Environnement / Transports - Lutte contre la pollution de l'air : une usine à gaz ?

Dans un rapport publié le 21 janvier, la Cour des comptes pointe des politiques publiques "trop incohérentes" pour lutter efficacement contre la pollution de l'air, avec un "empilement de dispositifs hétérogènes" et des interventions nationales qui perturbent les politiques locales. Elle recommande notamment de mieux définir le cadre de l'action locale, d'étendre le principe "pollueur-payeur" à tous les secteurs économiques et, pour les transports, de "rééquilibrer la fiscalité" du gazole et de l'essence.

Il n'existe pas en France de politique clairement structurée en matière de lutte contre la pollution de l'air, constate la Cour des Comptes dans un rapport publié le 21 janvier. Réalisé à la demande du comité d'évaluation des politiques publiques de l'Assemblée nationale, le rapport rappelle d'emblée que "l'impact sanitaire et économique de la pollution atmosphérique justifie l'instauration d'une politique publique ambitieuse". En effet, selon les experts, cette pollution "causerait entre 17.000 et 42.000 décès prématurés par an en France", "représenterait un coût économique au minimum compris entre 20 et 30 milliards d'euros" et aurait un impact "tangible" sur les finances publiques d' "au moins 1 milliard d'euros" pris en charge par la Cnam pour les pathologies qui lui sont liées. "La plupart des actions et outils mis en œuvre en France pour lutter contre la pollution de l'air depuis une trentaine d'années découlent essentiellement de l'impulsion de l'Union européenne", notent les magistrats de la rue Cambon qui estiment que l'inscription de cette politique dans un cadre international est d'ailleurs "indispensable". Toutefois, ajoutent-ils, "la France met parfois en œuvre les directives européennes avec retard et dans des conditions qui la soumettent à un risque important de contentieux".

Un dispositif de surveillance de la qualité de l'air efficace

La Cour reconnaît que "plusieurs mesures mises en place ont, néanmoins, eu des effets notables". Ainsi, "le dispositif de surveillance de la qualité de l'air est efficace, même si des efforts restent à faire pour prendre en compte des polluants dont la nocivité a été identifiée plus récemment, comme les pesticides ou les particules ultrafines". Autre exemple : les rejets de polluants industriels ont "diminué notablement, sans que cette baisse puisse être exclusivement imputée au phénomène de désindustrialisation". Elle note aussi des "avancées (…) sensibles dans le secteur des transports, malgré les suspensions de mesures qui auraient eu des effets importants sur la pollution (comme l'écotaxe et l'identification des véhicules les plus polluants, indispensable à la création de zones de restriction de circulation)". En revanche, elle constate que les secteurs résidentiel-tertiaire et agricole restent "peu concernés par les mesures de réduction des émissions, alors qu'ils représentent une part croissante dans les rejets de certaines substances polluantes".

Incohérences avec la lutte contre le réchauffement climatique

"Malgré une diminution régulière et parfois prononcée des émissions depuis 1990, certaines zones du territoire métropolitain restent dans une situation non conforme en matière de concentrations de polluants, en particulier pour l'ozone, les particules fines et le dioxyde d'azote", souligne la Cour, qui rappelle que c'est en raison du dépassement des normes autorisées pour ces deux dernières substances qu'un "contentieux potentiellement coûteux" a été ouvert par la Commission européenne à l'encontre de la France. "Face à ces difficultés, poursuit le rapport, la politique de lutte contre la pollution de l'air n'est pas encore stabilisée", et résulte aujourd'hui d'"un empilement de dispositifs hétérogènes" qui n'ont pas tous pour "objectif explicite et premier" l'amélioration de la qualité de l'air. En outre, cette politique entre parfois en contradiction avec certaines autres politiques publiques, notamment la lutte contre le réchauffement climatique. "L'accent mis sur la réduction des émissions de CO2 a ainsi conduit à favoriser certaines technologies qui émettent des polluants atmosphériques nocifs à court terme comme le dioxyde d'azote ou les particules fines : c'est le cas en particulier des mesures prises pendant des années en faveur du diesel ou du chauffage au bois", relève la Cour.

Difficultés de l'action locale en cas de pics de pollution

Elle critique aussi l'absence de mise en œuvre du principe pollueur-payeur, à l'exception des mesures appliquées au secteur industriel et à la production d'énergie. Mais, insiste-t-elle, les outils utilisés sont surtout réglementaires et comportent peu d'incitations financières spécifiques en dehors de celles visant à limiter les émissions liées au chauffage des particuliers. Elle regrette en outre que le principe de subsidiarité ne soit pas complètement appliqué, "ce qui porte préjudice à l'efficacité des différentes actions menées". "Alors que la pollution de l'air est un problème de dimension essentiellement locale, qui nécessite des réponses concertées entre tous les responsables de terrain, la répartition des compétences provoque des tensions. Encore trop d'interventions au niveau national perturbent les mesures prises au plan local, par les préfets ou les collectivités. Ces interventions ont ainsi pu retarder ou limiter la mise en œuvre d'outils efficaces. Elles s'observent notamment en cas de pics de pollution."
"Pour être efficace, la lutte contre la pollution de l'air passe par une implication beaucoup plus forte de tous les agents économiques, y compris les particuliers", soutient la Cour. "En effet, ce sont aussi des changements de comportement individuel, notamment en matière de transport et de consommation d'énergie, qu'il faut promouvoir." Elle regrette par ailleurs que les plans nationaux se soient succédé depuis cinq ans "sans évaluation des mesures mises en place". De plus, selon elle, "les dépenses consacrées par les administrations publiques à cette question ne sont pas suivies".

Taxation du gazole et de l'essence en fonction de leurs "externalités négatives"

A l'issue de ce constat sévère, la Cour formule douze recommandations. Parmi celles-ci, elle préconise de mesurer l'impact des actions mises en œuvre pour lutter contre la pollution de l'air dans le cadre des plans nationaux, des plans locaux, ainsi que lors des pics de pollution. Il faudrait aussi "mettre en cohérence les calendriers des plans nationaux, des schémas régionaux et des plans locaux de lutte contre la pollution de l'air, afin que le cadre de l'action locale soit mieux défini" et chiffrer dans les plans nationaux et locaux les financements associés aux mesures prévues. La Cour recommande aussi de "mettre en œuvre un financement du réseau de surveillance de la qualité de l'air conforme au principe 'pollueur-payeur' pour tous les secteurs économiques". Elle voudrait aussi rendre obligatoire la surveillance par les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA) de la présence dans l'air des pesticides les plus nocifs. Le rapport propose aussi de taxer le gazole et l'essence "en fonction de leurs externalités négatives respectives (polluants atmosphériques et gaz à effet de serre), afin de rééquilibrer la fiscalité pesant sur ces deux carburants" et, compte tenu de la disparition de l'écotaxe, de revoir les taux de la taxe spéciale sur certains véhicules routiers "afin de mieux prendre en compte l'impact des émissions des poids lourds sur la pollution de l'air". Elle recommande encore d'identifier par une pastille les véhicules selon leurs émissions de polluants, afin de pouvoir mettre en place rapidement des mesures de restriction de circulation et de "suivre l'ensemble des crédits affectés non seulement à la surveillance mais aussi aux mesures d'amélioration et de recherche en matière de qualité de l'air".
 

 

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