Congrès de l'ARF - Les régions aspirent à plus d'autonomie
Dopées par la suppression du conseiller territorial par le Sénat, dans la nuit de mercredi à jeudi, les régions françaises se sentent pousser des ailes. Pour le président de l'Association des régions de France (ARF), Alain Rousset, ce vote est un "sursaut d'intelligence". "Le Sénat vient de nous faire un beau cadeau", s'est-il réjoui en ouverture du Congrès de l'ARF des 17 et 18 novembre, à Tours. Une rencontre qui s'est déroulée en l'absence du ministre des Collectivités et président du conseil régional d'Alsace, Philippe Richert, dont l'agenda a été bousculé par ce vote nocturne.
Pour l'ARF, un premier verrou a sauté, qui doit conduire à une nouvelle étape de la décentralisation, la "mère des réformes", même si la suppression du conseiller territorial reste avant tout symbolique. En attendant les Etats généraux de la démocratie locale que le Sénat entend organiser avec les associations d'élus cet hiver, elle a pu débattre de son projet d'acte 3 de la décentralisation, déjà présenté à la presse au printemps dernier. Un catalogue de propositions destinées à alimenter le débat de l'élection présidentielle et à redonner de l'allant aux régions "pour une France plus efficace". Mais l'idée d'un troisième acte a finalement été remis en cause. Les régions préfèrent à présent parler de "nouvel acte" voire de "refondation de la régionalisation". Car, estiment-elles, la loi Raffarin de 2004 a surtout été un acte manqué et n'a pas eu la force décentralisatrice des réformes de Gaston Deferre du début des années 1980. Pire, "les régions ont perdu leur dimension stratégique et ont été ramenées à un rôle de collectivité de gestion", a souligné Jean-Yves Le Drian, le président de la Bretagne.
"C'est le centralisme qui crée des inégalités"
Les régions entendaient jusqu'ici avant tout clarifier le couple Etat-région, supprimer les fameux doublons, recentrer l'Etat dans ses fonctions régaliennes, alors que selon elles la loi de réforme territoriale du 16 décembre 2010 n'aurait fait qu'ajouter à la confusion... Si la question de la clause générale de compétence fait encore débat au sein de l'ARF, les régions aspirent à une compétence pleine et entière en matière économique. Alain Rousset a critiqué le "cloisonnement" entre les mondes de l'entreprise et de la formation et une nouvelle fois plaidé pour un service public régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation piloté par les régions. Mais ces dernières n'entendent pas s'en tenir au "mécano des compétences" et font un pas de plus vers le fédéralisme, jalousant presque leurs voisins, les Länder allemands. Dans la grande famille des collectivités françaises, elles revendiquent une place à part. "La région n'est pas une collectivité locale, c'est un niveau intermédiaire", elle doit pouvoir exercer "un niveau de contrainte à l'égard des niveaux inférieurs", a ainsi souligné la constitutionnaliste Géraldine Chavrier.
Invité de ces journées et vivement applaudi, le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, a abondé dans ce sens. "Le problème, c'est bien celui de la région, elle doit être à l'équivalent" de ses homologues européennes, a-t-il plaidé, prenant soin de préciser qu'il n'était pas question de supprimer d'échelon territorial, en l'occurrence, le département.
Les élus se disent convaincus que la régionalisation est un gage d'efficacité et de compétitivité dans le contexte de crise et de rigueur. "Est-ce que la régionalisation n'est pas la meilleure façon de dépasser la crise ?", s'est interrogé Alain Rousset. Avocat de la régionalisation économique, le président du cabinet Astérès, Nicolas Bouzou, a apporté de l'eau à son moulin : "C'est le centralisme qui crée des inégalités", a-t-il assené. Selon lui, il est nécessaire d'abandonner les politiques keynésiennes de relance "qui coûtent trop cher" pour passer à "des politiques de l'offre connectées aux territoires".
Autorité organisatrice
Pour franchir ce pas, les régions réclament pouvoir normatif et autonomie financière. Elles élaboreraient ainsi un document stratégique unique qui engloberait les schémas existants (aménagement du territoire, développement économique, innovation…). Préparé en concertation avec les autres niveaux de collectivité, il s'imposerait à ces dernières. La région aurait ainsi le rôle d'une "autorité organisatrice". Mais les régions entendent aller plus loin. S'appuyant sur l'exemple des collectivités d'Outre-Mer, elles revendiquent désormais un pouvoir "réglementaire d'application" des lois, limité à leur champ de compétence.
A côté de ce pouvoir normatif, elles attendent un grand soir de la fiscalité. Car pour l'heure, les 26 régions françaises sont des nains économiques par rapport aux 16 Länder. "Le seul land du Bade-Wurtemberg dispose d'un budget de 35 milliards d'euros, alors que le budget cumulé des régions françaises en 2010 atteint 26 milliards d'euros", a souligné Alain Rousset. Ce qui confère aux Länder une capacité d'intervention bien plus forte, notamment auprès des entreprises de taille intermédiaire. A titre de comparaison, la région Rhône-Alpes et le Bade-Wurtemberg, toutes deux jumelées, ont un budget respectif de 400 euros et de 3.261 euros par habitant…
Impôt dynamique
Pour autant, les Länder ont une très faible autonomie financière. En Allemagne, c'est la redistribution qui prévaut. L'ARF se montre très ambitieuse dans ce domaine. Alain Rousset estime nécessaire de revenir sur la réforme de la fiscalité locale de 2010 qui a fortement réduit l'autonomie financière des régions : le remplacement de la taxe professionnelle par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a "supprimé aux régions toute la dynamique de leur fiscalité", a-t-il indiqué. Du fait du gel des dotations, "toutes les régions ont un budget en baisse", a-t-il encore dénoncé. L'idée serait de rééquilibrer le panier des ressources avec des impôts dynamiques. Plusieurs pistes sont sur la table : part de TVA ou de CSG, versement transport, taxe sur les sociétés d'autoroute, TIPP kérosène sur les vols intérieurs, fiscalité sur les réseaux numériques…
Pour se convaincre de l'appétit décentralisateur des Français, l'ARF a fait réaliser deux sondages. Or les résultats ne sont pas probants. Certes, une enquête Ipsos réalisée pour ce congrès révèle que 63% des Français considèrent que l'Etat a trop de pouvoir en France. Mais un sondage Viavoice pour l'ARF montre que les Français sont en réalité très partagés : 43% d'entre eux souhaitent un système décentralisé et fédéral contre 42% qui souhaitent le contraire ! La campagne de l'élection présidentielle promet une belle bataille idéologique sur fond de vieilles lunes : jacobins contre girondins. Le secrétaire national de l'UMP chargé des collectivités, Franck Louvrier, a déjà sonné la charge dans un communiqué du 16 novembre indiquant que les régions avaient "augmenté leurs effectifs de 49%, hors transferts de compétences".
Quant au projet de régionalisation, il pourrait aussi rencontrer les communautés d'agglomération, très impliquées dans le développement économique, sur son chemin. Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), a lui aussi émis quelques réserves. "Le mot régionalisation ne me choque pas, mais il faudra veiller à ce que le débat sur la régionalisation n'intéresse pas que les représentants des régions."