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Action sociale - L'Igas ne croit pas aux blocs de compétences

Le rapport annuel de l'Inspection générale des affaires sociales est entièrement consacré aux "Politiques sociales décentralisées". Si l'élaboration de ce document, qui dénonce le "modèle illusoire des blocs de compétences", a été lancée il y a plus d'un an, sa publication n'en constitue pas moins un pavé dans la mare, à l'heure des travaux du comité Balladur sur la réorganisation des collectivités.

"Envisager [...] un découpage des compétences selon des thématiques d'intervention (personnes handicapées au département, formation à la région, par exemple) serait en lui-même peu pertinent, puisque les différentes politiques ainsi identifiées s'adressent à des publics qui peuvent être concernés par plusieurs d'entre elles." Le rapport thématique 2007-2008 de l'Igas, consacré aux "Politiques sociales décentralisées", est sans ambiguïté sur ce point : "l'idée de compétences homogènes et aux frontières stables et étanches semble difficile à concevoir pour les politiques sociales."
Cette position va à l'encontre d'une idée communément admise et qui a largement présidé aux réformes introduites par l'acte II de la décentralisation. Les tenants de la thèse des blocs de compétences sont d'ailleurs nombreux parmi les collectivités territoriales et au sein du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Edouard Balladur et installé par le chef de l'Etat le 22 octobre dernier. Ils mettent notamment en avant des objectifs de lisibilité et de rationalité. Mais le rapport de l'Igas juge cette répartition des compétences en fonction des publics visés "peu opérante" dans le secteur social et médicosocial, dans la mesure où les problématiques sont souvent étroitement imbriquées. Il relève également la montée en puissance, depuis plusieurs années, des prestations "hybrides" associant des interventions et des intervenants de nature différente.

 

Un enjeu à 27 milliards d'euros

L'Igas ne plaide pas pour autant en faveur d'un statu quo en matière d'action sociale décentralisée, qui représente aujourd'hui une dépense totale de l'ordre de 27 milliards d'euros (chiffres 2006). Elle préconise plutôt de travailler sur une double voie. La première consiste à redéfinir le rôle de l'Etat, "qui n'a pas été repensé dans le contexte de la décentralisation" et qui, depuis lors, "oscille entre désengagement et intervention directe dans les dispositifs". La seconde vise à "instaurer un nouveau mode de relation entre l'Etat et les collectivités territoriales". Le rapport constate en effet que l'Etat, s'il s'est délesté de nombreuses tâches de gestion de dispositifs, n'a pas pour autant mis fin à ses interventions dans les domaines de compétence transférés aux collectivités. Il a par ailleurs toujours la responsabilité de "dispositifs identiques ou adjacents à ceux gérés par les collectivités locales" et "intervient parfois pour recréer des dispositifs nouveaux de sa compétence au coeur même des politiques décentralisées" (allusion transparente à la situation en matière de formation ou d'aide aux jeunes, par exemple). De même, l'Etat n'a pas véritablement revu son organisation en fonction de la décentralisation. Sur ce point, l'Igas rejoint donc le verdict, par exemple, des présidents de conseils généraux (voir ci-contre notre article du 30 octobre 2008). Enfin, le rapport juge "critiquables" les modalités de compensation des transferts de compétence.

 

Des rectifications de frontières

L'Inspection générale ne s'estime pas en droit de trancher entre deux conceptions des relations entre Etat et collectivités : le modèle de l'Etat tutélaire (dans lequel les collectivités sont de simples opérateurs pour le compte de l'Etat) et celui de l'Etat décentralisé (dans lequel elles disposent d'une pleine autonomie pour définir et mettre en oeuvre leurs politiques sociales). Cette prudence n'empêche pas l'Igas de se prononcer en faveur d'une voie médiane répondant à "une approche pragmatique". Celle-ci s'inspire largement de la "méthode ouverte de coordination" (MOC), mise en place par les instances européennes pour assurer la convergence progressive des politiques sociales.
Ce nouveau contrat social passe par la mise en oeuvre de cinq points clés. Tout d'abord, une meilleure association des collectivités à la fonction normative et à la conception des politiques. Ceci suppose l'instauration d'une véritable concertation et la mise en oeuvre d'études d'impact sur tous les projets de loi susceptibles d'avoir des conséquences pour les collectivités. L'Igas ne tranche toutefois pas la question d'une éventuelle définition conjointe des objectifs (prévue dans le cadre de la MOC).
Moins novateur mais assuré d'un important retour sur investissement, le second point vise à développer les échanges de bonnes pratiques et l'appui technique à destination des collectivités. Le rapport met notamment en exergue le positionnement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui a su se forger une forte légitimité en développant ces deux aspects (sans oublier toutefois le rôle qu'elle joue dans le financement partiel d'actions assurées par les collectivités).
Le troisième point peut sembler un peu contradictoire avec le refus affiché de la logique des blocs de compétences. Il consiste en effet à "clarifier les compétences et mieux les coordonner". L'opération se limiterait toutefois à procéder à "une redistribution à la marge de certains dispositifs entre les acteurs", afin de mettre un terme aux interventions "résiduelles" de l'Etat. Parmi les domaines qui pourraient être concernés par cette clarification, l'Igas cite notamment la lutte anti-vectorielle et les services communaux d'hygiène et de santé, la formation professionnelle, les formations sanitaires et sociales et - avec quelques réserves - la lutte contre l'exclusion, avec un possible transfert de publics actuellement pris en charge par l'Etat (SDF, étrangers sans papier, toxicomanes...). Cette clarification devrait se doubler de la mise en place d'outils de coordination efficaces, parmi lesquels le rapport évoque de façon assez surprenante le guichet unique, que l'on croyait pourtant largement abandonné.

 

Un pouvoir de substitution à renforcer

La contrepartie de ce poids accru donné aux collectivités réside dans le renforcement de l'effectivité du contrôle exercé par l'Etat, un thème évidemment cher à l'Inspection générale. Le rapport suggère deux voies complémentaires. La première consiste à améliorer, "dans le cadre de la réorganisation en cours de l'administration territoriale de l'Etat", la fonction de contrôle exercée par les services déconcentrés, en constituant notamment des équipes dédiées au contrôle. La seconde - qui ne devrait pas manquer de faire grincer quelques dents - consisterait à renforcer le pouvoir de substitution du préfet en cas de défaillance. Prudente, l'Igas est toutefois consciente des difficultés juridiques et politiques d'une telle évolution.
Le dernier axe est plus consensuel, puisqu'il consiste à "partager l'évaluation et la connaissance des politiques sociales". Au vu des expériences actuelles, il s'annonce cependant ardu sur le plan technique, dans la mesure où il s'agit en particulier de développer l'interopérabilité des systèmes d'information. La mise en place d'une "évaluation partagée et objective entre l'Etat et les collectivités" semble en revanche plus facile à atteindre. Elle pourrait se traduire par la mise en place d'une "structure partenariale" chargée de mener ces évaluations.
Toutes ces évolutions ne resteraient évidemment pas sans conséquence sur l'organisation des services déconcentrés. Devançant la prochaine mise en place des agences régionales de santé - dans laquelle elle s'est beaucoup investie - l'Igas plaide fortement pour le niveau régional.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Côté bilan... bien, mais peu mieux faire

La première partie du rapport annuel est consacrée, à partir d'une compilation d'enquêtes récentes de l'Igas, à une évaluation de l'action sociale décentralisée. Le rapport constate ainsi que "les missions transférées ont été reprises par les collectivités sans rupture de droits pour les usagers et ne font pas apparaître de déficiences flagrantes, même si des exceptions existent". L'Igas relève que les collectivités ont accru leur effort dans certains domaines (comme l'insertion) et ont nettement accru les moyens humains affectés à l'action sociale. Seule la PMI présente des carences, mais celles-ci préexistaient à la décentralisation.
Ce bon résultat d'ensemble n'empêche pas la persistance de plusieurs points faibles, déjà relevés à plusieurs reprises par l'Igas. Au nombre de ces derniers figurent notamment la faiblesse des outils de connaissance et de pilotage, le manque de coordination entre certains politiques (par exemple entre les départements et les régions autour de l'insertion professionnelle des bénéficiaires du RMI), ainsi que les fortes disparités dans la répartition des moyens financiers, qui creusent des écarts entre les territoires. Plus globalement, l'Igas déplore "un déficit de connaissance, de suivi, d'évaluation et de contrôle des politiques sociales décentralisées".

 

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