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Economie mixte - Les entreprises publiques locales d'aménagement vont-elles "perdre leur âme" ?

Pour le président de l'Association des directeurs d'entreprises publiques locales (ADEPL)*, les concessions d'aménagement à la française "ont probablement vécu". Le nouveau modèle qui voit le jour privilégierait la rentabilité des projets sur leur intérêt pour le développement du territoire, estime Philippe Cougnaud, qui dirige la SEM Gers.

Localtis : Comment le secteur de l'aménagement se porte-t-il ? Concernant les concessions d'aménagement, la loi du 21 juillet 2005 est venue mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire. Son décret d'application est paru un an plus tard, le 31 juillet 2006. Le nouveau dispositif a-t-il renforcé la sécurité juridique des opérations ?


Philippe Cougnaud :  Les contrats avec lesquels nous oeuvrons rencontrent en réalité toujours des difficultés dans leurs fondations juridiques. En effet, les efforts du législateur n'ont pas supprimé toutes les interrogations et la question de la compatibilité du droit interne avec le droit communautaire se pose encore. Des opérations que la loi de 2005 devait protéger ont été annulées. Nous sommes donc vraiment dans l'entre-deux, depuis de trop nombreux mois. Ce contexte participe largement à rendre flous les contours de nos actions. Je le constate pour la SEM Gers que je dirige : la posture du contrôle de légalité me conduit à ne plus envisager de concession d'aménagement dans le département ; j'en ai vu quatre être contestées... et suis en attente d'une décision du tribunal administratif pour la seule encore vivante ; le concédant avec l'appui du concessionnaire SEM contestant la position de l'Etat. Aujourd'hui, la famille des entreprises publiques locales de l'aménagement montre quelques inquiétudes. Beaucoup ont dans leur portefeuille de grosses opérations et si demain les contrats sont remis en cause, ces sociétés verront leur avenir s'assombrir sensiblement. De ce fait, les négociations sur tout nouveau contrat sont devenues plus compliquées. Concédant et possible concessionnaire voient leur relation être modifiée dans la forme et le fond. Hier, lorsque vous rencontriez un élu pour une opération, la discussion était ouverte et sincère. Aujourd'hui, celui-ci commence par se demander s'il doit vous rencontrer, alors que vous dirigez l'outil de sa collectivité qu'il a lui-même pu mettre en place.

 

Cela va-t-il s'arranger ? Etes-vous optimiste ?

Les concessions d'aménagement à la française ont probablement vécu. Il faut s'attendre à ce que dans les mois prochains un texte modifie radicalement les relations contractuelles entre les collectivités et leurs concessionnaires en matière d'opérations d'aménagement. Pourra-t-on d'ailleurs encore parler de concessionnaires ? La question qui se pose est celle du risque financier : où doit-il se situer ? Jusqu'à maintenant, le risque de l'opération était implicitement porté par la collectivité sur la base de bilans prévisionnels et d'un échange entre concédant et concessionnaire. La possible participation financière pouvait, au vu des conditions économiques du marché immobilier, évoluer soit à la hausse, soit à la baisse. Or, le schéma défendu par les représentants du gouvernement et quelques juristes de l'Hexagone, et vers lequel, semble-t-il, nous nous acheminons, est celui de la concession de travaux. Le risque sera alors du côté du seul concessionnaire. Et pour les clauses de revoyure attachées à l'immanquable évolution du bilan de l'opération, je reste dubitatif quant à leur traduction contractuelle. Notre métier s'en trouvera profondément modifié et il ne me semble pas que la collectivité en sorte en meilleure posture pour autant. Faut-il cependant verser dans le pessimisme ? Je ne le crois pas. Continuer à défendre l'intérêt général comme seules les SEM le pratiquent me paraît être la meilleure des démarches à adopter. On ne peut cependant s'empêcher de déplorer que nombre de textes restent alimentés par des intentions largement déconnectées des réalités du terrain. A moins que depuis peu les opérations d'aménagement ne relèvent plus que d'une science exacte dans un pays imaginaire où des sachants vous expliqueraient vos dépenses et recettes de concessionnaire 5 à 8 années avant qu'elles n'interviennent.

 

Que se passera-t-il ?

Aujourd'hui, les entreprises publiques locales d'aménagement oeuvrent pour l'intérêt général, en plaçant la collectivité au centre. Si demain la logique d'équilibre financier opérationnel prime, la performance financière d'une opération d'aménagement sera le guide de la relation contractuelle. Certaines entreprises publiques locales importantes ont en ce moment dans leur bilan société plusieurs dizaines d'opérations. Concrètement, si demain leurs directeurs et à leur côté les conseils d'administration doivent supporter les risques de ces opérations, ils décideront immédiatement de tout arrêter. Le problème dans cette logique est que nos sociétés locales sont sous-capitalisées au regard de la hauteur des volumes financiers qu'elles mettent en oeuvre. Ainsi dans le cas d'une SEM portant quelques opérations concédées de vingt, trente millions d'euros ou plus et n'ayant que deux ou trois millions d'euros de fonds propres, une seule opération défaillante pourra la fragiliser. Dans ces conditions, les élus d'un département accepteront-ils de voir leur entreprise publique locale prendre un risque sur une opération qu'elle aurait à réaliser pour une collectivité qui ne serait pas actionnaire ? On peut penser que non. Mais ce qui est le plus à craindre, c'est que certains projets considérés comme risqués financièrement ou peu rentables, ne verront pas le jour, même si leur pertinence en termes de développement territorial est avérée. Les collectivités locales n'en sortiront pas gagnantes.

 

Dans ce contexte, la société publique locale d'aménagement (SPLA) n'est-elle pas la solution ? Créée par la loi en 2006 pour une durée expérimentale de cinq ans, ce nouveau type de société au capital 100% public présente, rappelons-le, l'intérêt de ne pas être soumis à la concurrence.

L'Association des directeurs d'EPL n'a pas de position tranchée sur les SPLA. Sans écarter ce type de démarche, nous ne pensons pas qu'elle soit en réalité la panacée. Avec les SPLA, nous perdons un peu ce qui fait la pertinence des SEM traditionnelles : à savoir la mixité du capital, qui leur permet de défendre l'intérêt général, tout en étant aiguillonnées par l'actionnariat privé. L'autre remarque que nous faisons tient à la difficulté de gouvernance des SPLA. Les élus voudront-ils partager à l'échelle d'un département, d'une région ? Cependant, ne nous privons pas d'imaginer de nouveaux outils d'intervention dans les territoires. Bon nombre de SEM se dotent de filiales adaptées aux problématiques du marché qu'elles rencontrent. Ces structures, lorsque la SEM en assure le contrôle, continuent de privilégier l'intérêt général. On se plaît alors à imaginer un paysage composé sous couvert d'intérêt général, de SPLA, de SEM, et autres filiales à capitaux privés majoritaires. Toutes ces structures ne mériteraient-elles pas d'être réunies sous la bannière SPL ? Nos concurrents privés n'en finissent pas de nous singer dans nos modes d'interventions, ceux que nous pratiquons déjà, j'aimerais que le mouvement des SEM se décomplexe davantage dans ses positions vis-à-vis de son marché.
Enfin, à la question que vous ne m'avez pas posée : "Etes-vous différentes, vous les SEM/EPL ?" ; la réponse est définitivement oui. Nos discours, nos actions, nos actionnaires sont différents, et ça va mieux en le disant.

 

Propos recueillis par Thomas Beurey

 

* Association des directeurs de sociétés d'économie mixte (Adirsem) rebaptisée au début de l'année pour accueillir les directeurs des SPLA.

 

 

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