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Environnement - Pollution de l'air : un coût astronomique

Aussi complexe et froide soit-elle, l'approche visant à étudier le coût économique de la pollution de l'air a deux vertus : arrêter de se voiler la face et pousser à agir. "D'autant que les élus locaux y sont plus que prêts", motivent les sénateurs à l'initiative d'un touffu mais passionnant rapport de commission d'enquête, fruit d'un travail de cinq mois d'auditions et de déplacements. Gros plan sur les préconisations intéressant le plus directement les collectivités.

Un coût d'au moins 100 milliards d'euros par an ! "Et encore, certainement sous-évalué" : c'est à ce chiffre qu'aboutit la commission d'enquête sénatoriale en publiant le 15 juillet un rapport, voté à l'unanimité par ses 17 membres, sur le coût de l'inaction face à la pollution de l'air, extérieur et intérieur mêlés. "Un exercice difficile à mener", car l'évaluation bute évidemment sur une série d'obstacles. Mais elle intègre – première avancée – les impacts non sanitaires et autres "coûts cachés", même si ceux-ci restent "difficilement mesurables". Et Leïla Aïchi, sénatrice EELV de Paris et rapporteure de cette commission, d'illustrer cette difficulté par le manque criant d'études liées notamment aux impacts économiques de cette pollution sur les rendements agricoles - "hormis pour la seule pollution à l'ozone sur le blé !" - ou sur la dégradation des bâtiments publics et la perte nette de biodiversité. Même constat pour les interactions avec la pollution de l'eau, "connues mais peu étudiées". Les études, de toute façon, ne prennent généralement en compte qu'un ou deux polluants, l'ozone et certaines particules fines. "D'autres passent à la trappe et les effets cocktails restent mal cernés et évalués", ajoute-elle.

Des mesures fermes en vue ?

Pour le volet sanitaire, on comprend, à lire les comptes rendus des auditions menées, la nécessité qu'il y a, selon cette même sénatrice, "de ne plus se renvoyer la balle entre secteurs". Un sport national que cette commission propose de régler en commençant par mieux mutualiser les bases de données en santé publique des multiples régimes de sécurité sociale. Pour que scientifiques et médecins travaillent mieux ensemble sur l'enjeu de santé environnementale, elle propose  la création d'une structure de recherche interdisciplinaire, travaillant en prise avec l'Institut de veille sanitaire (InVS), qui dispose, selon une directrice de recherche auditionnée, de "données sur une quinzaine de villes qu'il n'a pas encore publiées". Cette structure devra aussi travailler avec l'Anses, à qui plus de moyens doivent être donnés pour effectuer entre autres la surveillance "des produits présentés comme dépolluants de l'air", et donc avec les ministères (Affaires sociales-Santé et Travail) dont cette agence dépend. Au ministère de l'Ecologie, la réaction à ce rapport fort d'une soixantaine de propositions ne s'est par ailleurs pas fait attendre : Ségolène Royal a promis dans sa foulée, dès "la semaine prochaine", des "mesures extrêmement fermes".

Adapter la loi Laure

Car urgence, il y a, à en croire ce rapport n'hésitant pas à pointer "l'échec des mesures prises depuis vingt ans" et la responsabilité non entièrement assumée par l'Etat dans l'organisation des mesures de lutte contre la pollution de l'air, souvent transférées aux collectivités. Ainsi, la première partie du rapport vaut le détour pour se cultiver et saisir comment, en un siècle, la surveillance de la qualité de l'air et la lutte contre la pollution atmosphérique sont devenus des enjeux majeurs, d'abord pris en main par les élus municipaux puis par une législation spécifique, la loi Laure (loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie) dite aussi loi Lepage. "En 2016 elle aura vingt ans, c'est un bel âge. La première de nos préconisations que le gouvernement pourrait mettre en œuvre serait de l'évaluer, d'en adapter le contenu", glisse Jean-François Husson, sénateur LR de Meurthe-et-Moselle et président de la commission. Il ajoute que pour garantir l'indépendance et la qualité des mesures réalisées par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa), et pour renforcer aussi leur visibilité, il faut consolider leur financement, actuellement peu pérenne. L'équilibre entre apports des collectivités, de l'Etat et des industriels n'y est plus forcément respecté. Alors que ces derniers les financent via leur taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), d'autres secteurs très émetteurs comme les transports, le chauffage résidentiel et tertiaire et l'agriculture ne participent pas du tout. Et les collectivités leur demandent de plus en plus de missions en lien avec leurs plans régionaux et locaux air-énergie, santé-environnement, climat ou déplacements…

Soigner l'anomalie française

Pour réduire la diésélisation du parc français et des flottes automobiles – "une anomalie française s'expliquant en grande partie par la fiscalité préférentielle dont bénéficie le gazole" – le rapport prône un alignement progressif d'ici 2020 de l'écart entre essence et gazole. Pour mieux gérer les mesures d'urgence prises lors de pics de pollution, il revient sur l'articulation des rôles entre l'Etat et les collectivités, sur la nécessité d'anticiper et de faire appliquer la loi pour permettre le télétravail, ce qu'un décret manquant ne facilite pas (voir à ce sujet notre article du 15 décembre 2014). Des failles réglementaires persistent aussi : en cas de pic de pollution, ce qui est prévu pour restreindre l'usage des avions les plus polluants ne convient guère à la commission, laquelle suggère d'étudier la possibilité de les dérouter sur les aéroports secondaires. "Ce qui ressort d'étonnant des auditions menées, c'est l'importance de la réglementation comme levier d'action, devant la pédagogie, pourtant importante", relève Jean-François Husson.

Ne plus se défausser

Pédagogie que cette commission défend, dès lors qu'elle n'est pas "un moyen de se défausser sur les individus de la responsabilité de l'Etat et des entreprises". Des ratés sont pointés du doigt, à l'instar du retrait par la ministre de l'Ecologie de l'interdiction des foyers ouverts, bel exemple d'"absence de pédagogie conduisant à faire échouer une mesure environnementale". La commission propose au contraire de mener des campagnes courageuses informant la population des impacts liés aux activités récréatives (feux de cheminée, jardinage) et de promouvoir en ce sens l'expérience menée dans la vallée de l'Arve, où "cela n'a pas été facile à faire passer, sur un territoire où les habitants avaient pris l'habitude de se chauffer au bois, mais se plaignaient en parallèle de la qualité de l'air, sans faire le lien entre les deux". Et, enfin, de réintroduire un décret suivi de près par les élus, celui du 2 décembre 2011 relatif à la surveillance de la qualité de l'air intérieur dans certains établissements recevant du public (9.000 crèches et 17.000 écoles étaient à l'époque concernées), pris en application de la loi Grenelle 2, et dont l'obligation a été "repoussée" il y a un an par la ministre de l'Ecologie (voir notre article du 25 septembre 2014).

 

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