parapheur électronique. Nous avons amélioré l'organisation interne en regroupant autour d'un même responsable informatique l'ensemble des fonctions de développement et de maintenance autrefois réparties dans les différents services. Ce qui nous a conduit à renforcer les moyens humains de ce service en terme de développement, de conduite de projet et de soutien technique. Désormais rattaché au pôle ressources du DGA, le service informatique compte 10 agents. Il se divise en un pôle projet et un pôle architecture, sécurité, exploitation.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans la mise en œuvre de votre démarche ?

Ce plan structuré de 2009 à 2011 représente un investissement annuel de 500.000 euros, soit 1,5 million d'euros sur les trois ans. Ce qui m'amène à cette réflexion que dans une petite-moyenne commune comme Pessac, ces services pourraient être largement mutualisés avec d'autres communes. Sur le plan organisationnel, nous sommes allés voir comment fonctionnaient les services de villes comme Saint-Etienne ou Clichy. Concernant notre portail, nous avons rencontré des responsables à Poitiers et Saint-Germain-en Laye qui ont déjà adopté CapDémat. Nous avons la volonté de compenser les lacunes d'un fonctionnement en silo, par logiciel métier, de l'informatique des collectivités. C'est un vrai problème du fonctionnement des communes, face aux grands systèmes d'information désormais transversaux de l'Etat. L'informatique est à la fois fragmentée à l'intérieur des communes et différente dans chaque collectivité. Le positionnement n'est évident ni pour le public ni pour les autres services avec lesquels les communes sont appelées à travailler.

 

Propos recueillis par Luc Derriano / EVS

 

Collectivités et administrations aux RMLL

Dans le cadre des RMLL, le thème "collectivités, administrations et politiques publiques" est dédié aux actions des collectivités locales et des administrations, et aux développements informatiques financés sur fonds publics. De grandes administrations françaises ont, par exemple, décidé d’utiliser la suite bureautique libre OpenOffice.org : le ministère de l’Agriculture et de la Pêche, l’Équipement, l’Intérieur, la Direction générale des douanes, la Direction générale des impôts. La Gendarmerie nationale française (utilisatrice d’OpenOffice.org depuis 2005) a choisi de migrer 70.000 postes clients sous l’environnement GNU/Linux d’ici à 2013. De même, l’Assemblée nationale a fait en mars 2007 le choix de Linux pour l’équipement informatique de ses députés, pour un coût de déploiement estimé à seulement 80 euros par poste. Des villes, départements ou régions font de plus en plus appels aux LL pour leurs projets informatiques. La région Ile-de-France a retenu un LL pour son espace numérique de travail Lilie et a distribué 220.000 clés USB. L'Association des maires ruraux de France utilise Spip pour son service de site web mutualisé Campagnol. Le département des Landes distribue une plaquette sur les meilleurs LL. La communauté d'agglomération du Soissonnais a développé un pôle de compétence sur les LL. A l’occasion des RMLL, la ville de Pessac viendra présenter le bilan de ses actions menées en faveur des logiciels libres le 8 juillet.
L.D.

 

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