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Intercommunalité - Mutualisation des services : les élus conduits à se justifier !

Hier fortement encouragée par la Cour des comptes, la mutualisation des services est aujourd'hui visée par une procédure de mise en demeure de la Commission européenne. L'AMF et l'ADCF montent au créneau.


La Direction générale des collectivités locales (DGCL) vient de répondre à une mise en demeure de la Commission européenne concernant les conventions de mise à disposition que concluent les établissements publics de coopération intercommunale avec leurs communes membres lorsque des services communs sont mis en place. L'administration européenne s'est en effet interrogée sur la validité de ces dispositifs au regard du droit communautaire de la commande publique. Or, bien qu'elle n'ait pas encore précisé sa définition de la mutualisation - elle compte y parvenir à l'automne -, Bruxelles estime que les conventions de mise à disposition de services pourraient tomber dans le champ de la commande publique.
Informées de la procédure lancée par les instances européennes, l'Association des maires de France et l'Assemblée des communautés de France ont choisi d'apporter une réponse commune. Lors d'un colloque organisé au Sénat ce 27 mars sur la mutualisation des services entre communautés et communes, les présidents des deux associations ont présenté une motion commune, la première du genre pour les deux associations. Elles y rappellent la spécificité du mouvement intercommunal français dans le paysage local en Europe et deux points de droit fondamentaux au sujet des conventions. D'une part, les collectivités locales "n'interviennent pas en tant qu'opérateurs économiques" et d'autre part, les conventions en question relèvent de l'"organisation interne" des collectivités locales et non du droit communautaire de la commande publique. Ce sont précisément les principes dégagés par voie de circulaire par la DGCL. Ces textes constituent à l'heure actuelle la seule référence juridique permettant de qualifier les conventions de mise à disposition de services. Car, même si le dispositif est aujourd'hui bien décrit sur le plan légal, "la loi ne dit rien sur la valeur juridique des conventions", rappelle Pierre Stéphane Rey, avocat au cabinet Philippe Petit.
Pour Philippe Petit, directeur de ce cabinet, les conventions de mise à disposition devraient être à l'abri de toute critique dès lors qu'elles sont conclues à caractère gratuit. L'article 1 du Code des marchés publics affirme en effet que ne doivent être soumis à concurrence que les prestations effectuées à titre onéreux. En outre, la DGCL indique que les conventions prévoyant la facturation de prestations au prix coûtant ne tombent pas non plus dans le champ de la concurrence. En revanche, "dès que vous gagnez de l'argent, c'est plus contestable : l'activité peut relever de la concurrence", observe Philippe Petit.
Le juge administratif n'a pas encore eu à se prononcer sur la valeur juridique d'une convention de mise à disposition. Les élus craignent cependant que l'épée de Damoclès s'abatte sur eux. "Un jour, un juge français saisi au pénal va mettre un maire ou un président de communauté au pénal en requalifiant une convention de service en prestation de services", déclare Charles-Eric Lemaignen, président de la communauté d'agglomération d'Orléans.
Les intercommunalités ont l'impression de se trouver face à un paradoxe. D'un côté, le président de la Cour des comptes a souhaité vivement que les intercommunalités et leurs communes fassent de la mutualisation un "objectif en soi". Le rapport que l'institution a remis en novembre 2005 regrettait que les économies d'échelle aient été insuffisantes depuis la loi Chevènement de 1999. Les élus ont entendu le discours du juge financier, repris très rapidement par le gouvernement, et sont prêts à s'engager plus avant dans la mise en place de services partagés entre les communautés et leurs communes. Mais aujourd'hui, les incertitudes grandissent et font naître des attentes en matière de clarification juridique.


Thomas Beurey / Projets publics