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Gouvernance - L'évaluation va-t-elle faire naître une "coconstruction" des politiques publiques ?

Trois ans après leur lancement, le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) a dressé le bilan de l'évaluation des politiques publiques (EPP), lors d'un séminaire à Paris le 19 mai. Il en ressort que 67 EPP ont été achevées, générant une économie estimée à plus de 7 milliards d'euros pour les finances publiques. Tous les champs sont couverts, les affaires sociales et la santé arrivant en tête. Les collectivités territoriales sont concernées par une EPP sur deux. Au-delà de la diffusion de cette pratique au niveau local, une opportunité semble se dessiner pour les collectivités et l'Etat de définir une nouvelle relation de travail, qui pourrait faire évoluer la "fabrique" des politiques publiques.

Lancées en décembre 2012 par le gouvernment dans le cadre de la MAP, à l'occasion du premier Comité interministériel de modernisation de l'action publique (Cimap), les évaluations des politiques publiques poursuivent leur chemin avec moins de publicité depuis que le gouvernement a décidé, en 2014, de ne plus organiser de Cimap, le dernier s'étant tenu en décembre 2013. Le séminaire organisé le 19 mai par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) sur "Les évaluations des politiques publiques, quels impacts ?", a été l'occasion pour Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l'action publique, de dresser un bilan des EPP, lors de son discours d'introduction. À ce jour, comme déjà indiqué dans le rapport d'activité du SGMAP publié le 8 mars dernier, 75 EPP (évaluations des politiques publiques) ont été lancées dont 67 ont été achevées avec une durée moyenne de réalisation de 7 mois. Laure de la Bretèche a par ailleurs salué la publication de 51 rapports d'évaluation, soit un taux de 76%. Un score jugé satisfaisant pour "des sujets de politique publique qui interpellent les acteurs publics et l'administration", en demande de transparence. Ces évaluations auraient, pour 72% d'entre elles, "déjà produit des effets mesurables", a souligné la secrétaire générale, estimant à 7 milliards d'euros les économies ayant été ainsi dégagées.

"Comment mieux répondre aux besoins des citoyens ?"

Toutefois, Laure de la Bretèche a tenu à relativiser cet impact, précisant que l'objectif financier n'est pas le seul objectif. D'une part, 48 évaluations ont été suivies d'actions concrètes. D'autre part, "les EPP sont clairement identifiées aujourd'hui comme un des leviers importants de transformation publique". Dans ce cadre, "le rôle du SGMAP n'est pas d'être acteur mais d'être un ensemblier efficace". Le secrétariat général a ainsi mis en place des missions d'appui aux transformations pour 38% des évaluations. Se pose désormais la question des suites à donner à ces évaluations.
Alors que le séminaire de fin 2014 visait à dresser un premier bilan, celui de ce 19 mai se penchait sur les impacts. "Le problème est que toutes les évaluations ne sont pas toujours de bonne qualité. Il faut avoir les moyens de les mener et rechercher au préalable les objectifs. À cet égard, les économies financières ne peuvent pas être le seul objectif. Derrière l'évaluation se pose la question : comment mieux répondre aux besoins des citoyens ? L'évaluation est certes un acte technique qui nécessite de définir des critères mais c'est aussi un acte politique et démocratique. Cela implique de définir les indicateurs avec les acteurs concernés. Enfin, il faut également avoir le courage de prendre en compte les résultats qui en ressortent et de remettre en cause l'existant", a estimé Nasser Mansouri-Guilani, rapporteur de l'avis sur les évaluations des politiques publiques voté par le Cese en septembre 2015 (voir ci-contre notre article du 11 septembre 2015), dépassant comme la plupart des autres intervenants la seule analyse des évaluations réalisées par le SGMAP pour s'interroger sur les mécanismes mêmes du processus évaluatif.

"Evaluer en évoluant, face à l'urgence du terrain"

Un constat confirmé par Laurent Girometti, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages au ministère de l'Environnement : "L'étude des pistes proposées est une chose. Le passage à la décision en est une autre. Il y a des pistes qui peuvent ressurgir plus tard. On ne fait jamais tout à fait rien à l'issue d'une évaluation." Alors, peut-on dire que les EPP ont fait évoluer les administrations ? Thierry Coquil, directeur des affaires maritimes, commissaire délégué aux transports maritimes au ministère de l'Environnement, émet quelques réserves : "Je ne suis pas sûr qu'on évalue pour transformer et je ne suis pas sûr non plus que les outils pour évaluer sont de bons outils pour transformer", déclare-t-il. "La première clé pour transformer, c'est quand l'évaluation regarde devant et cela se trouve rarement dans les évaluations car la dimension prospective est le plus souvent absente. Les évaluations n'apportent aucune vision de la toile de fond sur un sujet." Seul représentant des collectivités parmi les intervenants, Lansana Touré, directeur adjoint Vie sociale du conseil départemental du Val-d'Oise, responsable d'une évaluation menée en 2013 sur la gouvernance territoriale des politiques d'insertion et de lutte contre l'exclusion, s'inscrit en faux : "Il faut évaluer en évoluant, face à l'urgence du terrain."
La deuxième clé réside dans la production de données observant la réalité. "On en manque, alerte Thierry Coquil. On sent bien que les évaluations sont le fruit de consensus entre plusieurs personnes lors d'entretiens. Ce n'est pas une approche de terrain. Il faut pourtant le faire !" Rappelant que sur nombre de sujets, la décentralisation et le transfert des compétences qui en a découlé "a abouti à des données incomplètes", Laure de la Bretèche a affirmé que la politique d'open data pouvait aider à obtenir des diagnostics plus fiables.

Susciter "la coconstruction d'une politique publique"

L'importance de l'association au processus d'évaluation de l'ensemble des acteurs, services de l'Etat, collectivités, mais aussi représentants des publics "cibles", notamment dans le champ des politiques sociales, a été soulignée par plusieurs intervenants. Ainsi Serge Kancel, inspecteur général des affaires culturelles, évoque "l'idée d'une adhésion, en créant un comité de pilotage [de l'EPP], et en suscitant l'appropriation collective et la coconstruction d'une politique publique". L'impact de cette élaboration de diagnostics partagés a bien été illustré par Muriel Églin, sous-directrice aux missions de protection judiciaire et d'éducation (DPJJ), au ministère de la Justice, et Cécile Tagliana, adjointe au directeur général de la cohésion sociale (DGCS), ministère des Affaires sociales et de la Santé, dans le champ de la protection de l'enfance.
Dans le cadre d'une politique décentralisée, il s'agissait de s'assurer que tous les différents acteurs "jouaient bien leur rôle". L'évaluation a mis au jour la question de l'accompagnement des jeunes majeurs qui sortent de l'Aide sociale à l'enfance. En a résulté la "construction d'une nouvelle politique publique" associant les ministères et le département, aboutissant, à la loi du 14 mars 2016 (voir notre article du 22 mars 2016). Celle-ci a prévu la mise en place d'une convention de passage à la majorité entre le président du conseil départemental, le préfet du département, le président du conseil régional (au titre de la formation) et "l'ensemble des institutions et organismes concernés", "afin d'offrir aux jeunes de seize à vingt et un ans une réponse globale en matière éducative, culturelle, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources". Une politique d'accompagnement des conseils départementaux par les services de l'Etat a également été prévue pour les mineurs non accompagnés (MNA).

Des "déséquilibres territoriaux difficilement explicables"

Laurent Girometti a analysé l'impact de l'évaluation de la territorialisation des politiques d'aménagement. Il s'agit là encore de politiques définies nationalement, et mises en œuvre localement par les collectivités et leurs établissements. Sont concernés notamment les programmes locaux de l'habitat (PLH), dont les crédits sont discutés par les collectivités avec les services déconcentrés (voir notre article du 18 mai 2016). L'évaluation de la répartition des moyens budgétaires, souligne-t-il, a fait apparaître des "déséquilibres territoriaux difficilement explicables". Dans le cas présent, l'évaluation de 2013 a abouti au printemps 2015 à une "remise à plat des indicateurs de programmation" afin d'obtenir une répartition qui se veut plus équitable.
Pour lui, cette concertation a conduit également à faire sortir les services territoriaux de leur "posture" traditionnelle de représentants d'un Etat perçu comme un "censeur", au "discours stéréotypé", face aux collectivités et aux acteurs locaux "qui ont des besoins précis." Elle leur a permis enfin de prendre des habitudes de travail en commun, tant au plan local que national : des collectivités et associations de collectivités ont été invitées à participer au comité de pilotage de l'évaluation, devenant ainsi les "relais des outils qu'on fabrique". Le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages a annoncé une nouvelle phase d'évaluation à compter d'octobre 2016, concernant l'animation des filières locales d'aménagement sur deux territoires tests, les régions Paca et Pays de la Loire.
Pour sa part, le secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification, Jean-Vincent Placé, qui intervenait en clôture de l'événement, a annoncé la mise en œuvre d'un suivi de l'impact des évaluations réalisées. Soulignant le rôle de l'évaluation dans la "relégitimation" de l'action publique, Jean-Vincent Placé a estimé important "que le principe même de ces évaluations de politiques publiques devienne une 'routine' de l'action publique" et "d'ouvrir encore plus la voie au débat public sur certaines", notamment dans le cadre du "partenariat pour un gouvernement ouvert", auquel les collectivités sont associées (voir ci-contre notre article du 12 mai).

 

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