Intercommunalité - Mutualisation des services : toujours l'incertitude...
Le président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), Marc Censi, a écrit au début du mois au président de la République afin d'"attirer son attention" sur "les incertitudes" que continue de faire peser la position de la Commission européenne sur le dossier de la mutualisation des services entre les communes et leurs groupements.
L'épisode a maintenant plus d'un an : dans un avis motivé, daté du 27 juin 2007, Bruxelles considérait que les conventions par lesquelles les communes mettent à disposition leur personnel au profit de l'intercommunalité relèvent de la commande publique et nécessitent par conséquent la mise en oeuvre d'une procédure de mise en concurrence. Le désaccord entre la France et la Commission aurait dû conduire cette dernière à saisir la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Mais à la surprise générale, elle ne l'a pas fait. Depuis les rebondissements de l'année dernière, la Commission est même restée complètement silencieuse. Pour les observateurs, Bruxelles a soigneusement évité de froisser la France à quelques mois de la présidence de l'Union européenne.
Mais ce silence n'est pas de nature à rassurer les élus français. Ils "redoutent", explique Marc Censi, que le collège des infractions de la Commission choisisse finalement de saisir le juge européen "pour obtenir une condamnation de la France". Selon le président de l'ADCF, la menace se précisera "dans quelques mois", autrement dit à la fin de l'année, au moment où prendra fin la présidence française de l'Union européenne.
Valse-hésitation du côté des collectivités
Depuis trois ans, le gouvernement, ainsi que le Parlement et la Cour des comptes dans divers rapports, ont vivement encouragé les communes et leurs groupements à mutualiser leurs services afin de supprimer des redondances encore trop nombreuses. Les élus ont entendu cet appel et ont fait de la mutualisation "une priorité", insiste l'ADCF. Cependant, dans un contexte devenu très incertain, ils hésitent aujourd'hui à lancer leurs projets. L'avis motivé de la Commission, qui s'attaquait uniquement aux conventions par lesquelles les communes mettent leur personnel à la disposition des communautés, "a jeté le doute sur l'ensemble du dossier", estime l'ADCF. L'épée de Damoclès plane donc aussi sur les conventions prévoyant que les intercommunalités mettent leur personnel à la disposition des communes. Or, ces conventions sont considérées par l'Assemblée des communautés de France comme étant un vrai "gage d'économies d'échelle", à la différence des autres, que l'association juge un peu moins stratégiques et qualifiait il y a un an de "solution transitoire avant un transfert du service à la communauté" (voir notre article : "Mutualisation de services : quelle sera la réponse de la France ?").
Pour mettre fin à l'insécurité juridique, Marc Censi invite Nicolas Sarkozy à prendre "une initiative résolument politique" et lui suggère une solution. Elle consisterait à pousser les institutions européennes à établir dans une directive ou un règlement "une définition précise des critères 'in house' afin de les rendre stables". Par ces termes, le président de l'ADCF désigne les contrats passés entre deux personnes morales distinctes mais dont l'une peut être regardée comme le prolongement juridique de l'autre. Concrètement, les contrats "in house" permettent aux collectivités locales d'acquérir et de faire exécuter des prestations auprès de leurs propres services. Cette solution autorise d'une part la gestion directe d'un service public et, d'autre part, permet de ne pas avoir à se soumettre aux obligations de mise en concurrence. En l'absence d'une réglementation communautaire, les critères des contrats "in house" ont été en réalité progressivement bâtis par la jurisprudence de la CJCE. De ce fait, ils donnent lieu à "des interprétations encore instables à ce jour", regrette l'association représentative du monde intercommunal, qui préférerait "une définition noir sur blanc".
D'une pierre deux coups
La Commission européenne n'y serait pas forcément opposée. "Les informations que nous avons montrent que les fonctionnaires bruxellois veulent aussi un cadre plus clair", indique Emmanuel Duru, au service des affaires juridiques de l'ADCF. "Tout irait bien si néanmoins les fonctionnaires de Bruxelles ne souhaitaient sans doute une définition du 'in house' plus restrictive que celle que nous envisageons", poursuit-il. Pour l'ADCF, un accord pourrait néanmoins être trouvé sur la base d'un règlement qui a récemment apporté une définition des prestations "in house" dans le secteur des transports publics de voyageurs*. Cette définition qui donne satisfaction aux élus français serait ainsi étendue aux autres secteurs publics. Cette revendication n'est pas propre à l'ADCF. Elle est portée par les principales associations d'élus françaises et allemandes (voir notre article : "Une définition communautaire des contrats 'in house'") qui, cependant, ne l'envisagent pas dans la perspective de résoudre le différend portant sur la mutualisation. Pour les élus français et allemands, la mutualisation doit avant tout relever de l'organisation interne des collectivités. Cet argument était déjà celui qu'avançait le gouvernement français lorsqu'en septembre dernier, il défendait face à Bruxelles le dispositif de mise à disposition de services de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
La position de l'ADCF est donc nouvelle. Et si la principale association représentative des communautés s'intéresse au "in house" pour résoudre la crise que traversent ses membres, c'est en fait que l'intercommunalité, avec ses conventions de mise à disposition de personnels, pourrait facilement entrer dans le champ des prestations intégrées (lire notre article : "Une réponse du côté du contrat in house ?" ). Lever les incertitudes pesant sur les contrats "in house" permettrait par la même occasion, pensent les élus intercommunaux, de lever les ambiguïtés du dossier de la mutualisation des services communaux et intercommunaux. Mais rien n'assure que le chef de l'Etat et le gouvernement feront leur cette stratégie.
Thomas Beurey / Projets publics
* Il s'agit du règlement du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux obligations de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (dit règlement OSP).
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