Fonction publique - Les territoriaux ont enfin leur loi !
La fonction publique territoriale aura bien sa loi de modernisation ! A deux semaines seulement de la clôture des travaux parlementaires, les députés ont, en seconde lecture du projet de loi, le 7 février, renoncé à amender le texte pour parvenir à une adoption définitive. Les groupes UMP et UDF ont voté pour, les socialistes et les communistes se sont abstenus. Ce vote conforme est l'aboutissement d'un chantier de quatre années, au cours desquelles pas moins d'une douzaine de versions du projet ont circulé. Le texte qui, lors de son premier examen au Sénat en mars 2006, se composait de 36 articles, en compte à présent 82.
Dans ses grandes lignes, il renforce l'accès à la formation des agents territoriaux en introduisant dans la fonction publique territoriale un droit individuel à la formation (DIF) de 20 heures par an cumulables sur six ans. En outre, l'expérience professionnelle sera mieux prise en compte au profit des candidats aux concours, ainsi que dans les critères de promotion interne. Enfin, les agents de catégorie C bénéficieront, comme les autres, d'une formation initiale après leur premier recrutement.
Autre point important du texte, la répartition des compétences entre le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion est modifiée dans un but de clarification. Le premier voit son rôle recentré sur la formation. Les missions des centres de gestion sont quant à elles précisées et élargies : non seulement les centres de gestion assureront désormais l'organisation des concours des agents de catégorie A - à l'exception des A+ qui resteront pris en charge par le CNFPT - mais ils pourront, de plus, souscrire pour le compte des collectivités locales des contrats-cadres en matière de prestations sociales, de santé ou de prévoyance.
La réforme "n'est pas parfaite"
C'est sur ce volet institutionnel que les débats parlementaires ont été d'emblée les plus vifs, l'accent étant mis sur une nécessaire coordination des centres de gestion. Au terme des débats, ceux-ci devront renforcer leur coopération en désignant notamment à l'échelle régionale un centre de gestion coordonnateur.
Entre deux lectures du projet de loi, le ministre délégué aux Collectivités territoriales a ouvert une concertation sur l'action sociale en faveur des personnels territoriaux, dont 300.000 agents des communes sont encore privés. Les grandes associations d'élus, les syndicats et le gouvernement se sont entendus pour rendre obligatoire cette action sociale à toutes les collectivités territoriales - sauf à leurs groupements - sans imposer ni un montant minimum ni un contenu déterminé pour les prestations.
Le projet de loi prévoit aussi une négociation annuelle au sein de la collectivité sur l'accès des femmes aux emplois d'encadrement supérieur et l'adoption de plans pluriannuels d'égal accès des femmes et des hommes à ces emplois.
Les dispositions du texte concernant le droit à la formation ont été unanimement saluées et, globalement, un très large consensus s'est formé autour du projet de loi.
Son adoption est "une très bonne nouvelle", a commenté le président du CNFPT, André Rossinot, pour qui "le rôle central de la formation permettra aux élus locaux de disposer d'agents compétents et formés aux défis de la décentralisation". Malgré "l'apport significatif" que représentent les nouveaux droits à la formation, le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Bernard Derosier, regrette que les parlementaires n'aient pas choisi de créer un établissement public national chargé de la coordination des centres de gestion. Un regret que l'on retrouve chez le président de la Fédération nationale des centres de gestion, Jacques-Alain Bénisti.
Malgré une satisfaction générale, les acteurs de la fonction publique territoriale, des ingénieurs territoriaux aux directeurs de centres de gestion, expriment tout de même quelques déceptions. Fin janvier, le ministre délégué aux Collectivités territoriales reconnaissait d'ailleurs que le projet de loi "n'est pas parfait", mais estimait "qu'environ 80% des demandes ont été satisfaites".
Un chantier considérable
L'application du projet de loi ne sera pas immédiate. Il faudra en effet attendre la publication des décrets d'application, au nombre d'une vingtaine, tandis que vingt autres décrets statutaires devront être modifiés. Ces textes "sont d'ores et déjà en cours de préparation et seront publiés en deux vagues", a annoncé Brice Hortefeux : "Une première vague, très importante, puisqu'elle portera sur la formation et sur les relations financières entre les centres de gestion et le CNFPT, sera publiée durant l'été. Une seconde interviendra d'ici la fin 2007, après les nécessaires consultations du conseil supérieur et des associations d'élus représentant les employeurs."
Il ne faudra pas trop d'une année au CNFPT pour intégrer ses nouvelles missions. Le chantier est considérable - "aussi vaste que celui de la reconversion sidérurgique en Lorraine !" note un observateur averti de la fonction publique territoriale. Les grandes lignes de l'organisation future de l'établissement public seront cependant connues dans les toutes prochaines semaines.
Pour ce qui est de l'impact du projet de loi, certains s'inquiètent de l'accompagnement financier d'une réforme que le gouvernement et les parlementaires ont souhaitée à coût constant. Pour Bernard Derosier, le transfert de certaines compétences du CNFPT aux centres de gestion "limitera la diversification des formations proposées aux agents des collectivités territoriales". Le député du Nord prédit qu'à l'avenir, le CNFPT ne sera "qu'un prestataire parmi d'autres sur le marché de la formation" et que les organismes privés seront de plus en plus présents. Autrement dit, le projet de loi devrait encore en 2007 occuper une place de choix dans l'actualité territoriale.
Thomas Beurey / Projets publics
Réactions à chaud
Jean-Laurent Nguyen Khac, président de l'Association des directeurs et directeurs adjoints des centres de gestion
"Un certain nombre de nos demandes n'ont pas été prises en compte, comme le relèvement du seuil d'affiliation à un centre de gestion. Mais au moment de l'examen du texte en seconde lecture, il n'était pas question d'en reparler. Il était en effet essentiel que les députés votent conforme le projet de loi. De plus, globalement, les avancées permises par le projet de loi sont plus positives que les carences du texte. Parmi les avancées, je pense par exemple au transfert aux centres de gestion de l'organisation des concours de catégorie A - à l'exception de ceux de la catégorie A+.
Le projet de loi nous pose des défis, en particulier celui de la mutualisation des compétences à l'échelle régionale. Les centres de gestion réfléchissent déjà à des solutions. Nous travaillons notamment à la rédaction d'une charte régionale qui rappellera les valeurs des centres de gestion. Cette charte nous aidera à concilier les principes d'une organisation décentralisée avec la nécessaire homogénéité à l'échelle nationale.
Pour ce qui est de l'organisation du concours des ingénieurs, nous comprenons parfaitement les craintes des intéressés de voir ce concours organisé à l'échelle locale. Rien ne nous empêche cependant de nous organiser à un niveau interrégional. Et c'est peut-être vers quoi nous allons nous orienter."
Jean-François Crost, secrétaire national adjoint du Syndicat national des cadres territoriaux (SNCT)
"En matière de formation, le projet de loi est ambitieux. Nous nous en réjouissons. Mais le CNFPT aura-t-il les moyens suffisants pour traduire dans les faits ces dispositions, en particulier le droit individuel à la formation ? Nous nous le demandons vraiment. Par ailleurs, le livret individuel de formation est sans doute une très bonne chose. Nous avions cependant proposé d'aller plus loin en créant un livret de carrière, qui aurait retracé non seulement les formations suivies par l'agent, mais aussi les missions exercées et la nature des postes occupés par l'agent. Cet outil aurait permis aux cadres notamment d'être mieux protégés contre le phénomène du " placard " qui les touche de plus en plus. Enfin, nous aurions souhaité que le projet de loi ou les mesures qui l'accompagnent, s'attachent à revaloriser la carrière des attachés, parfois bloqués à l'échelon maximal dès 50 ans."
Propos recueillis par Thomas Beurey